Une pipe à couper le soufle

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Du sexe à couper le souffle : à la découverte du facesitting


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par
Michael Petkov-Kleiner

Publié le 9 juillet 2022 à 19h00 Mis à jour
le 29 juin 2022 à 17h11

© Namio Harukawa Estate (détail), courtesy of Baron books
Entre domination, étouffement, strangulation et désir de verticalité, des adeptes de cette pratique assez peu connue confient leurs émotions.
Il est 17 h, samedi 21 mai. J’ai un cul sur la tête. Un magnifique cul. Je suis dans le noir total et mon visage est écrasé par les fesses de ma partenaire que j’appellerai A. pour conserver son anonymat. Je ne suis pas mal dans cet étau de chair : mon nez est enfoncé dans son anus et ma langue flirte avec son clito. Les fragrances qui pénètrent ma bouche et mes narines sont de francs et bons arômes de sexe. Au centre de l’œil du cyclone, je commence cependant à manquer d’air. Putain, ouais, j’étouffe.
A., elle, prend plutôt son pied en faisant allègrement gigoter son derrière sur mon visage. Je lui tapote sur la main comme un scaphandrier qui réclame de l’oxygène. Elle relâche la pression un moment en relevant son cul puis repart de plus belle. C’est un fait : je suis une chose, un objet, une chaise, une cuvette de chiottes, un jouet. Je suis la passivité incarnée. J’essaie tant bien que mal de prendre l’initiative avec ma langue, mais la lutte est bien trop inégale face à la puissance de cette position.
Les minutes s’égrènent, entrecoupées de respirations. Puis A. semble vouloir passer à autre chose et me délivre de cette prison tropicale. Je remonte à la surface, la tête dans le sac, comme si des mains invisibles avaient comprimé mes globes oculaires. Je retrouve peu à peu ma vision et ma liberté.
La vie est belle, je viens de découvrir les joies du facesitting, un truc dans lequel je suis totalement néophyte. Le nez plein de cyprine, je me suis alors souvenu d’une phrase que mon grand-père me disait toujours en allumant sa pipe : “Petit, il faut que tu sortes de ton trou et que tu ailles à la rencontre de ce que tu connais mal.” J’ai donc suivi son conseil et décidé d’explorer le monde merveilleux du facesitting.
Une dizaine de sites ont fait de cette pratique leur spécialité comme Brutal Facesitting, FacesittingGirls, Shes Boss, FaceSittingMoms ou encore Deviant David, le site d’un petit pépère qui aime se faire “facesitter” depuis 2006. À quelques variantes près, les vidéos qui impriment ma rétine se ressemblent : des mecs se font engloutir passionnément la face par des meufs enjouées et dominatrices.
J’essaie de glaner des informations solides sur la question, mais je me retrouve face à une multitude d’articles qui relaient des affirmations mal sourcées s’apparentant à des légendes urbaines : le facesitting aurait été très en vogue chez les femmes de haut rang (dont les reines), afin de soumettre les esclaves à leur plaisir – sans tomber enceintes. Et on aurait identifié cette position aussi bien dans la Perse antique, l’Égypte ancienne, le Moyen Âge européen qu’à l’époque victorienne.
“ La femme ne doit se préoccuper que de son plaisir et de sa satisfaction personnelle”
Face à ce chaos informatif aguicheur mais peu fiable, je préfère joindre Christophe Bier, historien émérite de la pornographie, collectionneur de littérature SM et auteur du récent L’Obsession du Matto-Grosso (Édition du Sandre), qui retrace ses quarante années d’un dévorant intérêt pour les sexualités “déviantes”. “La première occurrence chronologique sérieuse et explicite que je peux vous donner, c’est Sous la croupe féminine, un livre paru en 1938 et écrit par Jim Galding, m’explique-t-il.
Là, il s’intéresse exclusivement au facesitting, et l’on peut y voir un homme réduit à un pot de chambre. Ce qu’il y a de particulier avec ce livre, c’est qu’il traite de cette position alors qu’elle a été très rarement évoquée dans la littérature femdom. Quelles que soient les époques, cette position nécessite une femme dominante et exigeante et un homme obéissant. La femme ne doit se préoccuper que de son plaisir et de sa satisfaction personnelle sans souci de la détresse, de l’humiliation et de l’inconfort de sa victime. D’où aussi l’autre appellation du facesitting, le queening. ”
Il y a quelque chose de profondément gynarchique dans cette pratique puisqu’elle symbolise une nette prise de pouvoir féminin. En traînant sur les sites de femdom, je me rends compte que, effectivement, le facesitting est un grand classique de la grammaire des dominas. Ça tombe bien, une domina, j’en connais une, et pas des moindres : Ibicella. Inlassable performeuse dans le milieu BDSM et créatrice de contenus vidéo depuis maintenant dix ans, cette maîtresse de choc a déjà été maintes fois nominée à de prestigieuses récompenses : AVN Awards 2020 (Favorite Domme) ou Xbiz Awards 2020 (Best Fetish Clip Artist).
