Un jour dans la vie de cette pute
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Un jour dans la vie de cette pute
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Journaliste indĂ©pendante et formatrice, Christine LaouĂ©nan est spĂ©cialisĂ©e dans les sujets de la santĂ© et de la prĂ©vention auprĂšs des jeunes. Elle a recueilli de nombreux tĂ©moignages de personnes prostituĂ©es dans le cadre de son travail pour Prostitution et SociĂ©tĂ© et au cours de lâĂ©criture de la biographie Je veux juste quâelles sâen sortent, consacrĂ©e au militant abolitionniste Bernard Lemettre.
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Comment Sabrina, une adolescente issue dâun milieu privilĂ©giĂ©, choyĂ©e par sa famille, a-t-elle pu se retrouver dans un bordel belge ? Sa mĂšre tĂ©moigne de son combat pour secourir sa fille et dĂ©crit les fragilitĂ©s qui ont pu favoriser son entrĂ©e dans le systĂšme prostitutionnel.
Sabrina avait 15 ans et demi lorsquâelle a disparu. Mon mari et moi Ă©tions Ă notre travail lorsque nos voisins ont vu dĂ©bouler une voiture qui sâest garĂ©e devant chez nous. Ă son bord, deux hommes et notre fille qui sâest engouffrĂ©e dans la maison, avant dâen ressortir avec un Ă©norme sac. La voiture est ensuite repartie en trombe. DĂšs que nous lâavons appris, mon mari et moi avons appelĂ© la police. Nous Ă©tions fous dâinquiĂ©tude. Câest au bout de deux mois que la brigade des mineurs nous a appelĂ©s pour nous demander dâaller chercher notre fille dans un commissariat belge : elle avait Ă©tĂ© retrouvĂ©e dans un « bar Ă champagne » par des policiers qui la suspectaient dâĂȘtre mineure. Elle dĂ©tenait de faux papiers et se faisait passer pour une SlovĂšne majeure.
Les policiers mâont expliquĂ© que ma fille avait Ă©tĂ© installĂ©e dans une chambre de ce bar avec toutes ses affaires. JâĂ©tais soulagĂ©e de la retrouver mais, en mĂȘme temps, jâavais lâimpression quâune trappe sâouvrait sous mes pieds. Je nâĂ©tais pas au bout de mes peines. Ă lâhĂŽpital, oĂč elle a subi une batterie dâexamens, jâai Ă©galement appris ce jour-lĂ quâelle Ă©tait enceinte. Comment ma fille qui Ă©tait choyĂ©e et vivait dans un milieu protĂ©gĂ© avait-elle pu tomber dans un tel guĂȘpier ?
Sabrina a Ă©tĂ© entraĂźnĂ©e dans ce bordel par un « lover boy », un garçon dont elle est tombĂ©e Ă©perdument amoureuse, alors quâelle Ă©tait en 3Ăšme. gĂ© de quatre ans de plus quâelle, il Ă©tait vigile dans un fast-food. Physiquement, il prĂ©sentait bien, cheveux gominĂ©s et torse en tablettes de chocolat. Ce jeune homme gagnait sa vie et possĂ©dait une voiture. Rien Ă voir avec les garçons boutonneux et maladroits de la classe de Sabrina ! Il a usĂ© de son charme pour sĂ©duire notre fille : trĂšs gentil, il lui offrait des cadeaux et la complimentait : « Tu es ma princesse » , « Tu es la plus belle » . Ce garçon faisait rĂȘver ma fille en bĂątissant avec elle des projets : « On ouvrira un restaurant sur la CĂŽte dâAzur » . Il lui promettait une existence toute en paillettes, comme dans les Ă©missions de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© quâelle adorait regarder. Mais pour pouvoir rĂ©aliser ces rĂȘves, il fallait de lâargent⊠Comme Sabrina Ă©tait trop jeune pour travailler, il lui a fait sĂ©cher un jour les cours pour visiter les bars Ă champagne Ă la frontiĂšre belge. Il lui a expliquĂ© quâelle pouvait gagner rapidement beaucoup dâargent en encourageant « simplement » les clients Ă consommer du champagne Ă 300 ⏠la bouteille. Il lui a assurĂ© que cette situation serait provisoire. CâĂ©tait Ă©videmment faux !
