Une beauté indienne qui aime monter
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Une beauté indienne qui aime monter
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Par Amina Lahmar Le 26/01/2022
Par Céline Beaury , Anissa Rami Le 16/03/2022
Par Margaux Dzuilka Le 17/02/2022
Par Ayoub Simour Le 10/02/2022
Les salons de "beauté indiens" fleurissent dans les quartiers depuis de nombreuses années. Mais derrière les portes de ces instituts, se cachent des modèles de féminisme et d'entrepreneuriat issu de la diaspora pakistanaise, indienne ou népalaise. Amina Lahmar a franchi le pas de plusieurs établissements pour écouter une autre histoire de l'immigration en France. Reportage.
Au cœur du XIème arrondissement, dans un quartier plutôt bobo, on retrouve la boutique de Gurmeet Paulsingh. Juste à côté du croisement entre les établissements Lignac, incrusté dans la pierre claire des bâtisses, le rose de la devanture de Satya Beauté attire l’œil. Devant la porte d’entrée, les tarifs sont entourés de grandes photos de visages détendus, d’ongles peints et de dessins au henné.
En France, de nombreux salons de beauté sont tenus par des femmes desis (cette appellation renvoie à l’ensemble de cette immense communauté hétérogène du sous-continent indien). L’expression beauté indienne renvoie d’abord aux standards de beauté et à leurs processus, perpétués par de nombreuses communautés desis. Puis, d’une part, aux maquillages dits “bollywood”, que l’on retrouve dans le cinéma ou lors de cérémonies comme le mariage, pour les invitées ou la mariée. Et d’autre part, à une série de procédés d’entretien ou d’ornement du corps, comme l’épilation, l’Ayurveda (médecine traditionnelle indienne, NDLR) et différents soins du corps, qui varient selon les régions.
Gurmeet est la reine de son salon, Satya Beauté. Sa passion pour la beauté a commencé en Inde, et aujourd’hui elle poursuit son rêve depuis la France.
Si la beauté intérieure à son importance, les traditions ou les spiritualités renforcent l’idée d’une maintenance du corps. Le terme beauté indienne ne rend pas justice à la réalité, car uniquement il n ‘est pas uniquement cantonné à l’Inde mais plus généralement à l’Asie du Sud.
Les femmes, arrivées en France, emportent avec elles, des secrets de beauté. Parmi elles, Gurmeet, Iram ou Maya ont décidé de partager leur savoir-faire, et leurs compétences acquises ici en France, dans leurs salons de beauté.
Le salon de beauté de Gurmeet, ouvert depuis fin 2020, n’est pas très grand, mais il lui suffit amplement. Très élégante, ses longs cheveux noirs mettent en valeur ses yeux rieurs, soulignés par des sourcils épilés nickel-chrome. Son nez est décoré d’un petit koka doré, un nathori ou nathni , selon les dialectes, un bijou notamment porté par les femmes mariées. C’est elle la patronne de ce salon rose et bleu. C’est elle la capitaine de son rêve entrepreneurial fait de top-coats permanents et de bien-être.
Deux petites pièces, préservées par un rideau opaque, servent aux prestations d’épilation du corps et aux massages. Malgré un accueil chaleureux, le salon est plutôt calme. « C’est difficile, j’ai pas beaucoup travaillé avec le covid mais je suis heureuse, j’aime mon métier, et c’est moi qui l’ai choisi. J’aime tout de mon métier : la manucure, les faux-ongles, l’épilation » , liste Gurmeet, aux ongles peints d’un vernis bleu métallisé.
Même si la barrière de la langue est quelque peu présente, Gurmeet Paulsingh ne ménage pas ses efforts pour que la communication se fasse. Assise à son bureau, l’esthéticienne de 54 ans confie un morceau de sa vie. Originaire du Punjab au Nord de l’Inde, Gurmeet est arrivée en France en 1996 avec son époux. « J’ai travaillé pendant 15 ans avec mon mari dans un magasin d’alimentation, c’est comme ça que j’ai appris la vente, mais aussi à parler français », raconte-t-elle.
