Veronika est une grand-mère délicieuse

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Veronika est une grand-mère délicieuse

Un restaurateur russe à Paris a tendu la main aux étudiants en détresse en leur offrant des repas chauds et un peu de chaleur humaine par ces temps moroses.


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C’est le quatrième samedi de suite qu’on peut apercevoir à l’heure du déjeuner un joyeux attroupement devant la porte du restaurant « À la ville de Petrograd » de la rue Daru, au cœur du « quartier russe » de Paris, juste en face de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky.
Le sourire aux lèvres, des gobelets de café et des morceaux de délicieuse tarte au caillé dans les mains, par-ci par-là se forment de petits groupes. Les mots « faculté », « études », « échanges », « département », « école », « Erasmus » raisonnent en français, anglais et russe. Des conversations s’engagent, de nouveaux amis s’ajoutent sur les réseaux sociaux, des rendez-vous se planifient. Et tout le monde reprend son chemin avec un repas chaud emballé dans un sac en papier.
Au menu de samedi dernier, on comptait les classiques de la cuisine russe faite maison : bortsch , pâtes « à la manière des matelots », petits pains fourrés ( pirojki ) et une pâtisserie, le tout préparé avec amour par le chef Elena et ses assistants. Au total 100 repas gratuits sont distribués aux jeunes, qui se sont présentés entre 13h et 15h avec leur carte d’étudiant. 
Veronika Rovnoff avec le chef Elena
Veronika Rovnoff est la propriétaire du restaurant « À la ville de Petrograd » depuis 2019. Designer d’intérieur, entrepreneur, elle est passionnée par la relance des marques oubliées. Ainsi, en 2010, après avoir déniché lors de ventes aux enchères une vieille malle, fabriquée par la maison Moreau (connue depuis 1882, mais disparue au début du XXe siècle), qui appartenait à Robert Bellanger, elle a décidé de faire renaître avec son frère ce nom, pourtant oublié depuis 100 ans. 
« À la ville de Petrograd » est un nouveau défi pour Veronika. Elle veut sauvegarder l’âme de ce dernier rescapé de la première génération des restaurants de la cuisine russe à Paris. Il a été fondé en 1924 par un officier de la Garde de Nicolas II au numéro 11 de la rue Daru et a été tenu par les représentants de différentes vagues de l’émigration russe. Avant la Seconde Guerre mondiale, l'enseigne a traversé la rue Pierre le Grand et s’est retrouvée au rez-de-chaussée du numéro 13. 
Durant presqu’un siècle, il y avait deux restaurants de « Russes blancs » sur cette rue qui se souvient encore des cliquetis des bottes des soldats et officiers de l’armée du tsar et des chaussures élégantes des aristocrates russes en exil. Néanmoins, « Le Daru » n’existe plus depuis quelque temps, remplacé par une enseigne italienne.
La nouvelle propriétaire a rajeuni l’intérieur des salles, s’inspirant de la stylistique des éléments décoratifs traditionnels de la Russie ancienne. Elle a complètement réaménagé la cuisine, changé le répertoire musical, et a su faire venir une nouvelle clientèle, en grande partie franco-russe. 
En ce qui concerne le menu, l’idée est de garder l’esprit des premiers restaurants russes à l’étranger : proposer des plats de la cuisine traditionnelle russe « comme à la maison », qui ne peut se passer des fameuses soupes au chou ou à la betterave , des petits pâtés fourrés, des tourtes à la viande et au poisson, des pelmeni, du hareng cuit au sel et d’autres plats sans prétention qui n’ont pourtant pas perdu leur attractivité auprès des habitués des lieux et provoquent toujours la curiosité des nouveaux clients.  
Ouvert après rénovation en juillet 2020 et obligé d’arrêter l’accueil des clients dès octobre à cause du confinement, « À la ville de Petrograd » propose des plats à emporter. Comme tout le secteur, il éprouve des difficultés et la gérante ne s’aventure pas à faire des pronostics pour les mois à venir. Néanmoins, l’idée de proposer aux étudiants des repas chauds a mobilisé toute la petite équipe de l’entreprise et a même attiré des bénévoles qui sont venus en renfort.
La décision d’offrir des repas aux étudiants a été prise par Veronika spontanément après la diffusion par les médias français d’un reportage sur la situation désastreuse dans laquelle se sont retrouvés de nombreux jeunes à cause des restrictions imposées par la pandémie en cours.
« Ce n’est pas vraiment un exploit, d’autres institutions pourraient faire pareil. Même sans beaucoup de moyens on peut prendre des produits basiques et préparer des plats simples. Un tel geste ne coûte pas cher, mais combien de joie, de plaisir et de chaleur cela peut procurer à des personnes qui se sentent seuls et abandonnés. Avec notre chef Elena nous sommes mères également, nous avons des enfants étudiants et je ne peux pas rester indifférente en sachant qu’il y a aujourd’hui des enfants, désespérés à ce point, qu’ils pensent au suicide. Il faut tout faire pour survivre à cette crise, mais le plus important, c’est de ne pas perdre notre humanité » , avoue Veronika, émue.   
Veronika se souvient, que le tout premier samedi, mi-février, après l’annonce sur les réseaux sociaux de l’initiative du restaurant, les premiers venus s'approchaient d'un pas timide, ils n’y croyaient pas trop et posaient la même question : est-ce que c’est vraiment gratuit ?
