Reportage Roumanie : le pays des non-vaccinés est au bord du gouffre

Reportage Roumanie : le pays des non-vaccinés est au bord du gouffre


Reportage Roumanie : le pays des non-vaccinés est au bord du gouffre

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La Repubblica (Rome, Italie)

Une méfiance vis-à-vis du gouvernement, des prêtres orthodoxes qui jouent les antivax… En Roumanie, moins de 35 % de la population est immunisée, et depuis un mois le nombre de décès grimpe de nouveau en flèche. Le journal italien La Repubblica s’est rendu sur place pour constater l’ampleur des dégâts.

BUCAREST. À midi, au centre de vaccination de Romaexpo, le plus grand de la ville, le compteur des personnes dans la file d’attente affiche un triste “0”. Dehors, sur l’énorme parking désert, au milieu des hangars, on n’aperçoit que deux hommes. Ils sont sur le départ. Les médecins et infirmiers sur place, eux, bâillent dans une attente aussi pleine d’espoir que vaine. Voilà qui semble paradoxal, lorsque l’on sait que dans des hôpitaux à bout de forces, leurs collègues travaillent 24 heures sur 24.

À Bucarest, on peut se faire vacciner et dépister à chaque coin de rue, dans les établissements publics, les pharmacies, les cliniques privées, mais personne ne semble s’en soucier. C’est comme si les gens ne se sentaient pas concernés par ce virus qui, hier encore, gagnait en force, avec 405 victimes et plus de 6 300 nouveaux cas positifs enregistrés le 9 novembre.

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“Qu’ils aillent se faire vacciner en premier”

Et nous sommes dans la capitale, là où la population a été la plus réceptive à la campagne de vaccination, fiasco d’un gouvernement faible. Un gouvernement désavoué. Il n’y a pas de quoi s’étonner.

Deuxième tableau de ce périple roumain : Giurgiu, à 60 kilomètres au sud de Bucarest. Une ville de 60 000 habitants qui défend bec et ongles son évêque, Ambroise, visé par une enquête pour avoir diffusé des informations fausses et dangereuses dans son sermon dominical :

N’ayez pas hâte de vous faire vacciner, qu’ils aillent se vacciner en premier, tous ces parlementaires, ces sénateurs, ces députés. Ces 120 millions de vaccins qu’a achetés le Premier ministre Citu sont périmés, et ils essaient de les revendre à l’étranger.”

“On ne peut pas s’opposer à la volonté de dieu”

Et dire que l’an dernier, au même moment, le patriarche s’est trouvé hospitalisé trois semaines à cause du Covid ! Or, aujourd’hui, il ne rechigne pas à endosser le rôle (non officiel) que l’Église orthodoxe a choisi de jouer dans cette pandémie : prêcher la parole antivax. Surprenant dans cette partie du pays, où tous les villages vous accueillent avec des inscriptions “Nu vaccin” ou “vaccin = iad” [“pas de vaccin” ou “vaccin = poison”] sur les murs.

“Les personnes qui se vaccinent finissent en enfer, elles sont punies, elles attrapent toutes le cancer et meurent, nous raconte, convaincue, une vieille dame devant la cathédrale de la Dormition. On ne peut pas s’opposer à la volonté de Dieu. Et puis, le Covid, ça se soigne comme une grippe.”

Troisième étape du voyage : Slobozia, à une heure de voiture à l’est de la capitale. Voici deux pelleteuses qui creusent des trous à la limite de la route. Au cimetière, il n’y a plus de place, il n’y a même plus de cercueil. “Ici, avant, on avait au maximum un mort par jour, maintenant, on en a parfois dix, et sur ces dix-là, il y en a six ou sept qui meurent chez eux parce qu’on n’a pas pu les secourir à temps. Et puisqu’il n’y a plus de place pour les sépultures, j’ai dû faire venir une pelleteuse”, explique, désespéré, le maire, Dragos Soare, qui est en train de mettre en place un service de dépistage gratuit, une fois par semaine, pour ses concitoyens.

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Ce petit voyage à Bucarest et alentour nous dit combien, en Roumanie, la nuit du Covid sera encore longue si les gens continuent de refuser le vaccin. Hier [9 novembre], le gouvernement a prolongé l’état d’urgence et le ministre de la Santé, face à la faillite d’une campagne qui n’a permis de vacciner que 33 % de la population, s’est donné une nouvelle date butoir pour arriver à la barre des 90 % : fin 2023. Un horizon effroyablement lointain.

En attendant, “c’est la roulette russe de la vie, nous ne sommes pas en mesure de garantir à ceux qui réussissent à trouver une place à l’hôpital qu’ils en sortiront vivants. Le système hospitalier ne tient pas le choc, nous travaillons 24 heures sur 24, la situation est catastrophique. Nous faisons tout notre possible, mais la situation est pire qu’en Lombardie au début de la pandémie.” Dorel Sandesc, sommité des soins intensifs, nous guide à travers les cercles dantesques des services d’urgence de l’hôpital. Un fatras de lits et de civières partout, dans les couloirs, les salles d’attente, des vieillards avec un respirateur installé sur un siège, depuis des jours, pendant que l’on ouvre frénétiquement les cartons arrivés de la moitié de l’Europe : casques, ventilateurs, médicaments (ici, cela semble normal que les malades les apportent de chez eux).

“Arriver à l’hôpital ne signifie pas qu’on aura la vie sauve”

L’Italie a envoyé des anticorps monoclonaux, mais c’est une goutte d’eau dans l’océan de ces hôpitaux. Ici, même l’oxygène commence à manquer et les médecins, en plus de soigner, se démènent au téléphone pour organiser des transferts d’urgence de malades, en avion militaire, vers les services de soins intensifs de pays qui ont donné leurs disponibilités : l’Allemagne, la Hongrie, l’Italie, où sont arrivés hier les quatre premiers malades graves.

“Je ne peux pas dire que nous soyons contraints de choisir, mais ce qui est sûr, c’est que même lorsqu’on arrive aujourd’hui à entrer à l’hôpital, cela ne signifie pas qu’on aura la vie sauve”, reconnaît, désolé, le professeur Sandesc qui, comme tous les médecins de son pays, réclame des décisions drastiques du gouvernement : “L’unique manière de s’en sortir, c’est de vacciner à toute vitesse, or, jusqu’à présent, la méfiance envers les institutions l’emporte, et des fausses informations sont diffusées à tout-va. Comme cela s’est fait en Europe de l’Ouest, le gouvernement doit immédiatement introduire des mesures contraignantes, à commencer par un pass sanitaire obligatoire sur le lieu de travail. Si ça marche, tant mieux, sinon, le pire reste encore à venir. Mais comme le dit le dalaï-lama, il ne faut jamais perdre espoir. Car sans espoir, on n’y arrivera pas.”

Alessandra Ziniti

Cet article a été publié dans sa version originale le 17/11/2021.


Source

La Repubblica

Rome, Italie

http://www.repubblica.it

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