J’aime ce métier, c’est moi qui l’ai choisi.
« J’aime ce métier, c’est moi qui l’ai choisi » , souligne fièrement la cheffe d’entreprise. Avant d’être la responsable de son propre salon de beauté au cœur de Paris, elle avait déjà exercé au Punjab. « J’ai travaillé moins d’un an dans un salon en Inde, c’est comme ça que j’ai appris à épiler au fil et à la cire. Les faux-ongles, tout ça, ça n’existait pas encore. A l’époque, il y avait peu de salons et beaucoup de jeunes filles y travaillaient », se souvient-elle. « Certaines ne restaient que quelques semaines, parce qu’il fallait l’autorisation des parents. Mes parents ont été gentils et m’ont soutenue ». A ce jour, constate Gurmeet, au pays il y a bien plus de salons, les filles étudient plus et font des métiers plus diversifiés.
Une cliente venue la semaine dernière revient pour se faire poser une permanente aux ongles.
Passionnée par le soin et la beauté, Gurmeet laisse de côté sa vocation pour s’occuper de sa famille en Inde. Un choix qu’elle ne regrette pas. Jusqu’à son départ pour la France, la jeune mariée vivait avec ses aînés, ses beaux-parents et son époux «tous gentils» .
Après avoir élevé ses deux fils, et travaillé auprès de son mari dans leur magasin d’alimentation, Gurmeet décide de se remettre à son ambition première avant la retraite : avoir son propre salon. Elle peut compter sur le soutien de son mari. Son fils trouve le local. La mère est aux anges. « Je sais que j’ai beaucoup de force. Je connaissais déjà le métier et c’est ce que je voulais faire. En 2018, j’ai passé mon diplôme pour pouvoir faire les ongles. J’ai travaillé dans un autre salon, mais je préfère avoir le mien. Je casse les prix et c’est moi qui décide », affirme, forte et douce, Gurmeet. Il lui reste encore quelques années pour profiter de son rêve avant de se reposer.
Queue de cheval, koka, et lunettes rectangulaires, l’allure simple et dynamique d’Iram met tout de suite à l’aise. « Je n’étais pas du tout dans la beauté, je suis plutôt une grosse tête, une scientifique. A mon mariage, je ne savais même pas mettre du crayon ou tenir un rouge à lèvre », rit Iram Mohammad, à la tête de Bollywood Beauty Lounge.
Dès l’ouverture, les clientes franchissent le pas du sol gris effet marbre. Deux grands miroirs argentés baroques habillent la pièce. Sur le mur du guichet d’accueil, dix diplômes sont accrochés en guise de certificat de qualité et de fierté. C’est aux Quatres-Chemins d’Aubervilliers que I’entrepreneuse de 48 ans, a ouvert son salon il y a dix ans. « Lors de mon mariage en 1996, il n’y avait pas de salon de beauté étranger qui faisait de la mise en beauté pour les mariées. Je pense que je suis la première Pakistanaise, ici, à avoir ouvert un salon de beauté indien qui propose de la coiffure française pure et dure », avance-t-elle avec fierté.
Iram, à l’accueil de son salon Bollywood Beauty Lounge, a investi dans une oreillette pour pourvoir suivre le rythme des demandes de rendez-vous.
La cheffe a bâti sa réputation avec beaucoup d’acharnement et d’ouverture. C’est participer à rendre les autres un peu plus heureux, par le biais de la beauté, qui épanouit Iram. Avec une oreillette bluetooth presque greffée à l’oreille, les appels et les messages se succèdent pour prendre rendez-vous.