Rapidement, Sabrina a fait des passes et a Ă©tĂ© prise dans lâengrenage de la prostitution. Nous avons portĂ© plainte contre le mac, mais lâaffaire a Ă©tĂ© classĂ©e sans suite ; il nây avait aucune preuve quâil Ă©tait un proxĂ©nĂšte. En revanche, la tenanciĂšre du bordel a Ă©copĂ© de 6 mois avec sursis parce que notre fille Ă©tait mineure. Mon mari et moi Ă©tions complĂštement anĂ©antis. Jâai dĂč ĂȘtre hospitalisĂ©e pour une grosse dĂ©pression. Ensuite, jâai Ă©tĂ© suivie rĂ©guliĂšrement par un psychiatre qui mâa prescrit des mĂ©dicaments pour tenir le choc. Mon mari, Ă©galement dĂ©pressif, a pris un sacrĂ© coup de vieux ; il avait des plaques de psoriasis sur tout le corps. Au dĂ©but, nous avons fait bloc pour affronter la situation ; mais peu Ă peu, mon mari sâest renfermĂ© sur lui-mĂȘme et sur son ordinateur, ce que je lui ai reprochĂ©âŠ
Il mâa expliquĂ© quâil nâavait pas le choix ; il fallait coĂčte que coĂčte quâil tienne le coup professionnellement. En effet, jâavais dĂ©missionnĂ© de mon poste de cadre technico-commerciale parce que je ne parvenais plus Ă assurer auprĂšs de ma clientĂšle. CâĂ©tait devenu trop lourd pour moi. Il fallait que je me batte sur deux fronts : protĂ©ger nos deux autres filles, plus jeunes, qui nâĂ©taient au courant de rien et tout faire pour extraire Sabrina de cet enfer. Elle Ă©tait notre fille et on lâaimait, quoi quâil arrive. Et pourtant, ce nâĂ©tait pas toujours facile de porter un regard neutre et positif sur elle.
MalgrĂ© le combat sans relĂąche que nous avons menĂ© pour sauver notre gamine, nous nâavons jamais rĂ©ussi Ă la faire sortir de la prostitution. Dix ans aprĂšs, elle y est toujours. Elle a Ă©tĂ© suivie par des psychiatres â un homme puis une femme. Il y a eu des pĂ©riodes oĂč elle avait repris une vie Ă peu prĂšs normale ; elle a quittĂ© la rĂ©gion pour se faire oublier de son mac. Elle a Ă©tĂ© vendeuse, a travaillĂ© dans une galerie dâart. Mais elle y retourne toujours. Pourquoi ? Parce quâelle est enfermĂ©e dans le systĂšme et toujours sous emprise dâun mac : on ne lĂąche pas aussi facilement un coffre-fortâŠ
Au dĂ©part, Sabrina Ă©tait logĂ©e dans un bar Ă champagne belge oĂč les filles signent un contrat pour une semaine, un mois. Comme notre fille Ă©tait trĂšs jeune et belle, elle avait un succĂšs fou. Un jour, jâai retrouvĂ© dans ses affaires un agenda Mickey dans lequel figuraient « sa comptabilité », tous ses rendez-vous et les tarifs. Ce fut un terrible choc pour moi. Ensuite, Sabrina a habitĂ© avec son « lover boy », chez la mĂšre et la sĆur de celui-ci. Il la conduisait chaque matin dans le bar et revenait la chercher le soir. Parfois, un taxi travaillant au noir sâen chargeait.
