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Dialogue Numéro 2012/2 (n° 196) L'inceste pÚre/fille et ti-pÚre/ti-fille...






L'inceste pĂšre/fille et ti-pĂšre/ti-fille Ă  La RĂ©union (1980-2004)


Les modes de fonctionnement, les interrelations prédisposant au passage à l'acte




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Daniel Pothin

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Dialogue
2012/2 (n° 196) , pages 85 à 96








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Selon les déclarations de la victime principale et du pÚre Selon les déclarations de la victime principale et du ti-pÚre Total Mode de fonctionnement intrusif 141 92 233 Mode de fonctionnement de complaisance 17 23 40 Mode de fonctionnement pédophilique 40 26 66 Total 198 141 339
Le Journal de l’üle de la RĂ©union , le Quotidien de La RĂ©union et TĂ©moignage .
DĂ©couverte par les Portugais au dĂ©but du xvi e siĂšcle, l’üle a assurĂ© son peuplement par l’émigration de colons europĂ©ens, malgaches et indiens, produisant un fort mĂ©tissage originel, relayĂ© par le dĂ©veloppement de l’esclavagisme Ă  partir du xvii e siĂšcle, officialisĂ© dans l’üle de 1723 Ă  1848.
L’engagisme est utilisĂ© du xvi e au xviii e siĂšcle pour fournir une main d’Ɠuvre aux colonies europĂ©ennes, dans un premier temps Ă  partir de leur mĂ©tropole. DĂšs 1735, MahĂ© de La Bourdonnais, gouverneur gĂ©nĂ©ral de l’Isle de France et de l’üle Bourbon, en pleine pĂ©riode esclavagiste, fait venir essentiellement d’Inde (cĂŽte Malabar) des engagĂ©s : « Pendant le voyage qu’il fit en France, il effectua divers prĂ©lĂšvements de travailleurs. Il en fit des planteurs, des soldats, des marins. De l’Inde, il recruta des contingents de petites gens qui lui rendirent de prĂ©cieux services comme artisans, tailleurs de pierres, calfats, charpentiers de marine, Ă©bĂ©nistes, employĂ©s, bijoutiers, tailleurs, commerçants » (Nagapen, 1996, p. 23). L’interdiction de la traite par le congrĂšs de Vienne pousse les colons de Bourbon Ă  recourir dĂšs 1827 Ă  un systĂšme d’engagisme Ă  partir d’abord des anciens lieux de traite, puis principalement des Indes.
Bien que cette recherche ait aussi pris en compte les 206 dossiers jugĂ©s en correctionnelle de 1999 Ă  2004 (tribunaux de Saint-Denis et de Saint-Pierre), le prĂ©sent article ne s’appuie que sur les affaires jugĂ©es aux assises de 1980 Ă  2004.
Soit du fait d’un placement familial, soit en raison de la permanence d’une tradition de circulation des enfants que rapportent les travaux rