Un cambriolage se transforme en orgie
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Un cambriolage se transforme en orgie
Chapitre VII : « Le coffre-fort de Mme Imbert » (voir vidéo de série-télé , histoire différente…). Au creux du recueil, ce court chapitre en deux parties, c’est celui de l’arroseur arrosé … Lupin, encore jeune, croit tromper des riches pour leur voler leurs millions mais en fait il est utilisé par eux sous un faux nom pour inspirer confiance et se faire prêter de l’argent. Il vole des titres faux et, quand les Imbert disparaissent, il est considéré comme le voleur. Mais les Imbert ne réapparaissent pas. Mystère… et « bouffonnerie supérieure » (p. 144).
Chapitre VIII : « La perle noire ». Autre chapitre dans lequel Lupin est d’abord déçu, peut-être trompé… Doublé ou précédé pour le vol de la perle noire ? Il retrouve le coupable, lui montre des preuves (dont empreintes digitales , méthode d’identification connue depuis 1880, formalisée en 1892 et adoptée par la police française en 1902) et le contraint d’avouer.
Chapitre IX : « Herlock Sholmes arrive trop tard ». Alors que l’inspecteur principal Ganimard est déconsidéré du public du fait qu’il n’arrive jamais à déjouer les plans de Lupin, Maurice Leblanc éprouve le besoin de le confronter à un adversaire plus apprécié : le Sherlock Holmes déjà très populaire de H. C. Doyle (Cf. p. 38, 90).
Le recueil de ces neuf premières nouvelles est conçu après coup, grâce au succès. Certains passages ont été ajoutés aux textes originaux dans le but d’améliorer la cohérence d’ensemble – ce que l’on peut appeler un effet de recueil . Voir par exemple la présence de Miss Nelly aux premier et dernier chapitres, effet de symétrie qui contredit le « fini pour jamais » du ch. I (p. 24), ou les paragraphes ajoutés à la fin du premier chapitre en comparant avec l’original dans Je sais tout de juillet 1905 .
— Racontez-nous donc, vous qui contez si bien, une histoire de voleurs…
— Soit, dit Voltaire (ou un autre philosophe du XVIII e siècle, car l’anecdote est attribuée à plusieurs de ces causeurs incomparables).
— Il était une fois un fermier général…
L’auteur des Aventures d’Arsène Lupin , qui sait si joliment conter, lui aussi, eût commencé tout autrement :
— Il était une fois, un gentilhomme cambrioleur…
Et ce début paradoxal eût fait dresser les têtes effarées des auditrices. Les aventures d’Arsène Lupin, aussi incroyables et entraînantes que celles d’Arthur Gordon Pym, ont fait mieux. Elles n’ont pas seulement intéressé un salon, elles ont passionné la foule. Depuis le jour où cet étonnant personnage a fait son apparition dans Je sais tout , il a effrayé, il a charmé, il a amusé des lecteurs par centaines de mille et, sous la forme nouvelle du volume, il va entrer triomphalement dans la bibliothèque, après avoir conquis le magazine.
Ces histoires de détectives et d’apaches du high life ou de la rue ont toujours eu une singulière et puissante attraction. Balzac, en quittant M me de Morsauf, vivait l’existence dramatique d’un limier de police. Il laissait là le lys de la vallée pour le réfractaire du ruisseau. Victor Hugo inventait Javert, donnant la chasse à Jean Valjean comme l’autre « inspecteur » poursuivait Vautrin. Et tous deux songeaient à Vidocq, cet étrange loup-cervier devenu chien de garde, dont le poète des Misérables et le romancier de Rubempré avaient pu recueillir les confidences. Plus tard, et dans un ordre inférieur, Monsieur Lecoq avait éveillé la curiosité des fervents du roman judiciaire, et M. de Bismarck et M. de Beust, ces deux adversaires, l’un farouche, l’autre spirituel, avaient trouvé, avant et après Sadowa, ce qui les divisait le moins : les récits de Gaboriau.
Il arrive ainsi à l’écrivain de rencontrer sur son chemin un personnage dont il fait un type et qui, à son tour, fait la fortune littéraire de son inventeur. Heureux qui crée de toutes pièces un être qui semblera bientôt aussi vivant que les vivants : Delobelle ou Priola ! Le romancier anglais Conan Doyle a popularisé Sherlock Holmes. M. Maurice Leblanc a trouvé, lui, son Sherlock Holmes, et je crois bien que depuis les exploits de l’illustre détective anglais, pas une aventure au monde n’a aussi vivement excité la curiosité que les exploits de cet Arsène Lupin , cette succession de faits devenus aujourd’hui un livre.