Comment se fait-il que ces taxis, qui prennent leur commission au passage, ne soient jamais inquiĂ©tĂ©s par la police, alors quâils pourraient ĂȘtre arrĂȘtĂ©s pour proxĂ©nĂ©tisme ? Dans ces bordels belges, les maquerelles prennent soin des filles et les cajolent. Câest une stratĂ©gie de leur part pour garder Ă demeure leurs « ouailles » et les avoir Ă lâĆil. Ă ces adolescentes, on donne des antidĂ©presseurs et des anxiolytiques qui, mĂ©langĂ©s Ă lâalcool, ont des effets dĂ©s-inhibants et euphorisants. Notre fille avait lâimpression que tout allait bien, quâelle contrĂŽlait la situation, alors quâelle Ă©tait au contraire instrumentalisĂ©e. Sabrina mâa avouĂ© quâĂ lâĂ©poque sa plus grande crainte Ă©tait de tomber sur des collĂšgues de son pĂšre. Beaucoup de chefs dâentreprise se retrouvent dans ces Ă©tablissements pour arroser des contrats juteux. Outre les bars Ă champagne, notre fille a Ă©tĂ© escorte auprĂšs dâhommes dâaffaires de la rĂ©gion. Lorsquâelle a commencĂ© Ă rapporter moins dâargent, son mac lâa transfĂ©rĂ©e dans des lieux de prostitution encore plus sordides. Elle a alors touchĂ© le fond⊠Son « lover boy » et ses potes lui laissaient croire quâelle Ă©tait libre, alors quâils lui serraient constamment la bride, nâhĂ©sitant pas Ă user de violences dĂšs quâelle tentait de leur Ă©chapper. Il lui a tailladĂ© la cuisse avec un bout de miroir et a mĂȘme tentĂ© de lâĂ©trangler. Un jour, il a conduit Sabrina devant lâĂ©cole primaire et la garderie oĂč Ă©taient inscrites ses deux petites sĆurs, soi-disant pour lui montrer quâelle pouvait les voir Ă sa guise. Mais la menace de reprĂ©sailles Ă©tait explicite : « Si tu ne te tiens pas sage, on peut aussi leur faire du mal » . Un jour oĂč son mac Ă©tait en prison pour des actes de dĂ©linquance, Sabrina a Ă©tĂ© interpellĂ©e par ses copains Ă la sortie du lycĂ©e. Ils lui ont proposĂ© de la ramener chez elle en voiture. En rĂ©alitĂ©, ils lâont sĂ©questrĂ©e dans un appartement, lâont violentĂ©e et violĂ©e pendant trois jours. Sabrina se souvient quâils jouaient Ă des jeux vidĂ©o dans la piĂšce dâĂ cĂŽtĂ©. Et puis un soir, ils lâont dĂ©posĂ©e devant la maison. Quand on a ouvert la porte dâentrĂ©e, elle Ă©tait lĂ , hagarde, les cheveux en bataille, les pupilles dilatĂ©es par la drogue. Elle ne portait plus de sous-vĂȘtements. Nous avons aussitĂŽt appelĂ© la police qui, aprĂšs lâavoir entendue, a fait appel Ă un mĂ©decin lĂ©giste pour constater les violences subies, notamment sexuelles. La plainte que nous avons dĂ©posĂ©e pour viol en rĂ©union est restĂ©e sans suite. La police judiciaire nâa, en effet, jamais retrouvĂ© les agresseurs de Sabrina. Et pourtant, mon mari et moi sommes intimement persuadĂ©s que son mac avait fait appel Ă ses sbires pour intimider Sabrina qui cherchait Ă lâĂ©poque Ă retrouver une vie normale. Son proxĂ©nĂšte et sa bande pouvaient donc agir en toute impunité⊠Nous avons aussi subi des mesures de reprĂ©sailles. Toutes les semaines, nos pneus de voiture Ă©taient crevĂ©s. Nous avons reçu des menaces de mort. Je ne dormais plus de la nuit. Nous avons fait installer des camĂ©ras et des alarmes autour de la maison. Jâai compris Ă quel point notre fille Ă©tait enferrĂ©e dans un systĂšme dâune violence inouĂŻe ; son mac Ă©tait prĂȘt Ă tout pour la rĂ©cupĂ©rer.