Le samedi 6 mars, nous avons aperçu aux portes du restaurant des étudiants de toutes origines. Certains sont venus pour la première fois, pour d'autres c’est la deuxième ou même troisième visite. Les bénévoles et l’hôtesse des lieux ont trouvé un mot gentil pour chacun, ont demandé des nouvelles à ceux qu’ils reconnaissaient, et proposaient à tout le monde un café chaud avec un gâteau au fromage blanc avant d'offrir un sac à lunch emballé pour le transport.
Or, cette petite pause-café, pour beaucoup de ceux qui sont venus ici, est devenue la seule opportunité ces derniers mois de partager des nouvelles avec des confrères, de faire de nouvelles connaissances, d'obtenir ou de donner des conseils utiles, ou tout simplement de voir de nouveaux visages et de commencer de nouveaux projets pour l'avenir.
Quelques-uns, profitant de la journée ensoleillée, ont déballé leurs repas en face, dans le square de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky et sont revenus au restaurant remercier pour le délicieux déjeuner, provoquant le sourire heureux de Veronika et ses associés.
Karina, Daria et Angela sont venues en France de Biélorussie au mois de janvier, en pleine période de couvre-feu, dans le cadre du programme d'échange d'étudiants Erasmus, pour poursuivre des études juridiques à Paris I. La vie parisienne, dont rêvent probablement toutes les jeunes filles au monde, s'est avérée n’être en fait pas si rose. Elles ne sont pas boursières et l’absence de possibilités de trouver des petits boulots en raison de la pandémie ne facilite pas les choses. « C’est vraiment bien cette initiative. En sachant que tous les restaurants et cafés sont fermés, il n’y a aucune possibilité d’organiser une petite sortie. Et je ne cache pas, c’est très agréable de goûter depuis le départ de la maison une cuisine familière. On retrouve ici notre fameuse hospitalité russe. Ça fait chaud au cœur » , dit Karina. 
Eddy, un étudiant franco-tunisien et Damien, étudiant français, Parisien aux origines russes, ont vu l’annonce le matin-même sur le compte Instagram du Guide Ultime de Paris. Tous deux sont en classe prépa pour le concours de l’École Normale Supérieur.
« Je viens de Tunisie et j’habite seul à Paris. Je n’ai pas vraiment de problèmes matériels, c’est plus par rapport au moral : ça fait sept mois que je n’ai pas vu mes parents. Je suis venu pour découvrir une nouvelle culture, goûter à quelque chose que je ne connais pas du tout, ça me change un peu de mon quotidien, et des pâtes qu’on mange tous les jours » , reconnaît Eddy.   
« Ma grand-mère, qui est venue de l’ Union soviétique , m’a toujours incité à aller au moins une fois rue Daru pour voir la cathédrale, et je n'y suis jamais allé. Quand j’ai vu l’annonce et l’adresse du restaurant, je me suis dit : c’est une belle occasion » , révèle de son côté Damien.
Mikhaïl, de Saint-Pétersbourg , étudie à Rennes depuis l’automne 2019. Il est venu ce samedi midi avec Nadejda, Pétersbourgeoise comme lui, qui a fait ses études à l’IMT Mines d’Alès, et Sylvain, un étudiant français d’Alès également.
« Ce n’est pas facile en ce moment pour les étudiants, il faut avouer, et c’est toujours un plaisir de retrouver la cuisine russe. En France, les soupes au déjeuner sont quasiment inconnues, et au bout de quelques mois elles nous manquent. Ces repas gratuits sont une aide précieuse » , dit Mikhaïl.
« C’est un important soutien moral quand même, puisque nous n’avons pas eu de possibilité depuis longtemps de revenir à la maison. On retrouve ici beaucoup de russophones et c’est une rare occasion de parler sa langue d’origine » , ajoute Nadejda.
Sylvain, qui parle un peu le russe et s’intéresse à la culture russe avoue que « c’est un vrai plaisir de manger de temps en temps autre chose que les repas du CROUS et de se retrouver avec les amis dans une ambiance aussi sympathique » .
Nadège est Tchèque et parfaitement russophone. Elle est étudiante en finance corporative à l’INSEEC de Paris. Une fois le repas reçu des mains de l’équipe du restaurant, elle se tourne tout de suite vers un groupe de jeunes gens qui discutent juste à côté et propose de faire connaissance. Quelques mots échangés et les voilà partis tous ensemble au parc pour la suite de la journée. « Pour moi c’est une excellente opportunité, je viens de rejoindre à l’instant un groupe d’étudiants Erasmus sur les réseaux, j’ai déjà des rendez-vous pour des balades et différentes rencontres. On n’en peut plus de rester chez soi tout seul ! » , se réjouit-elle.
Angela est venue à Paris de Novossibirsk il y a deux ans, elle suit un programme de double diplôme. « Moi et mes amis apprécions vraiment cette opportunité, c'est une aide précieuse et nous sommes reconnaissants au restaurant pour les repas, mais c'est aussi un soutien moral important. D’ailleurs, mes amis, qui ne connaissaient pas la cuisine russe, sont revenus une deuxième fois, car ils ont vraiment aimé les plats qu’on nous a offerts » , sourit la jeune fille.
Dans la semaine en cours, qui se termine, selon le calendrier orthodoxe russe, par la joyeuse fête de Maslenitsa (Mardi Gras) le 14 mars, toutes sortes de crêpes et de blinis seront cuites dans la cuisine du restaurant. Ensuite, à l’approche de Pâques, Elena, « la reine de la pâtisserie » selon Veronika, cuisinera des paskha et des koulitchs, gâteaux consommés exclusivement lors de cet événement. Pour ceux qui n’arrivent pas à s’y retrouver, « À la ville de Petrograd » publie sur sa page Instagram des informations sur les traditions culinaires russes.
Dans cet autre article , nous vous expliquions comment le secteur de la restauration en Russie se relève du confinement.

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