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Baie des cochons : bienvenue sur la plage libertine du Cap-dâAgde
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par
Gino Delmas, Marc Beaugé
Publié le 29 juillet 2012 à 16h00 Mis à jour
le 4 août 2022 à 17h35
Dans les dunes, on peut croiser dominateurs et soumises, parfois tenus en laisse (photo Naomi)
Au coeur du village naturiste du Cap-dâAgde, sur un morceau de plage rebaptisĂ© âbaie des cochonsâ, les libertins sâamusent. Fellations, masturbations, bukkake, gang bang : ici, le plaisir est public et collectif. Article extrait des Inrocks spĂ©cial sexe, actuellement en kiosque.
Câest lâheure du goĂ»ter et quelques messieurs, visiblement affamĂ©s, hĂątent le pas sur le sable chaud. ArrivĂ©s Ă hauteur dâun parasol gris, ils sâarrĂȘtent et se placent soigneusement en arc de cercle. Ils sont cinq, puis dix, trente. Tous sont nus et en Ă©rection. Muscles contractĂ©s, mĂąchoire serrĂ©e, la plupart se masturbent mĂȘme avec Ă©nergie. Sous le parasol, posĂ© sur une serviette blanche, un couple se montre. La femme est allongĂ©e sur le dos, lâhomme se tient sur elle, dans la position du missionnaire. Ils ont une cinquantaine dâannĂ©es et leurs corps sont extrĂȘmement blancs, totalement Ă©pilĂ©s. BientĂŽt, ils glissent en levrette. Autour dâeux, les spectateurs semblent toujours plus nombreux, toujours plus excitĂ©s. AprĂšs quelques instants, elle souffle un mot Ă son partenaire, en allemand. Il se retire dâelle et introduit un premier doigt dans son vagin, puis un deuxiĂšme. Avec attention, il accĂ©lĂšre le mouvement et, rapidement prise de convulsions, elle jouit. Elle jouit magistralement. Madame est une femme fontaine et lâassistance est aux anges. Quelques applaudissements se font mĂȘme entendre. Le spectacle ne fait pourtant que commencer.
Au Cap-dâAgde, sur un morceau de la plage du camp de naturistes, long dâune centaine de mĂštres et rebaptisĂ© « baie des cochons », rien ne semble interdit. Les couples sâaiment en public et assouvissent leur dĂ©sir dâexhibitionnisme devant une cohorte de voyeurs Ă lâaffĂ»t. En semi-Ă©rection permanente, ceux-ci passent dâun couple Ă lâautre exactement comme un enfant enchaĂźnerait les attractions Ă Eurodisney. Ici, la police se fait extrĂȘmement rare. Elle intervient parfois lorsque les Ă©bats se prolongent en bordure de la plage, dans les dunes rattachĂ©es Ă la rĂ©serve naturelle. Il est mĂȘme arrivĂ© que des voyeurs et des exhibitionnistes sây fassent arrĂȘter et emmener au poste, simplement habillĂ©s dâune paire de menottes. Mais sur la plage, elle ferme les yeux. Car, mĂȘme si lâexhibitionnisme y est, comme partout, un dĂ©lit, les plaintes sont rarissimes. Dans le coin, tout le monde sait ce qui se trame Ă cet endroit.
Tout le monde est adulte, consentant et nu
Depuis la construction du village naturiste du Cap-dâAgde dans les annĂ©es 70, cette parcelle de sable a toujours accueilli les libertins et leurs pratiques ont presque fini par entrer dans les moeurs. Des lois informelles se sont mĂȘme Ă©tablies au fil du temps. Sur la « baie des cochons », tout le monde est adulte, consentant et nu, absolument nu (mĂȘme le journaliste, aprĂšs quâil eut renoncĂ© au stratagĂšme du parĂ©o). Le groupe veille sur lui-mĂȘme et chasse ceux qui mettraient en danger son harmonie. Cet aprĂšs-midi-lĂ , un homme ayant eu lâindĂ©licatesse de sortir un tĂ©lĂ©phone portable pour filmer une femme en action se fera ainsi sĂ©vĂšrement reprendre. Son portable finira mĂȘme Ă lâeau.
