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Océan: en tant que personne trans, "on vit des croisements de discriminations"
Je suis métisse. Les réseaux sociaux et l'actualité me forcent à me positionner racialement - BLOG
Sarah Diffalah et Salima Tenfiche partent de leur propre expérience pour démonter un à un les stéréotypes accolés aux Françaises d'origine maghrébine. Un texte incisif enrichi des témoignages de 23 femmes.
FEMMES - Sarah Diffalah est journaliste Ă LâObs , Salima Tenfiche est chercheure en cinĂ©ma et chargĂ©e de cours Ă lâUniversitĂ© de Paris-Diderot. Toutes les deux sont françaises dâorigine algĂ©rienne, bilingues en kabyle (la langue de rĂ©gion montagneuse du Nord-Est du pays, NDLR) et se connaissent depuis lâenfance. Pourtant, ce nâest quâau milieu de leur trentaine, lors dâune nuit blanche rythmĂ©e par leurs confidences, quâelles vont livrer lâune Ă lâautre ce que cet hĂ©ritage signifie pour chacune.
La façon, surtout, dont il a longtemps pesĂ© sur leurs Ă©paules, dont elles en ont eu honte, dont elles ont tentĂ© de le dissimuler pour mieux sâintĂ©grer. Et aujourdâhui, leur rejet franc dâun terme qui pullule dans les catĂ©gories de sites pornographiques sur la Toile, comme dans les remarques empreintes de prĂ©jugĂ©s sexistes et racistes: âbeuretteâ.
âBimbo orientale au bras dâun bandit au cĆur tendre, habituĂ©e des bars Ă chicha; femme voilĂ©e, sage et soumise, qui rĂȘve de vacances Ă DubaĂŻ depuis sa cuisine tout Ă©quipĂ©e ; âbeurgeoiseâ ambitieuse haut perchĂ©e sur ses Louboutin; ou jeune actrice gouailleuse qui a gardĂ© lâaccent de la citĂ©: les femmes françaises issues de lâimmigration maghrĂ©bine ne semblent pas pouvoir exister dans lâespace mĂ©diatique en dehors des stĂ©rĂ©otypes sans cesse renouvelĂ©s [de lâexpression]â, dĂ©noncent-elles en guise dâintroduction.
Alors, afin de les Ă©pingler, ces stĂ©rĂ©otypes, mais aussi donner la parole Ă celles qui lâont trop longtemps Ă©touffĂ©e, Sarah Diffalah et Salima Tenfiche sont parties Ă la rencontre de 23 femmes, ĂągĂ©es de 18 Ă 46 ans, anonymes ou cĂ©lĂšbres (Sabrina Ouazani, Jeanette Bougrab, Zahia Ziouani...). Elles signent ici une vaste enquĂȘte mĂȘlant rĂ©cits personnels et analyses pointues, pour davantage briser les idĂ©es reçues. Un ouvrage qui couvre Ă la fois la sexualitĂ©, la religion, le couple, le voile ou encore lâĂ©cole, et qui gagne Ă ĂȘtre dĂ©vorĂ© - par toutes et tous.
Au fil dâun long Ă©change, elles nous racontent, entre autres, les coulisses de leur travail, insistent sur la pluralitĂ© des tĂ©moignages et Ă©voquent lâespoir quâincarnent les nouvelles gĂ©nĂ©rations, comme le changement quâelles permettent. Entretien.
Terrafemina: Diriez-vous que Beurettes, un fantasme français sert dâune part Ă dĂ©construire les clichĂ©s que la sociĂ©tĂ© occidentale projette sur les femmes auxquelles vous donnez la parole, et dâune autre, Ă enfin aborder tous ces sujets que vous nâavez pas osĂ© partager entre vous toutes ces annĂ©es? Comme un exutoire?
Salima Tenfiche : Câest tout Ă fait ça. Dâun cĂŽtĂ©, il y a le racisme, et de lâautre, la honte vis-Ă -vis de la communautĂ© maghrĂ©bine. Ce sont les deux plans sur lesquels nous marchons, dans ce livre.
