Une beauté veut son os

Une beauté veut son os




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Une beauté veut son os

Dans le document La Beauté et ses monstres dans l'Europe baroque (16e-18e siècles)
(Page 83-88)



Dans le document La Beauté et ses monstres dans l'Europe baroque (16e-18e siècles)
(Page 83-88)





Robert Mankin



Poétique de la réversion, entrelacs du regard



La surface comme jouissance subversive



Violence et passion : le beau monstre 39



La beauté et l’horreur : une beauté horrible entre les os (Vous êtes ici)



Chimères et monstres fantasques



Michael Edwards



Du « presque rien » au « rien de plus »



Inceste et tragi-comédie



Laïla Ghermani



De la laideur aux humeurs : le héros réduit à sa peur



La couleur interdite : pictura non poesis



Olivier Jouslin



Athéna Efstathiou-Lavabre



Tanya Pollard



Xavier Cervantès







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27 La beauté peut aussi devenir monstre... Il suffit de la voir associée à des emblèmes de la
mort pour que l’horrible se manifeste au sein même du beau :

Je mire en adorant dans une anatomie
Le portrait de Diane entre les os, afin
Que voyant sa beauté ma fortune ennemie
L’environne partout de ma cruelle fin :
Dans le corps de la mort j’ai enfermé ma vie,
Et ma beauté paraît horrible entre les os [...]. 33

28 Singulière méditation sur un portrait accompagné d’un crâne ! Par une opération
volontaire de profanation, la beauté devient horrible comme Méduse, tout en restant
comme elle monstrueusement belle. Une beauté horrible entre les os comble le désir de
cet amant sado-masochiste. Éros et Thanatos, toujours en lutte, semblent sceller un pacte
provisoire...

29 De même, mais dans un autre registre, l’indignation du poète satirique, violemment ému
par la monstruosité d’une Catherine-Jézabel, magicienne maléfique, emblème du mal,
cède un instant devant un spectacle fascinant, celui de l’union monstrueuse, non
seulement outre nature, mais contre nature, des chiens et de la reine :

Les chiens se sont soûlés des superbes tétins
Que tu enflais d’orgueil, et cette gorge unie,
Et cette tendre peau fut des mâtins la vie [...]. 34

30 Portant inscrit dans son nom-surnom de Jézabel le sème de la beauté, la femme-monstre,
la sorcière aux pratiques maléfiques, est vue dans l’horreur d’une scène de profanation,
corps ouvert, ventre ouvert. Et le spectacle horrible ne manque pas de susciter une espèce
d’émotion sensuelle, qui suspend un instant la haine.

31 De Diane à Jézabel, la beauté est ainsi liée à l’horreur de la mort. Rien n’émeut plus que le
spectacle rêvé d’une profanation. Dans ces trois variations sur un même thème liant
beauté et monstruosité, Éros et Thanatos sont en conflit. Loin d’éteindre le désir,
l’horreur l’éveille – comme dans Le Musée noir de Pieyre de Mandiargues. Méduse,
Diane-Hécate, Jézabel, ces figures mythiques associent diversement la monstruosité à la beauté :
elles ne sont belles, peut-être, que parce quelles sont monstrueuses, éveillant un
désir-monstre, et elles ne sont monstrueuses que parce quelles sont belles. À côté du registre
conventionnel qui idéalise « l’objet de plus haute vertu », une petite note insistante se fait
entendre dans la poésie baroque, chantant les délices de l’horreur, le plaisir du déplaisir.

32 Il en va autrement, on s’en doute, avec la figure d’Hermaphrodite. Voici un beau monstre,
certes, mais un monstre bien troublant ! La bisexualité trouble en effet d’autant plus
qu’elle met du désordre dans le monde, et dans le système classificatoire qui l’organise et
permet de le comprendre ; et l’hermaphrodite en tant que monstre questionne les mythes
et les croyances, les sciences naturelles, l’astrologie, l’herméneutique et la théologie.
33 Du côté des mythes, à côté de l’androgyne platonicien qui fonde une philosophie de

l’amour, ou des amours, l’hermaphrodite attire l’attention de Léon l’Hébreu dans ses
Dialogues d’amour traduits par Pontus de Tyard 35 . Pour répondre à Sophie qui demande
« comme de lui [Mercure] et de Vénus fut engendré l’Hermaphrodite », Philon rappelle
l’étiologie astrologique du monstre :