Le succès des récits de M. Leblanc a été, on peut le dire, foudroyant dans la revue mensuelle où le lecteur, qui se contentait jadis des vulgaires intrigues du roman feuilleton, va chercher (évolution significative) une littérature qui le divertisse, mais qui reste pourtant de la littérature.
L’auteur avait débuté, il y a une douzaine d’années, si je ne me trompe, dans l’ancien Gil Blas , où ses nouvelles originales, sobres, puissantes, le placèrent du premier coup au meilleur rang des conteurs. Normand, Rouennais, l’auteur était visiblement de la bonne lignée des Flaubert, des Maupassant, des Albert Sorel (qui fut, lui aussi, un novellière à ses heures). Son premier roman, Une Femme , fut très remarqué, et, depuis, plusieurs études psychologiques, l’ Œuvre de Mort , Armelle et Claude , l’Enthousiasme , une pièce en trois actes, applaudie chez Antoine, la Pitié , étaient venues s’ajouter à ces petits romans en deux cents lignes où excelle M. Maurice Leblanc.
Il faut avoir un don particulier d’imagination pour trouver de ces drames en raccourci, de ces nouvelles rapides qui enserrent la substance même de volumes entiers, comme telles vignettes magistrales contiennent des tableaux tout faits. Ces rares qualités d’inventeur devaient nécessairement, un jour, trouver un cadre plus large, et l’auteur d’ Une Femme allait bientôt se concentrer après s’être dispersé en tant d’originales histoires.
C’est alors qu’il fit la connaissance du délicieux et inattendu Arsène Lupin. On sait l’histoire de ce bandit du XVIII e siècle qui volait les gens avec des manchettes, comme Buffon écrivait son Histoire Naturelle . Arsène Lupin est un petit neveu de ce scélérat qui faisait peur à la fois et souriait aux marquises épouvantées et séduites.
— Vous pouvez comparer, me disait M. Marcel L’Heureux en m’apportant les épreuves de l’œuvre de son confrère et les numéros où Je sais tout illustrait les exploits d’Arsène Lupin, vous pouvez comparer Sherlock Holmes à Lupin et Maurice Leblanc à Conan Doyle. Il est certain que les deux écrivains ont des points de contact. Même puissance de récit, même habileté d’intrigue, même science du mystère, même enchaînement rigoureux des faits, même sobriété de moyens. Mais quelle supériorité dans le choix des sujets, dans la qualité même du drame ! Et remarquez ce tour de force : avec Sherlock Holmes on se trouve chaque fois en face d’un nouveau vol et d’un nouveau crime ; ici, nous savons d’avance qu’Arsène Lupin est le coupable ; nous savons que, lorsque nous aurons débrouillé les fils enchevêtrés de l’histoire, nous nous trouverons en face du fameux gentleman-cambrioleur ! Il y avait là un écueil, certes. Il est évité, il était même impossible de l’éviter avec plus d’habileté que ne l’a fait Maurice Leblanc. À l’aide de procédés que le plus averti ne distingue pas il vous tient en haleine jusqu’au dénouement de chaque aventure. Jusqu’à la dernière ligne on reste dans l’incertitude, la curiosité, l’angoisse, et le coup de théâtre est toujours inattendu, bouleversant et troublant. En vérité, Arsène Lupin est un type, un type déjà légendaire, et qui restera. Figure vivante, jeune, pleine de gaîté, d’imprévu, d’ironie. Voleur et cambrioleur, escroc et filou, tout ce que vous voudrez, mais si sympathique, ce bandit ! Il agit avec une si jolie désinvolture ! Tant d’ironie, tant de charme et tant d’esprit ! C’est un dilettante. C’est un artiste ! Remarquez-le bien : Arsène Lupin ne vole pas ; il s’amuse à voler. Il choisit. Au besoin, il restitue. Il est noble et charmant, chevaleresque, délicat, et je le répète, si sympathique, que tout ce qu’il fait semble juste, et qu’on se prend malgré soi à espérer le succès de ses entreprises, que l’on s’en réjouit, et que la morale elle-même a l’air de son côté. Tout cela, je le répète, parce que Lupin est la création d’un artiste, et parce qu’en composant un livre où il a donné libre cours à son imagination, Maurice Leblanc n’a pas oublié qu’il était avant tout, et dans toute l’acception du terme, un écrivain ! »
Ainsi parla M. Marcel L’Heureux, si bon juge en la matière et qui sait la valeur d’un roman pour en avoir écrit de si remarquables. Et me voici de son avis après avoir lu ces pages ironiquement amusantes, point du tout amorales malgré le paradoxe qui prête tant de séduction au gentleman détrousseur de ses contemporains. Certes je ne donnerais pas un prix Montyon à ce très séduisant Lupin. Mais eût-on couronné pour sa vertu le Fra Diavolo qui charma nos grand-mères à l’Opéra-Comique, au temps lointain où les symboles d’ Ariane et Barbe Bleue n’étaient pas inventés ?