Ce qui nous tenait Ă cĆur au dĂ©part de lâenquĂȘte, câĂ©tait dâabord dâaller contre le racisme que lâon sent monter depuis quelques annĂ©es, notamment depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000. Les femmes que lâon a rencontrĂ©es, surtout celles de plus de 30 ans, nous ont elles-mĂȘmes dit : âCâest insupportable, lâimage quâon a de nous les Arabes, de nous les musulmans - lorsquâelles Ă©taient musulmanes - dans lâespace public. Et câest insupportable, de voir monter ce racisme anti-Arabes sous couvert dâ islamophobie â. Et puis ensuite, il y a le fait que nous-mĂȘmes, dans nos expĂ©riences professionnelles et personnelles, nous avons pendant longtemps eu du mal Ă accepter notre culture algĂ©rienne.
Câest donc Ă la fois refuser les Ă©tiquettes racistes et aussi balayer devant notre porte: dire ce quâil y a de pĂ©nible dans le fait dâĂȘtre ârebeuesâ. Tout ce Ă quoi nous faisons face quand on est une fille puis une femme dâorigine maghrĂ©bine, et qui plus est, comme câest souvent le cas pour les enfants dâimmigrĂ©s algĂ©riens, dâorigine modeste.
Sarah Diffalah: Le point de dĂ©part, câest effectivement tous ces sujets dont on ne parle ni dans lâespace public ni entre nous, alors mĂȘme que lâon se connaĂźt depuis longtemps - signe quâils sont enfouis, tabou, voire gĂȘnant. Câest en essayant de dĂ©cortiquer la raison derriĂšre ce sentiment de honte que lâon ressentait quâon a remarquĂ© quâĂȘtre femme dâorigine maghrĂ©bine conduisait nĂ©cessairement Ă des stĂ©rĂ©otypes dans lesquels on ne se reconnaissait pas. StĂ©rĂ©otypes que lâon retrouve sur les sites pornos ( principalement sous lâappellation âbeuretteâ, NDLR ).
Ă savoir toutefois que les sites pornos ne sont que le reflet de ce quâil y a dans la sociĂ©tĂ©. Ils alimentent les clichĂ©s mais ne les crĂ©ent pas. Ils sont trĂšs humiliants, mais beaucoup moins dangereux dans le dialogue du dĂ©bat quotidien que les reprĂ©sentations quâon a dans les mĂ©dias, alimentĂ©es par certains partis politiques, et inconsciemment par tout Ă chacun.
Comment avez-vous trouvé toutes ces femmes? Avez-vous dû en convaincre certaines de se livrer?
S. D.: Ăa nâa pas Ă©tĂ© si difficile que ça, ni de les trouver, ni de les convaincre. Nous avons commencĂ© par un appel Ă tĂ©moins sur les rĂ©seaux sociaux. De lĂ , certaines femmes nous ont contactĂ©es pour participer spontanĂ©ment, dâautres ont pensĂ© Ă des personnes dans leur entourage qui pourraient ĂȘtre intĂ©ressĂ©es. Nous avons rapidement pu regrouper un Ă©chantillon suffisamment consĂ©quent, ce qui fait que nous ne sommes pas allĂ©es chercher des femmes de la ruralitĂ©, ou des femmes radicalisĂ©es par exemple.
Tout de suite, les intervenantes ont Ă©tĂ© trĂšs enthousiastes, elles nous confiaient en avoir âmarre quâon parle de nous sans nousâ, et souhaitaient â prendre la parole â elles-mĂȘmes. Dâailleurs, on allait tellement loin dans ces conversations intimes, elles dĂ©voilaient tellement de choses, quâĂ la fin, certaines souhaitaient ĂȘtre anonymes.
Cela traduit vraiment le manque de représentation, à la fois physique et de discours et vécus différents.
S. T: Ce quâil faut aussi dire, câest quâau dĂ©part, on pensait avoir des filles de milieux plus modestes, de la ruralitĂ©, qui portent le voile. Et en fait, on sâest rendu compte que celles qui souhaitaient parler sont celles qui appartiennent aujourdâhui Ă la classe moyenne, plus ou moins Ă©duquĂ©es, plus ou moins fortunĂ©es, et qui ont vĂ©cu cette difficultĂ© Ă expliquer et exprimer leur double culture parce quâelles Ă©taient dans une situation de mixitĂ©.