De nombreuses clientes et mariées viennent se faire chouchouter au 75 rue de la République. C’est l’une des spécialités de la maison. Farida s’occupe de la coiffure, Simmi et Rimpy gèrent l’esthétique et Iram assure le back-up. « J’ai mis une consonance desi dans le nom, mais notre salon est ouvert à tout le monde. En vérité, il y a peu de différence entre le maquillage nuptial libanais, indien ou pakistanais. J’aurai pu ouvrir mon salon à Paris ou dans le 94, d’où je viens, mais j’ai choisi Aubervilliers. D’abord, parce qu’il y a une forte communauté desi, mais ensuite j’ai vu qu’il y a une diversité ethnique et ça m’a plu » , confie la responsable entre deux appels.
Depuis l’ouverture matinale, plusieurs clientes se sont déplacées pour se faire épiler au fil par Rimpy.
A une époque où la culture desi était encore plus méconnue qu’aujourd’hui, ce salon envoyait un signe fort pour Iram. « Ça me rapproche de ma culture et de ma communauté mais c’est aussi une manière de nous faire connaître aux autres et de les rencontrer. »
J’ai eu une révélation il y a dix ans en regardant un tutoriel de maquillage sur Youtube.
Originaire de Rawalpindi dans la province du Pendjab au Pakistan, elle arrive en France à l’âge de 11 ans dans le cadre d’un regroupement familial. « Ça a été un peu difficile car le Pakistan est un pays anglophone avec une culture très différente de la France. Pour apprendre la langue, j’ai été scolarisée avec trois niveaux de moins. J’étais dans des classes avec des élèves plus jeunes que moi, et les enfants ne sont pas faciles. »
Farida, employée de Iram, s’occupe de teindre les cheveux d’une cliente.
Pourtant, Iram s’accroche à l’école, obtient un baccalauréat D (mathématiques et SVT) avec mention. Avec son BTS Transport International, elle débute une carrière dans les aéroports puis s’arrête pour s’occuper de sa famille. La mère de quatre enfants épaule son mari, dans un fast-food spécialisé dans le poulet. Mais le destin bascule pour elle un peu plus tard. « J’ai eu une révélation il y a dix ans, en regardant un tutoriel de maquillage sur une mariée indienne-pakistanaise sur Youtube. J’ai été fascinée par la métamorphose. »
Surprenante, Iram ouvre d’abord son commerce puis passe divers diplômes en esthétique, coiffure et maquillage. « Nos parents ne nous encouragaient pas à aller vers ce métier, c’était mal vu. Au début, mes proches se sont moqués gentiment. Mais mon mari m’a soutenu dans mon projet. J’ai travaillé dur, en plus de la formation accélérée, sans repos, ni vacances. Je suis fière d’avoir sauté le pas. »
Son seul regret? Ne pas avoir tenté plus tôt. « Je prends des élèves desis en stage car je sais que la langue peut être un obstacle pour réussir. » Ici, les affaires vont bien, malgré le Covid. Il y a eu pas mal de passage sur les fauteuils. Et concernant la relève, elle est probablement assurée. « J’ai poussé ma fille vers l’esthétique et je suis fière d’elle, j’espère qu’elle ira plus loin que moi. »
Dans le 17ème arrondissement de Paris, les salons de beauté sont nombreux. Au 10 rue Sauffroy, tout est peint de blanc, et la devanture est recouverte de rouge. Avec les mêmes images, les mêmes tarifs. A l’intérieur, ça sent l’encens. A la télé, des images de clips desis tournent en boucle, la musique est pianissimo . Un peu de décoration, de grands miroirs, des sièges au cuir neuf. Sur le mur de droite, à côté de la caisse, un temple hindou est reconstitué. Une pièce est prévue à l’arrière pour les massages et les épilations plus intimes.
À côté de la caisse, un temple hindou est reconstitué dans le salon.