[...] celui de qui en la nativité Vénus se trouve en maison de Mercure et Mercure en
maison de Vénus, et encore plus si ils sont tous deux conjoints corporellement, est
incliné en brutale et déshonnête et non point naturelle luxure : du rang desquels
sont ceux qui aiment les mâles, et qui n’ont point de honte d’être agents et passifs
ensemble, exerçant office non seulement de mâle mais aussi de femelle. Or est à bon
droit un tel homme nommé Hermaphrodite [Hermafrodit], c’est-à-dire de l’un et
l’autre sexe, né sous constellation en conjonction de Mercure et de Vénus. 36

34 L’hermaphrodite, corps incertain, provoque l’incertitude ; ainsi lorsque Ronsard dans l’
Hymne de l’Esté fait du printemps l’un des quatre enfants-saisons que Nature conçoit de
Soleil, alors que l’été et l’hiver sont mâles et l’automne femelle, le printemps est
hermaphrodite, incertain :

Des quatre embrassements que Nature reçut
D’un ami si ardent féconde elle conçut

Quatre enfants en un coup : l’un fut Hermaphrodite,
(Le Printemps est son nom), de puissance petite,

Entre mâle et femelle, inconstant, incertain,
Variable en effet du soir au lendemain [...]. 37

35 L’hermaphrodite interroge la science et la théologie ensemble, à cette époque où
rationnel et irrationnel voisinent. Boaistuau, soutenant que « les créatures monstrueuses
procèdent du jugement, justice, châtiment, & malédiction de Dieu, lequel permet que les
pères et mères produisent telles abominations, parce qu’ils se précipitent
indifféremment, comme bêtes brutes où leur appétit les guide », ajoute toutefois à ces
causes surnaturelles des causes naturelles, soit un défaut de la matrice, soit un accident
survenu durant la grossesse, hésitant entre deux types de causalité 38 . Le traité des
Monstres et prodiges du chirurgien Paré 39 juxtapose encore dans l’étiologie du monstre
causes naturelles et causes surnaturelles, celles-ci encadrant celles-là. Cependant le
chapitre VI , « Des hermaphrodites ou androgynes, c’est-à-dire qui en un même corps ont
deux sexes », établit l’étiologie naturelle du monstre :

Or quant à la cause, c’est que la femme fournit autant de semence que l’homme
proportionnément, et pour-ce la vertu formatrice, qui toujours cherche à faire son
semblable, à savoir de la matière masculine un mâle, et de la féminine une femelle,
fait qu’en un même corps est trouvé quelquefois deux sexes, nommés
hermaphrodites. 40

36 avant de laisser la parole au législateur :

Et à ceux-ci les lois anciennes et modernes ont fait et font encore élire duquel sexe
ils veulent user, avec défense, sur peine de perdre la vie, de ne se servir que de celui
duquel ils auront fait élection.

37 L’un et l’autre s’intéressent au monstre hermaphrodite de Ravenne, dont les gravures,
assez différentes, illustrent la conformation prodigieuse. Boiastuau :

Lecteur, ce monstre que tu vois ici dépeint, est si brutal & si éloigné de l’humanité,
que j’ai peur de n’être pas cru de ce que j’en écrirai ci-après [...] : un monstre ayant
une corne en la tête, deux ailes, & un pied semblable à celui d’un oiseau ravissant 8c
avec un œil au genoil, il était double quant au sexe participant de l’homme et de la
femme. Il avait en l’estomac la figure d’un ypsilon, et la figure d’une croix, et si
n’avait aucuns bras [...]. 41

38 Chaque marque est interprétée comme un signe par les doctes herméneutes, « lesquels
disaient que par la corne était figuré l’orgueil et l’ambition [...] : par les deux sexes, la
Sodomie [...] ».

On vit naître en la même ville [Ravenne] un monstre ayant une corne à la tête, deux
ailes, et un seul pied semblable à celui d’un oiseau de proie : à la jointure du genou
un œil : et participant de la nature de mâle et de femelle. 42

40 Le monstre prouve l’importance de la seconde cause, l’ire de Dieu : ces créatures sont le
produit d’une « confusion d’étranges espèces, qui rendent la créature non seulement
monstrueuse, mais prodigieuse, c’est-à-dire du tout abhorrente et contre nature » 43 . Le
monstre de Ravenne combine l’hybridité des espèces, humaine et animale (l’animal étant
lui-même hybride, à la fois naturel, comme l’oiseau de proie, et prodigieux, comme la
licorne), et l’hybridité sexuelle. Le monstre dit ici et là la sanction du péché, mais celui de
Boaistuau annonce aussi le salut accordé à celui qui se repent et se convertit à
Jésus-Christ, car à la différence de celui de Paré, il porte « deux signes salutaires » 44 , l’upsilon et
la croix.

41 Il est pourtant de beaux monstres, d’« admirables monstres », comme ceux que présente
Boaistuau au chapitre XXVIII ; l’un, un mâle, avait

deux belles têtes accomplies de toutes leurs parties, & deux faces joignantes l’une à
l’autre [...] avec une proportion merveilleuse [...]. Quant au reste du corps, il était si
bien fait & proportionné de tout ce qui est requis, qu’il semblait que nature se fut
délectée à le faire & à le former si beau. 45

42 L’autre, une femme à deux têtes, est encore « plus admirable que le premier, parce qu’il a
vécu plusieurs ans [...]. Ce docte philosophe Lycosthène écrit une chose merveilleuse de ce
monstre, car réservé la duplication de la tête, nature n’y avait rien omis » 46 . Mais si de tels
monstres et prodiges peuvent provoquer l’admiration, tel n’est pas le cas de
l’hermaphrodite, qui ne peut – ne doit – susciter que l’horreur.

43 L’hermaphrodite trouble, car il instaure du désordre dans le monde, marqué par une série
d’oppositions réglées qui fixent le régime de la différence sexuelle : celle-ci s’inscrit très
précisément à l’intérieur du système qui organise le monde, ses quatre éléments (Eau,
Terre, Feu, Air), et ses quatre propriétés fondamentales (Humide, Sec, Chaud, Froid),
selon un schéma différentiel, où chaque élément a une propriété de deux autres éléments
47 . La différence des sexes est l’exact reflet de cette structure : l’homme est un composé de
sec et de chaud, comme le feu, la flamme ; la femme est un composé de froid et d’humide,
comme l’eau, la mer. Dès lors que le monstre a les deux sexes ensemble, le système
classificatoire se trouve gravement perturbé, et avec lui, l’ordre même du cosmos.
44 Quant aux Andouilles de Rabelais 48 , ces étranges avatars du corps monstrueux, des

« prodiges, monstres et autres précédents signes formés contre tout ordre de nature »
(chap. 27), ces bêtes « farfelues » qui posent question à l’observateur : « quelles sont ces
bêtes-là ? » (chap. 35), elles tiennent leur caractère déconcertant et effrayant de leur
mixité : de forme phallique, elles enfantent pourtant, comme Mélusine la femme-serpent.
Le texte, illustrant l’angoisse de la castration, réactive la terreur enfantine que suscite un
phallus féminin réputé immortel : « navrées » lors de la bataille, les Andouilles terribles
ne ressuscitent-elles pas « en bien peu de temps » ? Devant elles, une seule solution, la
fuite : « Autres propos ne tint Pantagruel à la Reine, et se retira en sa nauf [...] ».

45 Dans un tout autre registre, A. d’Aubigné, lorsqu’il dessine le portrait du roi Henri III en
hermaphrodite, dit encore quelque chose de cet effroi que suscite une intersexualité
monstrueuse qui fascine et trouble l’observateur, le mettant « en peine » devant un être
« douteux » :

L’autre fut mieux instruit à juger des atours
Des putains de sa cour, et, plus propre aux amours,
Avoir ras le menton, garder la face pâle,

Le geste efféminé, l’œil de Sardanapale :
Si bien qu’un jour des Rois ce douteux animal,
Sans cervelle, sans front, parut tel en son bal [...]
Pour nouveau parement il porta tout le jour
Cet habit monstrueux, pareil à son amour :
Si qu’au premier abord chacun était en peine
S’il voyait un Roi femme ou bien un homme Reine. 49

