Un mois sans moi

Un mois sans moi

Quelques orchidées parmi tant d'autres

Nouvelles et ressentis de quelques orchidées de notre collectif dorénavant vagabond!

Voilà un mois exactement que les casqués, cachés derrière des décisions politiques incompréhensibles, sont venus nous piétiner, écraser les orchidées, défoncer les statues d’argile, casser notre maison, détruire nos cabanes…

Aujourd’hui encore, voir une pelleteuse creuser la terre nous renvoie à ces images de destruction, croiser une voiture de flic nous renvoie à cette peur de la répression, entendre le son d’un drone ou d’un hélicoptère nous fait nous couvrir inconsciemment la tête. Les médias, le gouvernement, les politiques se sont targués d’une évacuation pacifique, non-violente et ont fièrement dit que tout le monde avait gagné.

Une victoire non-violente, ça nous ferait presque rire si les larmes n’étaient pas si proches. Comment peut-on considérer que de faire taire des personnes et que de détruire tout ce qu’iels ont patiemment construit n’est pas une forme de violence ? Aucun bras, aucun œil n’a été arraché et cela suffit à faire dire aux personnes censées nous représenter et nous protéger qu’aucune violence n’est à déplorer. L’amie la plus joyeuse de la colline parle d’avoir perdu son âme au sommet du Mormont…vaut-il mieux perdre son âme ou un bras ? On n’a jamais dû leur enlever leur maison, leur communauté, tout ce qui leur donnait espoir et les faisait se sentir vivant pour qu’iels osent dire ça.

On aimerait pouvoir vous dire où on en est après un mois. On aimerait pouvoir s’exprimer d’une voix pour vous partager nos (des)espoirs. Mais cet être collectif dont nous faisions partie s’est étiolé petit à petit, privé de son corps physique, de son espace de liberté où nous pouvions rêver un monde différent, plus frugal, plus solidaire, moins oppressif. Mais continuer à faire vivre ce monde entre des murs de ciments trop petits pour accueillir tout le monde n’est pas possible. Nous nous revoyons, par-ci, par-là, nous organisons des discussions, des moments de débrief émotionnels ou stratégiques, mais peu à peu, chacunEx cherche à se reconstruire comme iel le peut. Il y a celleux que la solitude angoisse et qui n’ont pas pu encore passer une soirée seule depuis ces événements. Il y a celleux pour qui au contraire revoir les copainexs de la zad était trop difficile, trop chargé, et sont allé s’isoler. Il y a celleux aussi qui n’ont pas le privilège du choix et qui sont là où on veut bien d’elleux.

Avant ce 30 mars, on s’est prisEx dans les bras, promis qu’on ne se perdrait pas, que les liens créés étaient bien plus forts que tous les casqués réunis. Et on n’en doute toujours pas aujourd’hui mais comment les garder dans un monde où aucun espace de liberté n’existe en dehors d’un capital économique conséquent ?

Nous ne voulons pas être de la génération du cocon digital. Nous voyons les dévastations qu’une année d’enferment a eu sur les gens qui ont subi le corona, l’isolement, les écrans et nous pleurons. Après avoir goûté à travers nos corps à la vie extérieure, après avoir goûté au sol à travers nos pieds nus sur la terre, nous ne voyons pas de retour en arrière possible. Et surtout, nous savons que nous ne devons pas revenir en arrière car un retour est un pas de plus dans le monde mortifère que nos gouvernements construisent à l'insu des jeunes générations.

Alors oui, c’est une victoire d’une certaine manière. Chaque employéex qui a démissionné d’un bullshit job, d’un travail oppressif ou oppressant, chaque père qui a dit « ZAD partout », chaque grand-maman qui s'est targué de vouloir faire exploser les machines de destruction d'Holcim, chaque enfant qui a décidé qu’il voulait devenir zadiste plutôt que policier, chaque pain récupéré dans les poubelles, chaque cri émis contre les injustices, tout ça sont des victoires de la ZAD et nous devons les voir car sinon ce n’est que l’impuissance et le désespoir qui restent inscrits en nous. Et nous ne le voulons pas. Nous ne les laisserons pas gagner. Nous retrouvons peu à peu l’énergie de reconstruire cette société et de détruire ce vieux monde. Et ce n’est pas une initiative politique ou une nouvelle piste cyclable qui nous donnent cette force et cette énergie mais bien cette rage et cet amour que nous avons partagé durant 6 mois et ce lien fort au vivant qui nous permettra de nous retrouver, de construire à nouveau nos utopies jusqu’à ce qu’elles s’ancrent dans un territoire qu’on ne nous arrachera pas, qu’on ne piétinera pas.

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