Le voilà qui s’avance
La plume rouge à son chapeau…
Arsène Lupin, c’est un Fra Diavolo armé non d’un tromblon, mais d’un revolver, vêtu non d’une romantique veste de velours, mais d’un smoking de forme correcte, et je souhaite qu’il ait le succès plus que centenaire de l’irrésistible brigand que fit chanter M. Auber.
Mais quoi ! il n’y a rien à souhaiter à Arsène Lupin. Il est entré vivant dans la popularité. Et la vogue qu’a si bien commencée le magazine, le livre va la continuer.
L’étrange voyage ! Il avait si bien commencé cependant ! [ 1 ] Pour ma part, je n’en fis jamais qui s’annonçât sous de plus heureux auspices. La Provence est un transatlantique rapide, confortable, commandé par le plus affable des hommes. La société la plus choisie s’y trouvait réunie. Des relations se formaient, des divertissements s’organisaient. Nous avions cette impression exquise d’être séparés du monde, réduits à nous-mêmes comme sur une île inconnue, obligés, par conséquent, de nous rapprocher les uns des autres. [ 2 ]
Avez-vous jamais songé à ce qu’il y a d’original et d’imprévu dans ce groupement d’êtres qui, la veille encore, ne se connaissaient pas, et qui, durant quelques jours, entre le ciel infini et la mer immense, vont vivre de la vie la plus intime, ensemble vont défier les colères de l’Océan, l’assaut terrifiant des vagues, la méchanceté des tempêtes et le calme sournois de l’eau endormie ? [ 3 ]
C’est, au fond, vécue en une sorte de raccourci tragique, la vie elle-même, avec ses orages et ses grandeurs, sa monotonie et sa diversité, et voilà pourquoi, peut-être, on goûte avec une hâte fiévreuse et une volupté d’autant plus intense ce court voyage dont on aperçoit la fin au moment même où il commence.
Mais, depuis plusieurs années, quelque chose se passe qui ajoute singulièrement aux émotions de la traversée. La petite île flottante dépend encore de ce monde dont on se croyait affranchi. Un lien subsiste, qui ne se dénoue que peu à peu en plein Océan, et peu à peu, en plein Océan, se renoue. Le télégraphe sans fil ! [ 4 ] appel d’un autre univers d’où l’on recevrait des nouvelles de la façon la plus mystérieuse qui soit ! L’imagination n’a plus la ressource d’évoquer des fils de fer au creux desquels glisse l’invisible message. Le mystère est plus insondable encore, plus poétique aussi, et c’est aux ailes du vent qu’il faut recourir pour expliquer ce nouveau miracle.
Ainsi, les premières heures, nous sentîmes-nous suivis, escortés, précédés même par cette voix lointaine, qui, de temps en temps, chuchotait à l’un de nous quelques paroles de là-bas. Deux amis me parlèrent. Dix autres, vingt autres nous envoyèrent à tous, au travers de l’espace, leurs adieux attristés ou souriants.
Or, le second jour, à cinq cents milles des côtes françaises, par une après-midi orageuse, le télégraphe sans fil nous transmettait une dépêche dont voici la teneur :
« Arsène Lupin à votre bord, première classe, cheveux blonds, blessure avant-bras droit, voyage seul, sous le nom de R… »
À ce moment précis, un coup de tonnerre violent éclata dans le ciel sombre. Les ondes électriques furent interrompues. Le reste de la dépêche ne nous parvint pas. Du nom sous lequel se cachait Arsène Lupin, on ne sut que l’initiale.