46 C’est précisément ce monstrueux, ce douteux, qui fascinent Pontus de Tyard. Les Douze
Fables de Fleuves et de Fontaines (1585) 50 , fables d’amour et de mort, disent quelque chose
d’un Éros particulier, où un fort sentiment de culpabilité rencontre l’obsession du sexe
porteur de mort, et où insiste le fantasme de la bisexualité et de l’hermaphroditisme. Car
tel est le paradoxe noté par Marie Delcourt 51 : si la bisexualité provoque dans la réalité
une réaction d’effroi, une sorte d’horreur curieuse, elle est pourtant admirable dans le
mythe, et elle suscite alors une rêverie délicieuse. L’hermaphrodite inquiète,

Hermaphrodite rassure ! Et le bel Hermaphrodite ne cesse de fasciner les artistes et les
poètes maniéristes, rêvant d’avoir « les deux sexes ensemble », comme l’a montré Hocke 52
.

47 Dans ses Fables composées sur le modèle de l’emblème (un récit légendaire tenant lieu
d’inscription, une Description pour la peinture tenant lieu d’image, et un sonnet-glose),
Pontus de Tyard, fasciné par toutes les formes d’hybridité, comme son modèle
Philostrate, s’intéresse lui aussi à ces formes minérales et animales qui entrent en
composition avec les formes humaines. Ainsi le Triton de la troisième Fable :

Il a la tête chevelue, et de couleur telle que les Grenouilles palustres : le nez ainsi
qu’un homme, mais la bouche plus grande [...] et les dents comme une bête brute : il
a sous les oreilles des branches ou petits ailerons, comme les poissons. 53

48 Mais comme Philostrate il est surtout attiré par l’hybridité sexuelle : les huitième et
neuvième fables mettent en scène l’auto-érotisme, l’homosexualité, la bisexualité. Pour la
« Huitième Fable de la Fontaine de Narcisse », Pontus de Tyard préfère la version de
Pausanias à celle d’Ovide, ajoutant ainsi à la thématique de l’auto-érotisme le fantasme de
la gémellité incestueuse, propre à une forme d’homosexualité. Narcisse n’est pleinement
lui-même qu’avec sa moitié féminine : « L’un et l’autre se sent être un second soi-même »
54 . Il suit de près Philostrate, dont le célèbre chapitre « Narcisse »« Narcisse » s’attarde sur
le jeu complexe des reflets : « Cette source reproduit les traits de Narcisse, comme la
peinture reproduit la source, Narcisse lui-même et son image » 55 . Pontus de Tyard rêve à
un double féminin, tout semblable à sa moitié masculine, tandis que trois Narcisses se
donneraient à voir, un Narcisse jeune homme, un Narcisse jeune fille, un Narcisse reflet
de l’être double :

Faudrait peindre une jeune fille morte, toute ressemblante à Narcisse : et faudrait
qu’en un paysage solitaire et écarté, Narcisse fut couché auprès d’une fontaine, en
laquelle son image se représenterait comme dans un miroir : il serait peint d’un
visage mourant. Ainsi sa sœur, son image et lui seraient tous semblables. 56

49 La bisexualité, qui n’est qu’un fantasme pour Narcisse abusé, se trouve
« réalisée »« réalisée » dans le corps même d’Hermaphrodite. La « Neuvième Fable du
Fleuve Salmace qui fait les Hermaphrodites » rappelle 57 l’espèce de viol commis par la
nymphe Salmace sur le jeune garçon « rebours et dédaigneux à l’amour » comme
Narcisse :

Le jeune Hermaphrodite se dépouilla [...], et nu entra dedans le fleuve, pour se
baigner : là accourut Salmace, et l’embrassant essaya de l’inciter à lui donner
plaisir, mais ce fut en vain. Elle donc le tenant embrassé, impétra des dieux qu’elle
ne fut jamais séparée de lui : et furent si conjoints, que leurs deux corps assemblés
devinrent un. Alors Hermaphrodite par une autre requête impétra de Vénus, que
quiconque entrerait dans ce fleuve, devînt composé des deux sexes, tels que sont en
ce temps les hermaphrodites. 58

50 La « Description pour la peinture » porte trace de ce rêve de bisexualité, sur le mode du
comme si : « [...
Une nana en cosplay se touche
La première fois d'une blonde magnifique
Salope se fait baiser par un voleur

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