Au Cap-dâAgde, les exhibitionnistes se montrent dans lâassurance que les voyeurs sauront se tenir, malgrĂ© lâexcitation. Ici, lorsquâun homme jouit et rĂ©pand sa semence sur la plage, il prend mĂȘme le temps de la recouvrir de sable.
Un peu plus loin, câest maintenant une femme trĂšs bronzĂ©e, la cinquantaine peroxydĂ©e et siliconĂ©e, qui sâoffre Ă son homme. Il est Ă genoux devant elle et lui lĂšche le clitoris. Un nouveau cercle de voyeurs se forme autour dâeux. Les plus jeunes ont 25 ans, les plus vieux presque 80, Ă vue dâoeil. Ils sont lĂ , agglutinĂ©s, collĂ©s les uns aux autres, le sexe Ă la main. Ils se masturbent dans un silence de cathĂ©drale, comme concentrĂ©s sur les petits cris de plaisir poussĂ©s par la femme. Câest elle lâhĂ©roĂŻne de ce spectacle improvisĂ©, aux allures de tournage porno en plein air et en public. Câest elle qui donne le tempo, dit « oui » ou « non ».
Quand une femme désigne un homme, il doit venir la contenter
Au Cap-dâAgde, la femme est toujours au coeur des attentions, et ses dĂ©sirs sont comme des ordres. Quand elle dĂ©signe un homme dans la foule des voyeurs, celui-ci doit se rapprocher et venir la contenter, ce quâil fait gĂ©nĂ©ralement avec empressement. LĂ , le veinard est un jeune homme dâorigine maghrĂ©bine au corps ferme. DĂ©licatement, il sâinstalle Ă cĂŽtĂ© de madame et pose ses doigts sur son corps, puis lĂšche ses seins. BientĂŽt, il pourra venir en elle.
Comme partout ailleurs, personne nâest Ă©videmment Ă©gal devant le dĂ©sir. Il y a une hiĂ©rarchie et un ordre esthĂ©tique. Dans Les Particules Ă©lĂ©mentaires, sâarrĂȘtant pendant quelques pages magistrales sur la plage du Cap-dâAgde, Michel Houellebecq Ă©crit :
« (âŠ) une femme au corps jeune et harmonieux, un homme sĂ©duisant et viril se voient entourĂ©s de propositions flatteuses. Au Cap-dâAgde comme ailleurs un individu obĂšse, vieillissant ou disgracieux sera condamnĂ© Ă la masturbation â Ă ceci prĂšs que cette activitĂ©, en gĂ©nĂ©ral proscrite dans les lieux publics, sera ici considĂ©rĂ©e avec une aimable bienveillance. »
Nudité, érection et chaussures de ville, tout passe
Au fil des heures, et des jours, rien ne choque ou ne surprend plus vraiment. On sâhabitue Ă voir dĂ©ambuler des sexagĂ©naires Ă©quipĂ©s dâĂ©pais cockrings en mĂ©tal (assurĂ©ment lâaccessoire de lâĂ©tĂ© 2012 au Cap-dâAgde). On se fait aussi au spectacle bizarroĂŻde dâhommes en Ă©rection, nus mais chaussĂ©s de leurs chaussures de ville ou de leurs baskets, car le sable brĂ»le les pieds en plein aprĂšs-midi. Tout devient normal. Tout passe. MĂȘme quand notre voisine de serviette, ĂągĂ©e dâau moins 70 ans, ouvre ses cuisses en grand et entreprend de se caresser pour le plaisir dâun mateur venu se poser Ă quelques centimĂštres dâelle, sous lâĆil approbateur du mari, un homme aux longs cheveux blancs et au physique de gourou de secte.
Ici, les corps, entiĂšrement Ă©pilĂ©s dans lâimmense majoritĂ© des cas, sont souvent usĂ©s, tombants, fripĂ©s. La moyenne dâĂąge tourne autour de 45 ou 50 ans et, si lâon recense quelques hommes dans la fleur de lâĂąge, les femmes de moins de 40 ans sont trĂšs rares. « CâĂ©tait mieux avant », regrette dâailleurs un homme Ă casquette, postĂ© en haut dâune petite dune, Ă un poste dâobservation privilĂ©giĂ©. « Il y avait des jeunettes, des belles filles. Elles sont toutes partiesâŠÂ »
De façon gĂ©nĂ©rale, des habituĂ©s de la plage aux policiers municipaux en passant par les habitants du coin, on sâaccorde Ă dire que « la baie des cochons » est au creux de la vague, et quâil sây passait davantage de choses il y a cinq ou dix ans. Pour la police, les arrestations dans les dunes portent leurs fruits et dissuadent une partie des exhibitionnistes et voyeurs. Pour les autres, câest lâapparition des boĂźtes libertines, ouvertes le jour, qui a changĂ© la donne. Il se dit, par exemple, que les jeunes libertines du Cap-dâAgde passent dĂ©sormais leurs aprĂšs-midi au Glamour, une boĂźte de nuit du village naturiste rĂ©putĂ©e pour la qualitĂ© de ses ambiances mousse.
Il est 18 heures, les choses sâaccĂ©lĂšrent
Pourtant, indiscutablement, les trois ou quatre cents fidĂšles venant poser leur serviette chaque jour dâĂ©tĂ© sur « la baie des cochons » continuent de sây sâamuser. Il est maintenant 18 heures et le poste de surveillance des maĂźtres nageurs vient de fermer. Les choses sâaccĂ©lĂšrent. Dans lâeau, Ă quelques mĂštres du bord, on remarque une vingtaine dâhommes en groupe. Au milieu dâeux, une femme aux cheveux courts, extrĂȘmement gĂ©nĂ©reuse.
Sur la plage, on sâactive aussi. Goguenard, un homme revient de derriĂšre les dunes et raconte Ă ses copains qu' » une fille vient de se faire Ă©jaculer sur le visage par une dizaine de types » (une pratique connue sous le nom de bukkake). Plus loin, une femme rousse allongĂ©e sur le sol fait lâattraction. Elle est entourĂ©e dâau moins cinquante hommes et elle dĂ©signe les Ă©lus, appelĂ©s Ă venir profiter dâelle. Ils piaffent tous, cherchent Ă capter son regard dans lâespoir dâun signe. Mais elle semble impĂ©nĂ©trable, les yeux dans le vague, doucement gagnĂ©e par le plaisir.
Elle dit » viens » Ă un homme. Elle est française, comme une majoritĂ© des gens prĂ©sents sur la plage, semble-t-il. Il y a aussi beaucoup dâAllemands, de Hollandais, de Belges et quelques Anglais. Mais, dans le plus simple appareil, les Ă©tiquettes tombent vite, et les marqueurs sociaux sâestompent naturellement. Câest aussi le charme du Cap-dâAdge. Si quelques coupes de cheveux ou quelques tatouages maladroits semblent trahir, parfois, une appartenance Ă un milieu populaire, on ne peut savoir vĂ©ritablement qui est riche, qui est pauvre, qui est cadre ou ouvrier.
Toujours dans Les Particules Ă©lĂ©mentaires, Houellebecq Ă©voquait, avec une certaine gourmandise, la prĂ©sence « dâinfirmiĂšres hollandaises, de fonctionnaires allemands, tous trĂšs corrects bourgeois, genre pays nordiques ou Benelux ». Sur place, pourtant, les informations sont difficiles Ă glaner. Un homme, habituĂ© des lieux depuis une dizaine dâannĂ©es, glisse quâil est commercial dans lâagroalimentaire. Une femme dit ĂȘtre kinĂ©sithĂ©rapeute. Mais, ici, personne ne veut ĂȘtre ramenĂ© Ă la vraie vie. Il y a tellement mieux Ă faire. Tellement mieux Ă Ă©voquer. Le soleil tombe et des couples se rapprochent, entament la conversation. Il est grand temps de prĂ©parer ce qui se passera plus tard, Ă lâabri des regards, cette fois.
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