Lorsque lâon a une trajectoire qui nous maintient dans une communautĂ© maghrĂ©bine, on nâa pas envie de parler et on se construit avec la fiertĂ© de soi. Parce que câest un renversement du stigmate, Ă lâimage du principe de la Gay Pride : ce qui fait honte et est lâobjet de discriminations, je mâorganise collectivement autour de cet Ă©tendard et jâen fais une fiertĂ©. Alors que lorsque lâon est soumis·e Ă des situations de mixitĂ©, quand lâintĂ©gration a rĂ©ussi, câest lĂ que le problĂšme commence. Câest lĂ que lâon se rend compte du racisme. Car cette intĂ©gration se fait au prix de lâeffacement de soi, de lâinvisibilisation.
Parce que lorsquâon Ă©volue dans des milieux trĂšs religieux, communautaires, communautaristes, les gens nous ressemblent. On vit dans un milieu homogĂšne, qui ne nĂ©cessite pas de devoir expliquer dâoĂč lâon vient. Nous pensons que câest pour ces raisons-lĂ , que les femmes qui ont tout de suite rĂ©pondu sont plus ou moins des femmes qui nous ressemblent.
(Ci-dessus une photo de lâInstagram de Lisa Bouteldja, qui se rĂ©approprie les stĂ©rĂ©otypes liĂ©s aux femmes dâorigine maghrĂ©bine, NDLR)
Donner la parole Ă toutes ces femmes, Ă©tait-ce une façon de confirmer votre propos : le terme rĂ©ducteur de âbeurettesâ gĂ©nĂ©ralise en fait des personnalitĂ©s aux identitĂ©s, constructions, appartenances, avis pluriels?
S. T.: Bien sĂ»r. En cassant les stĂ©rĂ©otypes, ce que lâon casse, ce sont les rĂ©ductions Ă une identitĂ© unique, Ă un typage raciste.
Par exemple, le fait de considĂ©rer que toutes les femmes dâorigine maghrĂ©bine ont une sexualitĂ© anale parce quâelles veulent rester vierges jusquâau mariage. Nous avons pu le vĂ©rifier auprĂšs de notre Ă©chantillon: il sâagit dâun pur fantasme, dâune pure construction. Parmi les femmes quâon a rencontrĂ©es, celles qui sont musulmanes et veulent rester vierges jusquâau mariage ont une pratique sexuelle qui ne se dĂ©roule pas par voie anale.
Ou encore, les stĂ©rĂ©otypes concernant la religion. Nous avions Ă cĆur de montrer quâil y a plein de rapports variĂ©s Ă la religion. Dans le livre, nous donnons ainsi la parole Ă une femme qui est trĂšs pratiquante, Ă une trĂšs croyante mais pas pratiquante, Ă une autre encore, trĂšs croyante mais qui fait uniquement le ramadan car pour elle, câest le plus important. Nous voulions absolument montrer ce panel de rapports, surtout Ă la religion, car câest par lĂ que nous sommes le plus discriminé·e·s France en ce moment.
Et puis, contrairement aux annĂ©es 80 avec le mouvement de ce quâon appelait les âBeursâ, aujourdâhui, il nây a plus de politisation par la question de lâintĂ©gration: elle se fait autour de la religion. MĂȘme le fĂ©minisme est de plus en plus un fĂ©minisme musulman . Nous voulions dire: il est possible dâavoir une voix, qui nâest pas une voix de musulmane. On peut ĂȘtre musulmane et avoir envie dâexister dans lâespace public en tant que Française dâorigine maghrĂ©bine, et non parler en tant que musulmane.
Les intervenantes de notre enquĂȘte ne parlent pas en tant que musulmanes, mais en tant que femmes françaises avec une double culture. Certes, dans certains cas, elles le sont. Dans dâautres, elles sont homosexuelles. Dans dâautres, PDG. Câest un Ă©lĂ©ment de leur identitĂ© mais ce nâest pas ainsi quâelles veulent se dĂ©finir.
S. T. : Câest dâailleurs pour ça que nous avons souhaitĂ© distinguer le chapitre âVoileâ du chapitre âReligionâ. Le voile cristallise le racisme, la discrimination des femmes, en particulier musulmanes. Et puis, il y a la religion, qui est une pratique personnelle dâune partie de ces femmes.
Ă voir Ă©galement sur Le HuffPost: Contre lâislamophobie, ces femmes voilĂ©es veulent juste ĂȘtre âtranquillesâ
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