Ici la boss c’est Maya Katwal, 49 ans. Ses cheveux noirs s’éclaircissent aux pointes, façon tie and dye. Sa narine est décorée du piercing traditionnel. Et surtout, elle dégage une confiance en elle singulière. Son salon, Matrina, du même nom que sa fille, a dix ans. « On fait plusieurs choses. Aisha s’occupe plus du maquillage, et Deep de la beauté des fesses », s’esclaffe la cheffe. « Ce que je préfère c’est le soin et le bien-être. L’ayurveda (médecine traditionnelle indienne, NDLR) aussi, car c’est la santé. Je fais aussi des formations pour être à jour sur les techniques, aujourd’hui les clientes suivent vraiment les nouveautés. » Elle énumère les micro-bleeding, microneedling, rehaussement de cils et autres savoirs, en montrant du doigt ses sourcils nets, effet naturel.
Maya naît à Sunsari au Népal et grandit à Katmandou, la capitale. Elle passe son bac, mais à 16 ans, quelque chose s’était déclenché. Elle commence à s’intéresser à la beauté, s’initie avec des amies, observe sa mère prendre soin d’elle. Mais elle n’a pas le temps d’étudier et de travailler dans un salon en même temps.
Au Népal, Maya Katwal s’était engagée pour les droits des femmes. Aujourd’hui en France, c’est dans la beauté qu’elle poursuit sa mission dans son salon Matrina : s’occuper de leur bien-être.
Pourtant, la Népalaise étudie le droit et obtient un bac+3. « J’ai choisi le droit car j’étais une personne révoltée par la domination et l’injustice contre les femmes. Je voulais les défendre. C’est quelque chose qui est en moi depuis toujours », dévoile Maya. Mais devant l’échec de son année, elle décide de se réorienter. La voilà bénévole pendant 3 mois, puis salariée durant 3 ans au sein de l’ONG Sushma Koirala Memorial Trust. « Mon engagement était pour les femmes, promouvoir leur éducation, parler de contraception, faire du Women Empowerment. Des fois on allait sensibiliser dans les villages. C’était pas toujours accepté, mais j’y ai mis beaucoup d’énergie », confesse-t-elle.
La beauté est une manière de s’occuper des femmes. Si je me suis engagée dans l’association, je leur donne aussi de la force de cette façon. Pour moi c’est complémentaire.
A 24 ans, elle se marie, accouche de sa fille. Elle fait une pause pour se consacrer à sa famille. Après la grossesse, elle commence le yoga pour être en forme. Puis elle a comme un déclic durant une méditation. « Je me suis dit que la beauté était importante pour tout le monde. Ici toutes les femmes s’épilent les sourcils, ou prennent soin d’elles. La beauté est une manière de s’occuper des femmes. Si je me suis engagée dans l’association, je leur donne aussi de la force de cette façon. Pour moi c’est complémentaire », expose la Népalaise.
A 27 ans, la jeune maman suit une formation durant 6 mois, travaille à domicile, puis dans un salon pendant 2 ans et retourne en indépendant. « Je préfère le travail en indépendant. L’indépendance, c’est important pour une femme. Je ne voulais pas compter sur un père ou un frère », affirme-t-elle, avec l’assurance qui la caractérise.
De la coiffure à la pédicure, en passant par le soin du visage et des mains : le salon de Maya offre toutes les possibilités pour ses clientes.
A 29 ans, son couple bat de l’aile. Elle divorce. Maya s’envole pour la France rejoindre des proches. Mais là aussi il a fallu se battre, car la jeune maman ne parle pas un mot de français . « J’ai pris des cours pendant un an à la Cimade et dans d’autres structures. Puis j’ai été caissière à Monoprix. Je voulais comprendre comment la France fonctionne, de près » , assure-t-elle.
Mais le mot « indépendance » ne quitte pas son esprit. Elle travaille pendant 3 ans dans différents salons avant d’ouvrir le sien en 2012. Une joie, puis quelques difficultés depuis le covid, mais les clientes viennent toujours. Depuis la France, l’auto-entrepreneuse reste engagée. Elle est membre de l’association franco-népalaise Pacofen. « On aide tout le monde. » Comme Iram, Maya ou Gurmeet, tout a commencé à des kilomètres de Paris. Aujourd’hui ces femmes continuent de porter un modèle de féminisme encore trop souvent invisibilisé.
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