S’il se fût agi de toute autre nouvelle, je ne doute point que le secret en eût été scrupuleusement gardé par les employés du poste télégraphique, ainsi que par le commissaire du bord et par le commandant. Mais il est de ces événements qui semblent forcer la discrétion la plus rigoureuse. Le jour même, sans qu’on pût dire comment la chose avait été ébruitée, nous savions tous que le fameux Arsène Lupin se cachait parmi nous.
Arsène Lupin parmi nous ! l’insaisissable cambrioleur dont on racontait les prouesses dans tous les journaux depuis des mois ! l’énigmatique personnage avec qui le vieux Ganimard, notre meilleur policier, avait engagé ce duel à mort dont les péripéties se déroulaient de façon si pittoresque ! Arsène Lupin, le fantaisiste gentleman qui n’opère que dans les châteaux et les salons, et qui, une nuit, où il avait pénétré chez le baron Schormann, en était parti les mains vides et avait laissé sa carte, ornée de cette formule : « Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur, reviendra quand les meubles seront authentiques ». Arsène Lupin, l’homme aux mille déguisements : tour à tour chauffeur, ténor, bookmaker, fils de famille, adolescent, vieillard, commis-voyageur marseillais, médecin russe, torero espagnol ! [ 5 ]
Qu’on se rende bien compte de ceci : Arsène Lupin allant et venant dans le cadre relativement restreint d’un transatlantique, que dis-je ! dans ce petit coin des premières où l’on se retrouvait à tout instant, dans cette salle à manger, dans ce salon, dans ce fumoir ! Arsène Lupin, c’était peut-être ce monsieur… ou celui-là… mon voisin de table… mon compagnon de cabine…
— Et cela va durer encore cinq fois vingt-quatre heures ! s’écria le lendemain miss Nelly Underdown, mais c’est intolérable ! J’espère bien qu’on va l’arrêter.
— Voyons, vous, monsieur d’Andrézy, qui êtes déjà au mieux avec le commandant, vous ne savez rien ?
J’aurais bien voulu savoir quelque chose pour plaire à miss Nelly ! C’était une de ces magnifiques créatures qui, partout où elles sont, occupent aussitôt la place la plus en vue. Leur beauté autant que leur fortune éblouit. Elles ont une cour, des fervents, des enthousiastes.
Élevée à Paris par une mère française, elle rejoignait son père, le richissime Underdown, de Chicago. Une de ses amies, lady Jerland, l’accompagnait.
Dès la première heure, j’avais posé ma candidature de flirt. Mais, dans l’intimité rapide du voyage, tout de suite son charme m’avait troublé, et je me sentais un peu trop ému pour un flirt quand ses grands yeux noirs rencontraient les miens. Cependant elle accueillait mes hommages avec une certaine faveur. Elle daignait rire de mes bons mots et s’intéresser à mes anecdotes. Une vague sympathie semblait répondre à l’empressement que je lui témoignais.
Un seul rival peut-être m’eût inquiété, un assez beau garçon, élégant, réservé, dont elle paraissait quelquefois préférer l’humeur taciturne à mes façons plus « en dehors » de Parisien.
Il faisait justement partie du groupe d’admirateurs qui entourait miss Nelly, lorsqu’elle m’interrogea. Nous étions sur le pont, agréablement installés dans des rocking-chairs. L’orage de la veille avait éclairci le ciel. L’heure était délicieuse.
— Je ne sais rien de précis, mademoiselle, lui répondis-je, mais est-il impossible de conduire nous-mêmes notre enquête, tout aussi bien que le ferait le vieux Ganimard, l’ennemi personnel d’Arsène Lupin ?
— Oh ! oh ! vous vous avancez beaucoup !
— En quoi donc ? Le problème est-il si compliqué ?
— C’est que vous oubliez les éléments que nous avons pour le résoudre.
— 1° Lupin se fait appeler monsieur R…
— Si cette particularité vous suffit !
— Alors nous n’avons plus qu’à consulter la liste des passagers et à procéder par élimination.
J’avais cette liste dans ma poche. Je la pris et la parcourus.
— Je note d’abord qu’il n’y a que treize personnes que leur initiale désigne à notre attention.
— En première classe, oui. Sur ces treize messieurs R…, comme vous pouvez vous en assurer, neuf sont accompagnés de femmes, d’enfants ou de domestiques. Restent quatre personnages isolés : le marquis de Raverdan…
— Secrétaire d’ambassade, interrompit miss Nelly, je le connais.
— Présent, s’écria l’un de nous, un Italien dont la figure disparaissait sous une barbe du plus beau noir.
— Monsieur n’est pas précisément blond.
— Alors, repris-je, nous sommes obligés de conclure que le coupable est le dernier de la liste.
— C’est-à-dire, M. Rozaine. Quelqu’un connaît-il M. Rozaine ?
On se tut. Mais miss Nelly, interpellant le jeune homme taciturne dont l’assiduité près d’elle me tourmentait, lui dit :
— Eh bien, monsieur Rozaine, vous ne répondez pas ?
On tourna les yeux vers lui. Il était blond.
Avouons-le, je sentis comme un petit choc au fond de moi. Et le silence gêné qui pesa sur nous m’indiqua que les autres assistants éprouvaient aussi cette sorte de suffocation. C’était absurde d’ailleurs, car enfin rien dans les allures de ce monsieur ne permettait qu’on le suspectât.
— Pourquoi je ne réponds pas ? dit-il, mais parce que, vu mon nom, ma qualité de voyageur isolé et la couleur de mes cheveux, j’ai déjà procédé à une enquête analogue, et que je suis arrivé au même résultat. Je suis donc d’avis qu’on m’arrête.
Il avait un drôle d’air, en prononçant ces paroles. Ses lèvres minces comme deux traits inflexibles s’amincirent encore et pâlirent. Des filets de sang strièrent ses yeux.
Certes, il plaisantait. Pourtant sa physionomie, son attitude nous impressionnèrent. Naïvement, miss Nelly demanda :
— Mais vous n’avez pas de blessure ?
— Il est vrai, dit-il, la blessure manque.
D’un geste nerveux il releva sa manchette et découvrit son bras. Mais aussitôt une idée me frappa. Mes yeux croisèrent ceux de miss Nelly : il avait montré le bras gauche.
Et ma foi, j’allais en faire nettement la remarque, quand un incident détourna notre attention. Lady Jerland, l’amie de miss Nelly, arrivait en courant.
Elle était bouleversée. On s’empressa autour d’elle, et ce n’est qu’après bien des efforts qu’elle réussit à balbutier :
— Mes bijoux, mes perles !… on a tout pris !…
Non, on n’avait pas tout pris, comme nous le sûmes par la suite ; chose bien plus curieuse : on avait choisi !
De l’étoile en diamants, du pendentif en cabochons de rubis, des colliers et des bracelets brisés, on avait enlevé, non point les pierres les plus grosses, mais les plus fines, les plus précieuses, celles, aurait-on dit, qui avaient le plus de valeur tout en tenant le moins de place. Les montures gisaient là, sur la table. Je les vis, tous nous les vîmes, dépouillées de leurs joyaux comme des fleurs dont on eût arraché les beaux pétales étincelants et colorés.
Et pour exécuter ce travail, il avait fallu, pendant l’heure où lady Jerland prenait le thé, il avait fallu, en plein jour, et dans un couloir fréquenté, fracturer la porte de la cabine, trouver un petit sac dissimulé à dessein au fond d’un carton à chapeau, l’ouvrir et choisir !
Il n’y eut qu’un cri parmi nous. Il n’y eut qu’une opinion parmi tous les passagers, lorsque le vol fut connu : c’est Arsène Lupin. Et de fait, c’était bien sa manière compliquée, mystérieuse, inconcevable… et logique cependant, car s’il était difficile de recéler la masse encombrante qu’eût formée l’ensemble des bijoux, combien moindre était l’embarras avec de petites choses indépendantes les unes des autres, perles, émeraudes et saphirs.
Et au dîner, il se passa ceci : à droite et à gauche de Rozaine, les deux places restèrent vides. Et le soir on sut qu’il avait été convoqué par le commandant.
Son arrestation, que personne ne mit en doute, causa un véritable soulagement. On respirait enfin. Ce soir-là on joua aux petits jeux. On dansa. Miss Nelly, surtout, montra une gaieté étourdissante qui me fit voir que, si les hommages de Rozaine avaient pu lui ag
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