Ibicella s’est donné pour mantra de “diffuser la supériorité féminine dans la pornographie francophone” ). Au téléphone, de sa voix douce, Ibicella me dit qu’elle adore “facesitter” aussi bien dans le cadre professionnel que personnel : “J’aime cette position parce que je suis très fan de breath play, c’est-à-dire du fait de jouer avec les étouffements de mes soumis. Et je ne fais pas ça forcément sans culotte, car il y a pas mal de fétichistes du jean et du cuir qui préfèrent que je sois habillée.”
“La meilleure configuration, c’est lui allongé et moi assise dessus, le corps tourné vers ses jambes. Comme ça, tu recouvres vraiment tout le visage”
Sur la notion de rapport de domination, son discours est très clair : “Pour moi, quand tu branles un mec, même si c’est light, c’est toi qui contrôles. Là, c’est la même chose mais avec beaucoup plus d’intensité. Quand tu t’assieds sur le visage de quelqu’un, tu décides quand il peut respirer, quand il peut te voir…” On en vient ensuite aux considérations techniques, et je récolte grâce à sa grande expérience des conseils de qualité supérieure.
“La meilleure configuration, c’est lui allongé et moi assise dessus, le corps tourné vers ses jambes. Comme ça, tu recouvres vraiment tout le visage : le facesitting, c’est quand même beaucoup axé sur les fesses, l’anus… Ensuite, il faut être à l’aise avec son corps, avec son sexe, et ne pas avoir peur de jouer ‘dangereusement’ avec la respiration de l’autre. Et puis, il faut de temps en temps chercher son regard – ça m’excite beaucoup les échanges de regards. Enfin, il y a aussi les variantes : masturber son partenaire en même temps, c’est le must car j’ai deux fois le contrôle – sur sa queue et sur son souffle. Plus ‘vanille’ [conventionnel], ça peut partir en 69, plus ‘kinky’ , il y a le scissors hold [prise en ciseau], qui consiste à serrer le cou énergiquement avec ses cuisses. C’est de la strangulation.”
Pour conclure notre discussion, Ibicella apporte une précision : “Perso, le facesitting n’est certes pas la meilleure position pour apprécier un cunnilingus, mais cela va me procurer un plaisir cérébral extrême. Franchement, essayez cette position, à condition d’être bien détendue et d’avoir un partenaire qui ne bouge pas.”
On pourrait penser qu ’ il s ’ agit d ’ une pratique de niche réservée exclusivement aux donjons sadomasochistes – et l’on n’aurait pas forcément tort. Ses représentations étant relativement rares dans la pop culture (à part l’hilarante chanson des Monty Python, Sit on My Face ), il est surtout présent dans la littérature fétichiste avec First Time Facesitting de Scarlett Steele, Your Face Is My Seat: a Facesitting Story de Caroline Hewitt ou The Facesitting Collection – 11 Stories, 75,000 Words of Femdom Heaven de Lucy Simmons.
Namio Harukawa est au facesitting ce que Michel-Ange est à la chapelle Sixtine. Désormais reconnu comme l’un des artistes fétichistes japonais les plus cultes des années 1960 et 1970, celui qui naquit à Osaka en 1947 portait un pseudo construit sur une anagramme de Naomi – une héroïne de roman de Junichirō Tanizaki – et le nom de l’actrice Masumi Harukawa (connue notamment pour son rôle dans Désir meurtrier de Shōhei Imamura en 1964). Après avoir fait ses armes chez Kitan Club, un magazine japonais post-Seconde Guerre mondiale spécialisé dans le SM, Harukawa ne cessa de dessiner des femmes très voluptueuses coinçant des visages masculins dans leurs amples derrières, mais ne fut reconnu qu’à partir des années 2000.
“La popularité assez récente du travail de Harukawa est à rapprocher de la montée du féminisme et du mouvement body positive . Bien que son travail puisse être comparé à celui de Robert Crumb, aucun autre artiste n’a dessiné des femmes grosses qui s’éclatent ainsi”, analysait l’universitaire Pernilla Ellens pour le magazine d’art et de mode AnOther en 2021, dans un article consacré à Harukawa – disparu en 2020 –, à l’occasion de la sortie d’un recueil de ses œuvres chez l’éditeur Baron.
Cependant, cette position a commencé à être médiatisée en 2014, après que le gouvernement britannique a interdit la représentation de trois actes sexuels jugés dangereux dans le porno produit sur le territoire : la strangulation, le fisting et le facesitting, entraînant des manifestations de travailleur·euses du sexe (TDS).
La presse mainstream s’est alors penchée sur la question, et une multitude d’articles plus ou moins sérieux ont fleuri sur cette pratique. En 2018, The Sun et The Daily Star titraient même qu’il s’agissait de la position de l’année. Le facesitting s’est alors légèrement ouvert au grand public et, en 2022, il n’est plus nécessaire d’être une domina professionnelle pour maîtriser cet art.
“Je pense que les garçons qui aiment ça aiment l’idée d’être écrasés par une teuch”
Pour preuve, Aga, 36 ans, n’est pas maîtresse SM mais bosse dans le secteur musical et apprécie vraiment le facesitting, découvert à l’automne dernier au détour d’une annonce postée par un inconnu sur Pure, une appli de rencontres de cul : “Il disait qu’il voulait reproduire les dessins de Namio Harukawa, un artiste japonais que je ne connaissais pas. J’ai découvert qu’il dessinait quasi systématiquement des images de facesitting, avec des énormes femmes callipyges et un tout petit bonhomme coincé dans leur cul.” Aga prend rendez-vous avec le fan de facesitting.
“L’idée du poids fait un peu stresser au départ… J’avais peur de l’étouffer. Je suis loin d’être une anorexique, tu vois… Je me reposais sur mes talons, je n’osais pas m’asseoir véritablement, mettre tout mon poids. Et puis, à un moment, je me suis dis que je n’allais jamais pouvoir jouir si je ne lâchais pas prise. Je m’assurais quand même que sa tête ne soit pas trop rouge. Mais il faut lâcher prise, j’ai pris la route de l’orgasme et pas celle de l’empathie !
Je pense que les garçons qui aiment ça aiment l’idée d’être écrasés par une teuch. Et puis ce premier mec m’a dit ‘Écoute, au pire, c’est une belle façon de mourir’. On a ri et on a désamorcé le truc.” Bilan : “Ça se rattache moins à la domination qu’au fait d’avoir le haut du corps levé, bien droit. Cette verticalité me procure une sensation extraordinaire. C’est une pratique que j’apprécie beaucoup visuellement parlant. J’y repense ensuite pour me masturber. Je m’y trouve belle.”
La vie est une histoire de points de vue, et pour que ce voyage initiatique dans les tréfonds de ce kink soit complet, il me fallait recueillir les paroles d’un dominé, d’un homme qui en a fait sa raison de vivre. FaceForYou, 39 ans, rencontré sur le forum du site Fessestivités, gros carrefour des aficionados de la fesse, est un adepte du facesitting, auquel il s’adonne depuis plus de vingt ans. Il entame notre discussion en rentrant tout de suite dans les détails.
“Quand la dominatrice est assise, le visage orienté vers mes pieds, c’est la configuration parfaite. Le clitoris peut être la cible de la langue agile et bien souvent le nez est au cœur du temple de la nativité. L’orifice voisin est très proche, suivant la zone dégustée, le nez peut aussi se retrouver au cœur de la petite rose étoilée. Si je préfère cette position, c’est avant tout parce qu’au moment de la jouissance de madame, même mon nez me transmet ses contractions. Personnellement, dans cette position, je me noie dans ses trémoussements, ses agitations m’enchantent et me comblent quand elle vibre de bonheur et s’abandonne au plaisir . ”
“Il y a des fois où cela a un goût de miel, des fois c’est plus pimenté et cela est indépendant de l’hygiène”
Oui, FaceForYou est un véritable poète et continue sans se faire prier son éloge du queening : “Venons-en aux papilles gustatives ! Le goût des sécrétions féminines varie comme le goût du sperme de monsieur. Il y a des fois où cela a un goût de miel, des fois c’est plus pimenté et cela est indépendant de l’hygiène. C’est pour cela que je n’aime pas trop les savons forts masquant le goût de la partenaire. Vous l’aurez compris, j’aime bien trouver en cette zone ravissante un petit goût naturel 100 % bio.”
Enfin, m’avouant qu’il affectionne se faire attacher dans cette position, il m’écrit : “La position du facesitting étant très proche de l’image de la dame assise sur les WC, cela ouvre la voie à de nombreux fantasmes. Ces fantasmes, certains et certaines les réalisent et y prennent grand plaisir. Ne soyez pas dégoûté, si la dame a bu beaucoup d’eau au préalable, son urine est constituée à 95 % d’eau et n’a quasiment aucun goût. Cela s’appelle aussi boire à la source de la vie et, dans cette position, c’est réellement une forme de domination. Personnellement, j’aime bien ! Par contre, le côté scato ne m’intéresse pas. Je ne serai cependant pas fâché si, au moment de sa jouissance, un prout s’échappe, mais je n’accepte rien de plus.” 
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