Cela fait dix ans que Sabrina est dans la prostitution et je porte toujours une lourde culpabilitĂ©. Je pense que jâai failli Ă un moment donnĂ© dans mon rĂŽle de mĂšre. Ma fille a souffert de manques dans son Ă©ducation qui lâont fragilisĂ©e et ne lâont pas suffisamment armĂ©e pour se dĂ©fendre dans la vie. Ses macs se sont engouffrĂ©s ensuite dans cette faille narcissique pour la manipuler. Je me reproche de ne pas avoir Ă©tĂ© suffisamment vigilante face Ă certains signaux qui auraient dĂč mâalerter et que jâattribuais Ă tort Ă une crise dâadolescence difficile. Ainsi, jâaurais pu rĂ©agir avant quâil ne soit trop tard. Le caractĂšre de Sabrina a beaucoup changĂ© lorsquâelle avait 13 ou 14 ans. Elle est devenue irascible, agressive. Nous avions un train de vie confortable mais Sabrina se plaignait de ne pas avoir assez dâargent de poche, de vĂȘtements de marque. Comme les conflits Ă©taient frĂ©quents Ă la maison, elle se rĂ©fugiait alors chez ma mĂšre qui habitait deux rues plus loin ; elle tenait une grande place dans sa vie et ce, depuis son enfance.
En effet, Sabrina allait rĂ©guliĂšrement chez ma mĂšre qui la gĂątait beaucoup ; elle lâinvitait dans des grands restaurants, lui achetait des vĂȘtements coĂčteux⊠Ma mĂšre nâa jamais cessĂ© de dĂ©faire les rĂšgles que mon mari et moi fixions. Il suffisait que nous opposions un refus Ă notre fille pour quâelle coure chez sa grand-mĂšre. Sabrina Ă©tait partagĂ©e entre nos exigences terre Ă terre et lâunivers de paillettes et de sĂ©duction de ma mĂšre. Lorsquâelle Ă©tait Ă lâĂ©cole primaire, Sabrina a dĂ©crochĂ© sur le plan scolaire. Pour quâelle se sente valorisĂ©e sur un autre plan, je lâai inscrite dans une agence de mannequinat. Comme elle Ă©tait trĂšs jolie, elle a obtenu des contrats, mais le succĂšs lui est montĂ© Ă la tĂȘte. Jâai tout stoppĂ©. Notre fille cherchait en permanence Ă plaire, parce quâelle ne se faisait pas confiance.
Ă lâadolescence, Sabrina a adoptĂ© des conduites Ă risques particuliĂšrement inquiĂ©tantes. Elle nâavait pas encore 15 ans lorsquâelle a commencĂ© Ă sortir, Ă boire de lâalcool dans les toilettes du collĂšge, Ă sĂ©cher les cours. Un aprĂšs-midi, je suis arrivĂ©e Ă lâimproviste Ă la maison ; Sabrina Ă©tait assise avec des garçons, Ă boire et Ă fumer du shit. Et puis un jour, elle a fuguĂ©. Au lieu de prĂ©parer un exposĂ© avec une copine, elles sont parties dans une autre ville en mĂ©tro, aprĂšs avoir troquĂ© jean et baskets contre un short et des hauts talons. Elles ont Ă©tĂ© invitĂ©es Ă une fĂȘte par des copains de copains. Sabrina y est allĂ©e seule. La brigade des mineurs lâa retrouvĂ©e Ă 3 h du matin dans une maison, seule fille au milieu dâun groupe de garçons. Elle Ă©tait ivre et avait fumĂ© des joints. Est-ce quâelle a Ă©tĂ© abusĂ©e sexuellement cette nuit-lĂ âŠÂ ?
Peu de temps aprĂšs, une voisine mâa appelĂ©e au travail pour mâinformer quâil y avait des allĂ©es et venues inquiĂ©tantes Ă la maison. Lorsque je suis arrivĂ©e, Sabrina refaisait le lit de notre chambre avec un garçon. Lorsque je lâai interrogĂ© sur sa prĂ©sence dans notre maison, il mâa rĂ©pondu quâil ne connaissait pas notre fille. Lorsque Sabrina Ă©tait en 4Ăšme, on nous avait racontĂ© quâelle avait fait des fellations Ă des Ă©lĂšves dans un bus, Ă lâoccasion dâun sĂ©jour scolaire. Ă lâĂ©poque, jâavais cru quâil sâagissait de mĂ©disances. Sur un mur du quartier voisin, avait Ă©tĂ© Ă©galement Ă©crit « Sabrina, la pute » . Je ne pensais pas quâil sâagissait de notre fille. Au lieu de communiquer avec nous, Sabrina passait aux actes. Aujourdâhui, je me reproche beaucoup dâavoir Ă©tĂ© si sĂ©vĂšre lorsquâĂ lâadolescence elle Ă©tait mĂ©chante et violente, sans chercher Ă comprendre les motifs de son changement brutal de caractĂšre.
Bien que Sabrina ait obtenu un diplĂŽme dâesthĂ©ticienne il y a deux ans, elle nâa jamais rĂ©ussi Ă trouver un emploi fixe. Aujourdâhui, elle a vingt-cinq ans et nous nâavons plus beaucoup de nouvelles dâelle. Elle Ă©volue dans le monde de la nuit â bars, dancings â et je pense quâelle est toujours dans la prostitution. Il y a un an, elle est rentrĂ©e en catastrophe dâEspagne avec des traces de coups et le visage tumĂ©fiĂ©. Son mec avait scarifiĂ© sa joue dâune croix pour lui signifier : « Tu mâappartiens, voilĂ ce que je fais de ta beauté ». Il lâa marquĂ©e, comme son premier mac il y a dix ans. Jâai voulu porter plainte, mais Sabrina a refusĂ©. Elle a Ă©crit Ă ma mĂšre quâelle avait Ă©tĂ© battue et sĂ©questrĂ©e pendant des mois. Sabrina reste attachĂ©e Ă un type dâhomme, destructeur et violent parce quâelle souffre dâune grosse blessure psychique qui nâa pas Ă©tĂ© prise en charge Ă temps.
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pegaso a posté le 15 novembre 2016 à 23h53
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a_da_ma_naga_le_21_09_12 a posté le 15 novembre 2016 à 23h53
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tom_bombadilom a posté le 15 novembre 2016 à 23h53
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citoyendelaterrerue89 a posté le 15 novembre 2016 à 23h53
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tom_bombadilom a posté le 15 novembre 2016 à 23h53
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Catherine mâa confiĂ© avec humour et amertume onze ans de prostitution. Son tĂ©moignage nâa pas valeur de thĂšse sur cette activitĂ©, quâelle a exercĂ©e comme dâautres, Ă la marge, en croyant ĂȘtre une dilettante, loin des stĂ©rĂ©otypes de la rue ou du bordel.
Belle femme dans la cinquantaine, aujourdâhui psychologue en milieu hospitalier, mariĂ©e, elle distingue trois temps dans son parcours prostitutionnel : le temps de lâargent facile, celui de lâurgence sociale, et enfin le « troisiĂšme temps infini », celui de lâaprĂšs qui nâen finit jamais, le temps du stigmate de la « pute ».
Mon pĂšre me lançant « tâes quâune putain ! » comme on dit « quâune connasse » lorsque jâai quittĂ© le domicile familial est une phrase Ă laquelle je me suis longtemps raccrochĂ©e pour mâexpliquer la pente autodestructrice vers laquelle je glissais. JâĂ©tais en rupture. Jâai passĂ© mon bac dans ce climat de « fin du monde » et me suis inscrite en fac de psycho.
Pour payer le loyer de mon studio, les Ă©tudes et ses frais, jâai fait la plonge et les vendanges, mais ça ne suffisait jamais. Un jour, en faisant du stop, un homme mâa proposĂ© de lâargent contre « un service sexuel ». CâĂ©tait de lâargent vite et « facilement » gagnĂ©. Jâai acceptĂ©. Je me souviens ĂȘtre rentrĂ©e chez moi, avoir pris une douche et mâĂȘtre dit : « finalement, câest rien ».
