Sourisia
Actualités mondiales & françaises
Il était une fois un pays minuscule et vibrant, que l’on appelait Sourisia. C’était une terre habitée par des milliers de petites souris, qui y naissaient, y jouaient, y travaillaient, et y mouraient — tout comme nous autres humains. Elles construisaient des maisons, formaient des familles, organisaient des fêtes de noisettes et, surtout, elles croyaient profondément en la démocratie. Car oui, Sourisia avait un parlement. Et tous les quatre ans, fidèlement, les souris se rendaient dans les bureaux de vote pour élire leur gouvernement.
Elles se pressaient en rangs serrés, fières de faire entendre leur voix, certaines trottinant vers les urnes, d'autres se faisant porter sur des civières de brindilles ou tirées dans de petites charrettes en feuilles de chêne. Chaque élection soulevait des espoirs, des promesses de changement, des rêves de jours meilleurs.
Mais à chaque fois, ce fut le même rituel : les débats, les affiches, les promesses nouvelles, les grands discours — tout cela pour aboutir, une fois encore, à l’élection d’un gouvernement... composé de gros chats noirs.
Oh, ne vous méprenez pas — ces chats noirs n’étaient pas tous méchants. Certains avaient de belles moustaches bien peignées, d’autres parlaient avec douceur et présidaient les assemblées avec une solennité très convenable. Ils promulguaient des lois, et toujours, ces lois étaient qualifiées de « bonnes ». Mais bonnes pour qui ? Pour les chats, naturellement.
L’une des premières lois votées exigeait que les trous d’habitation des souris soient suffisamment larges pour qu’une patte de chat puisse y entrer sans effort. Une autre interdisait aux souris de courir trop vite, afin que les chats n’aient pas à se fatiguer pour leur petit-déjeuner. Et bientôt, d'autres lois vinrent interdire les fromages trop odorants (cela gênait le flair des chats) et réglementer les sifflements, jugés trop aigus pour les oreilles félines.
La vie des souris devenait chaque jour un peu plus difficile. Elles rampaient plus qu'elles ne couraient, se cachaient plus qu'elles ne dansaient. Les anciens racontaient qu'autrefois, on riait dans les galeries. À présent, on y chuchotait à peine.
Alors, un jour, les souris dirent : « Assez ! »
Elles retournèrent aux urnes, décidées à changer les choses. Et cette fois, elles élurent… des chats blancs.
Les chats blancs menèrent une brillante campagne. « Ce qu’il faut à Sourisia, disaient-ils, c’est de la vision. Le vrai problème, ce sont ces trous de souris ronds, désuets ! Votez pour nous, et nous instaurerons des trous carrés. » Et ils tinrent parole : des trous carrés furent creusés dans tout le pays, deux fois plus larges que les précédents. Ainsi, les chats pouvaient y glisser non plus une, mais deux pattes à la fois.
Et la vie des souris... devint plus dure encore.
Alors elles réélurent les chats noirs. Puis, insatisfaites, elles revinrent aux blancs. Puis elles tentèrent un compromis : des chats noirs et blancs ensemble — une cohabitation, disaient-elles. Et lorsqu’aucun camp ne parvenait à calmer la colère, des chats apparurent qui se mettaient à miauler comme des souris. Ils portaient de fausses moustaches en crin de mulot, trottinaient sur deux pattes, promettaient des jours tendres et des fromages pour tous.
Mais dès l’élection gagnée, ils retournaient à leur nature : ils mangeaient comme des chats.
Voyez-vous, mes amis, le problème n'était jamais la couleur des chats, ni leurs accents, ni même leurs promesses. Le véritable problème, c’est que c’étaient des chats. Et les chats, même les plus charmants, pensent d’abord aux chats, pas aux souris.
Puis, un jour, une petite souris, frêle et timide, se leva. Une de ces souris que personne ne remarque, mais que l’Histoire finit toujours par retenir. Elle grimpa sur une pierre plate au milieu de la grande place de Sourisia, et s’adressa aux autres :
— Mes amis, pourquoi continuons-nous à élire des gouvernements de chats ? Pourquoi ne pas choisir, cette fois, un gouvernement composé de souris ? De ceux qui vivent ce que nous vivons, qui connaissent la peur, le froid, la faim et l’espoir ?
Le silence tomba. Une vieille souris murmura : « C’est un rêveur… »
Une autre, plus sévère : « Un dangereux utopiste ! »
Et bientôt, une voix s’éleva : « C’est une pro-russe ! Une extrémiste ! Une complotiste ! »
Alors on l’arrêta. On la jeta dans une minuscule cellule, bien loin, là où les tunnels sont noirs et les barreaux faits d’arêtes de poisson. Et les élections continuèrent, les chats revinrent, repartirent, promirent, oublièrent.
Mais quelque chose avait changé.
Car, mes chers amis, on peut emprisonner une souris. On peut même enfermer un homme.
Mais on ne peut pas enfermer une idée.
Et sous terre, dans les galeries humides, les petites souris, désormais, se mettaient à chuchoter un mot nouveau. Un mot qui, à force d’être répété, finirait bien par creuser un autre chemin.
Pendant qu’elles rêvaient d’un monde meilleur, elles ne se rendaient pas compte qu’elles marchaient toujours dans les pas de leurs aïeules.
Et ainsi, génération après génération, les souris continuèrent à voter, à espérer, à élire… et à servir, dociles, de nourriture aux chats. C’était là leur destin, et elles l’appelaient démocratie.
