Une hongroise sexy se touche

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Une hongroise sexy se touche


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Créé le: 11.12.2016

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Suite hongroise


Une suite hongroise cache plusieurs accords...
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Le numéro de téléphone avait immédiatement capté mon regard, à côté du nom séduisant de Chorale Jazz Manouche. Une belle brochette de six et de deux. Rapidement, j’additionnai les chiffres et me sentis soulagée que le résultat soit un nombre pair. Depuis toujours, je raffole de ces chiffres ronds. Deux par deux. Il faut dire que ce chiffre deux représente un idéal car cela fait des années que je suis célibataire. Les hommes s’approchent de moi et une fois qu’ils sont un peu trop près, ils s’éloignent de nouveau. Je ne comprends pas vraiment pourquoi. Mes jambes sont courtes mais ma taille est fine, mes épaules bien carrées, ma poitrine bien proportionnée. Certes, je ne ressemble pas à ses couvertures de magazine mais je considère que j’ai un certain charme : méridional voire même oriental. Mon teint reste mat même l’hiver.
Chorale Jazz Manouche. Une drôle de combinaison. A part Thomas Dutronc, j’ai plutôt le souvenir que ce type de jazz ne se chante pas. Toute l’annonce me plut. Légèrement décalée. Chorale Jazz Manouche cherche ténors et basses. Audition mercredi 7 sept 20h Salle Jacques Prévert. Bonne humeur et persévérance indispensables. Spectacle unique prévu en juin à la salle Centrale de la Madeleine. Succès garanti.
Le « succès garanti » me parla. Mon métier de professeur de mathématiques m’apporte la sécurité et une certaine rigueur mais loin de moi le succès garanti. Dans cette ère numérique, l’on croise des élèves paresseux et endormis.
L’époque des tables de multiplication me semble d’une grande poésie. Je crois d’ailleurs que c’est à cette époque des tables que j’ai découvert ce faible pour les chiffres avec un certain goût pour la cadence et le tempo. Le style jazzy.
Oui, avec le recul, cette annonce saugrenue pour cette chorale m’avait tapé dans l’œil pour d’autres raisons que mon faible pour les chiffres pairs. L’évocation du jazz manouche. Le violons, le swing, le rebond… J’aurais vu une affiche pour un chœur classique, mes yeux bien aiguisés derrière leurs grosses lunettes en écaille n’auraient pas cligné et je n’aurais pas ressenti cette excitation.
De retour à la case départ dans mon appartement solitaire, je décidai d’appeler. Je n’avais rien à perdre. Je fus surprise de voir que mon cœur battait la chamade en tapotant les chiffres sur mon téléphone. La sonnerie s’éternisa pour atterrir sur une boîte vocale où une voix de femme soprano, vu le tremolo, me rappelait en articulant exagérément :
– « Bienvenue à vous qui êtes intéressée par notre chorale. Rendez-vous à la salle Jacques Prévert mardi 7 septembre à 20h. Nous cherchons des ténors et des basses de préférence.».
Toute la semaine, je pensai à cette chorale. Le lundi, je tentai de chercher les mélodies connues propres du jazz manouche et les passai en boucle dans ma voiture. Ma camionnette s’accorde très bien d’ailleurs à cet esprit gipsy. En m’écoutant chanter avec ma voix grave, le nom de Stéphane Grappelli me vint à l’esprit. Je me souris en m’envoyant un clin d’œil dans le rétroviseur. Oui, j’allais me rendre à cette audition. Pas nécessaire d’acheter la revue du Hot Club de France. Ma voix rauque de fumeuse ferait l’affaire et correspondrait peut-être à un ténor. Le mardi, je rêvais un peu en cours. Les élèves en profitèrent pour bavarder mais je laissais courir. Je n’étais pas une prof mais déjà une choriste jazzy. Très stylé. Mercredi, je pensais à ma tenue. Je choisis un décolleté histoire de mettre en valeur mon coffre apétissant.
Le Jour J arriva. Dans la salle Jacques Prévert, une femme qui ressemblait à une souris m’accueillit à l’entrée. Dès qu’elle commença à parler, je reconnus la voix de la femme du répondeur :
– « Prenez place avec les nouveaux là, sur l’estrade à gauche. Merci. »
Mon regard se dirigea vers la scène. Une quinzaine de personnes s’affairait sur l’estrade. Plutôt des femmes. Elles s’étaient toutes mises sur leur 31. Aucune ne portait de pantalon comme moi. Confiante, je me frayai un chemin et m’installai près d’une grande maigre aux yeux violets qui paraissait timide.
– « Toi aussi c’est la première fois ?
– Oui, je n’ai jamais chanté dans une chorale mais je chante sous la douche et dans ma voiture. »
Nous dûmes interrompre notre conversation car tout le monde se tut d’un coup et un homme entra dans la salle. Vu sa prestance, j’en déduis que c’était le chef de la chorale.
– « Bonsoir à toutes et à tous. Je suis votre chef de chœur : Chandor Kocsis. Ma mère est française et mon père était hongrois. Je suis un grand fan de jazz manouche. J’ai joué longtemps de la clarinette mais pour moi le plus bel instrument reste la voix. Elle peut jouer plus de notes et varier les tonalités. C’est pourquoi j’ai ouvert cette chorale. Pour innover. Un jazz pur sans tambour ni trompette avec simplement vos voix. Je suis très curieux de vous écouter. Je vais vous expliquer comment cela va se passer et ensuite je vous proposerai un petit jeu. »
Chandor Kocsis me fascina immédiatement par sa voix chaude et son accent slave. Je l’écoutai attentivement tout en contemplant son visage lisse, ses yeux très noirs, sa masse de cheveux poivre sel. Je remarquai son regard légèrement enflammé qui détonnait avec son allure longiligne.
– « Vous allez chacun d’entre vous, vous présenter et me dire pourquoi vous venez aujourd’hui, pourquoi vous avez choisi cette chorale et pas une autre et ensuite je vous demanderai de répéter une mélodie que je vous jouerai au clavier pour identifier votre timbre de voix. Son épaule gauche se haussa soudain de manière saccadée. Probablement un tic. En tous cas, je pensai au tempo staccato.
– « Je m’appelle Margot avec un T. Je chante sous la douche et dans ma voiture mais aimerais progresser. J’aime les chiffres pairs. J’ai une voix plutôt basse. J’ai trouvé votre affiche très attirante. Je crois que j’ai une âme de gitane et je suis sensible au jazz manouche.
Il tapota clairement les notes et je me lançai en gonflant la poitrine pour prendre de l’assurance.
– « Oui. Vous êtes ténor. Rare pour une femme. Vous avez votre place mais attention ici ce n’est pas du tout une parenthèse ou une colonie de vacances. Il faudra aussi travailler à la maison et ne pas se contenter de venir aux répétitions du mercredi soir. »
Je répondis avec un entrain légèrement exagéré que je considérais cette nouvelle activité comme un vrai défi, que j’étais professeure de mathématiques et que j’aimais bien qu’un raisonnement se tienne. Ma réponse fut appréciée car la Souris du répondeur nota mon nom sur une feuille: Margot Chevrolet. Les autres choristes passèrent leur tour sur l’estrade. Chaque femme fit son petit numéro de charme. L’envie de plaire s’imposait rapidement devant ce chef de chœur. Le défilé de mode dans la salle Jacques Prévert.
Le jeu fut amusant. Nous devions passer devant chaque personne en prononçant notre nom en articulant, accentuant la prononciation et en chantant dans notre registre. Je remarquai, au passage, que nous n’étions pas plus d’une quinzaine et que la gent féminine était bien représentée. A la fin de la répétition vers 22h, Chandor nous remit le calendrier de l’année. Les rendez-vous remplissaient bien l’agenda. Tous les mercredis et plusieurs week-ends étaient réservés à des répétitions intensives dont un dans un gîte à la Brévine.
Les mercredis se suivirent naturellement. Tout le programme reprenait des morceaux de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli. Chandor était accompagné de trois musiciens, un guitariste, une contrebasse et un violoniste. Très vite, j’adhérai à sa méthode. On ne badinait pas avec les répétitions… Son regard devenait fiévreux et sa voix chaude de ténor descendait dans les basses quand il devait sévir.
Un jour, il nous demanda de chanter en dansant. Le violon s’envola et virevolta à faire éclater les néons du plafond de la salle communale. Ce fut mémorable. Agnès, la grande maigre aux yeux violets se lâcha complètement et commença à se déshabiller lors d’une séance de « Lindy Hop ». Notre chef devint écarlate et lui demanda de sortir de la salle. Depuis ce jour là, l’ambiance devint électrique. Nous commençâmes à préparer l’un des morceaux prévus pour le spectacle « T’as la touche manouche » du groupe la « Caravane Passe ». Grandiose.
Je pris tellement goût à cette chorale que je gagnais en confiance. Des hommes s’approchèrent. Jim, le prof de sport qui ne m’avait jamais même considérée m’invita à prendre un verre…mais personne ne m’attirait vraiment. La chorale occupait mon esprit.
Le rythme restait soutenu et je remarquai un jour, avec un léger arrière-goût dans la bouche que le groupe se réduisait sérieusement. La Souris nous expliqua que plusieurs personnes ne viendraient plus pour des raisons personnelles. Nous étions une quinzaine au début et nous n’étions plus que six pour le week-end à la Brévine. Je me rassurai : les meilleurs restent. La Souris semblait épuisée. Elle était l’ombre de Chandor. Elle s’occupait de toute l’organisation du concert prévu pour la fin de l’année et donnait toujours l’impression de porter un grand fardeau sur ses épaules.
Au cœur du mois de janvier, en arrivant à la Brévine pour le premier grand week-end de répétition, ce fut d’abord un véritable choc thermique. Chandor nous rassura en expliquant en riant que cet endroit était aussi appelé la Sibérie de la Suisse mais que notre swing manouche allait nous réchauffer. Malgré ces bonnes paroles, je dormis très mal la première nuit dans le gîte. Je fis un rêve étrange. Tous les choristes disparaissaient un par un sans raison et je me retrouvais seule dans une pièce enfermée. J’entendis la voix de la Souris et de Chandor qui chuchotaient. Je me réveillai le matin de la première journée en me promettant de tendre l’oreille et d’être attentive à tout évènement insolite.
Une pluie glacée tomba toute la journée battant contre les carreaux de manière intempestive. Comme si elle était pressée de s’arrêter. Le gîte prenait l’humidité et une odeur de moisi s’infiltra en sourdine dans la salle où nous répétions. Quelle idée de nous emmener dans ce coin perdu… C’est l’esprit manouche de voyager mais il y a des limites. Un bémol dans cette aventure qui jusqu’à présent semblait parfaite ? Au moment du petit déjeuner, Chandor nous annonça qu’il aimerait travailler individuellement avec chaque choriste. La Souris afficha au mur une liste de passage. Mon tour était tard à 19.00. Intimidée malgré moi de me retrouver seule avec Chandor, je me maquillai les yeux, réajustai mon décolleté et me parfumai. Je jubilai tout l’après-midi tout en ressentant ce léger malaise qui m’avait gagnée lors de mon arrivée à la Brévine. Etais-je vraiment à ma place ici ? Pourquoi une si grande réduction du nombre de participants ? Les raisons derrière ces départs étaient-elles vraiment personnelles ?
Le cours privé était donné dans une cabane, une sorte de mazot, à quelques mètres du gîte. A 19h.00, je m’y rendis. Le soir était tombé. Des gouttes de pluie glacée ruisselaient sur mon visage. Je frissonnai en marchant.
La porte s’ouvrit dans un grincement. Chandor m’attendait et me sourit.
– « Bonsoir Margot. Tiens assieds-toi sur cette chaise. Comment te sens-tu ? C’est ici que je trouve mon inspiration…Prête ? »
D’un coup d’œil, je photographiai rapidement la pièce. Un vieux luminaire recouvert d’un velours pourpre se balançait. Sur une chaise, je remarquai des partitions, une clarinette. Soudain, mon cœur s’arrêta. Dans un recoin de la pièce, je vis, pendues à des cintres, deux aubes de prêtre bien repassées avec un crucifix.
Chandor Kocsis avait donc quitté la robe pour la chorale manouche. Une parenthèse dans sa vie. Moi, Margot Chevrolet, prof de maths et célibataire, je n’avais pas fait fausse route. J’avais aussi choisi la suite hongroise. La voix de l’âme.
Bonjour Suzy,
Merci pour ce commentaire "noctambule" qui me touche beaucoup :-)
Je découvre à l'instant "Suite Hongroise", et puis aussi vos "Gymnopédies provençales", et "Tsunami", des récits multi facettes, au charme envoûtant... Je me suis sentie portée par votre mélodie, par le mystère des arbres, par le charisme des personnages... Au plaisir de lire une prochaine nouvelle :-))

Pierre de Lune
Bonjour, en lisant votre suite hongroise, j'ai eu l'impression que vous avez, vous aussi, rejoint une chorale. On se laisse vite entrainer dans l'histoire, on sent bien les différentes étapes, on les vit quasiment et aussi, vers la fin, on a presque un peu peur que ça finisse mal. Mais en fait, c'est très bien tourné, je trouve.
Nous avons plusieurs vies en une seule comme le décrit si bien "Suite hongroise". Chacun a plusieurs déguisements à vivre pour se rapprocher de son authenticité. Merci Suzy Lire aussi Le rêve de Violetta de Anne-Marie Gabella ou comment une étudiante en médecine finit par devenir cantatrice. Vivez vos rêves!
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