Jâai commencĂ© les cours tout en travaillant dans un service de nettoyage la nuit, ambiance glauque et salaire de misĂšre. Je souffrais de la rupture familiale, et mes cours de psycho me renvoyaient Ă une douleur difficile Ă endurer. Jâai commencĂ© Ă fumer de lâherbe et Ă faire de plus en plus souvent la fĂȘte pour « oublier ». Jâai claquĂ© la porte de lâentreprise de nettoyage, quelques passes en stop me rapportaient beaucoup plus.
Mes amis ne savaient rien de ma double vie. Peu à peu, je me suis forgée une armure de guerriÚre. Les paroles de mon pÚre résonnaient durement, et je lui répondais mentalement :
Jâavais transformĂ© ma tristesse en colĂšre et je me sentais trĂšs seule. JâĂ©tais Ă cheval entre plusieurs mondes, celui de la fac que je lĂąchais peu Ă peu, celui des petits boulots (centre aĂ©rĂ©, garde de personnes ĂągĂ©es) et celui de la nuit qui devenait au fil du temps le milieu dans lequel je me sentais ĂȘtre « vraie ».
Jâai fini par abandonner mes Ă©tudes, fumer de lâherbe, prendre des acides, jusquâĂ ce que je me sois fait trĂšs peur. Je suis partie vivre ailleurs. Jâai eu deux enfants, qui ont chacun leur pĂšre, et ai vĂ©cu la mode du « retour aux sources » avec des chĂšvres, la vie saine au grand air...mais Ă la marge. Avec toujours, Ă cĂŽtĂ© de mes heures de mĂ©nage, quelques passes occasionnelles. Je nâavais pas lĂąchĂ© lâaffaire en cas dâurgence, mĂȘme si câĂ©tait trĂšs soft. Personne nâen savait rien.
Aux trois ans de mon fils aĂźnĂ©, nous sommes allĂ©s vivre dans un village pour faciliter sa scolarisation. Retour Ă la civilisation. Mon ami a commencĂ© Ă boire. On sâen sortait difficilement, et les aides sociales Ă©taient inexistantes Ă part une : bien que vivant en concubinage, je mâĂ©tais dĂ©clarĂ©e « parent isolé ».
Mon existence a de nouveau basculĂ© quand jâai Ă©tĂ© convoquĂ©e Ă la Caisse dâallocations familiales (CAF) : on mâavait dĂ©noncĂ©e, je devais 24 000 francs Ă la CAF. Les heures de mĂ©nages ne suffiraient pas.
JâĂ©tais en larmes sur les marches de la CAF quand un homme de mon village sâest approchĂ©, mâa offert un cafĂ©, mâa consolĂ©e, et mâa proposĂ© une solution rapide et efficace : des passes. A croire quâil avait Ă©tabli son marchĂ© juteux Ă cĂŽtĂ© de la CAF pour mieux ferrer les jeunes mĂšres dĂ©sespĂ©rĂ©es. Je lâavais dĂ©jĂ fait en dilettante, jây suis donc allĂ©e.
En une aprĂšs-midi, jâai reçu une trentaine de clients dans une chambre sordide. De ce jour-ci, je garde des souvenirs trĂšs flous : une impression de sombre, une sensation de froid, de dĂ©goĂ»t, des visages, des sexes, des odeurs, des halĂštements, du pouvoir, moi objet, ma peur de la dĂ©bĂącle financiĂšre et mon sentiment de renflouer, comme je le pouvais, le navire.
A lâissue de cette journĂ©e, jâai scellĂ© le marchĂ© avec mon nouvel employeur.
En rentrant chez moi, jâai racontĂ© lâhistoire Ă mon compagnon. Et rien. Rien ne sâest passĂ©. LâindiffĂ©rence la plus absolue. Finalement, ça arrangeait bien. Nouvelle dĂ©sillusion. Mais je
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