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«Madame de», peines d'amour bourgeoises dans un salon parisien où l'on meurt de se taire
«Madame de», peines d'amour bourgeoises dans un salon parisien où l'on meurt de se taire
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Le Grand Théâtre de Genève sort de l'oubli la comédie lyrique de Jean-Michel Damase et lui offre une production cousue main au Bâtiment des Forces Motrices.
Quel accueil! Des abonnés du Grand Théâtre, un soir de première, poussant des cris de joie… Pourtant, Madame de fut oubliée presque aussitôt après sa création en 1970, à Monte-Carlo. C'est un objet lyrique bizarre, un mélodrame sans âge. Tout est à l'envers de la forme ancienne de l'opéra, où l'on parle pour faire avancer l'action et l'on chante lorsque l'émotion surgit. Ici, une récitante dit les états d'âme des personnages, et la musique survient lorsqu'ils n'ont que des futilités à s'échanger.
Le nœud de l'affaire étant le mensonge des apparences, tout cela se tient. Madame de est une tragédie de salon. Une femme élégante y meurt de malentendu, entre son richissime mari qu'elle n'aime pas et un ambassadeur qu'elle aime trop. Une paire de boucles d'oreilles n'en finit pas de circuler, précipitant la catastrophe. A sa parution, le livre de Louise de Vilmorin faisait une anamnèse féroce de la maladie des bonnes manières, où une certaine France croyait avoir inscrit les signes de sa grandeur sans voir que le corset craquait. Max Ophuls en tira un film cruel où François Truffaut avait décelé ces éternels sujets: «Le désir sans l'amour, le plaisir sans l'amour, l'amour sans réciprocité».
Dans les mains de Jean Anouilh, qui en tira un livret, puis dans celles du compositeur Jean-Michel Damase, Madame de devenait, en 1970, une sorte d'hybride de Marivaux et de Guitry. Musicalement, l'ouvrage représente le chaînon manquant entre Debussy et Michel Legrand. On croit parfois entendre Golaud et Yniold, de Pelléas, puis le babil reprend, où passent des airs de tango, des accents de Gershwin… Deux ans après Mai 68, cette comédie venait tard. Tout y respirait l'art bourgeois, comme cette femme capable de chanter extasiée: «S'habiller, plaire, perdre son temps. Tout cela prend énormément de temps!»
La politique ayant déserté les allées de la création, Madame de récupère aujourd'hui son statut d'ouvrage de charme. Tout y avance vite, clair, net. La production genevoise fait de même. Vincent Vittoz a remplacé le récitant par une femme (Béatrice Agenin, sosie de Louise de Vilmorin) et placé l'action dans le Paris des années trente, dont la futilité semble annoncer le cataclysme que l'on sait. Le décor et les costumes de Christine Marest évoquent, dans des gris et des beurre frais, le chintz et la croisière noire de Citroën.
Tout coulisse d'une scène à l'autre avec un chic haute couture. Belle distribution, de surcroît, où Alexandra Çoku n'a certes pas la voix fruitée des sopranos de la grande école française, mais elle irradie la beauté, et ses aigus ouvrent parfois une porte sur le drame. François Le Roux est un «Monsieur de» à la Jean Renoir, arrogant, imperméable à tout, et superbe diseur. Nicolas Rivencq donne à l'ambassadeur l'allure d'un Pierre-Richard Wilm dans Le Grand Jeu, et Franck Leguérinel est un bijoutier impayable. Guillaume Tourniaire dirige tout cela en gants blancs, tirant de l'orchestre les couleurs savoureuses que Jean-Michel Damase y a déposées, évitant ainsi à l'entreprise de sombrer dans l'anecdote.
BFM de Genève, les 9, 11, 13, 15, 16, 17, 19, 21 et 23 mai à 20h. Loc. 022/4183130 ou Billetel.
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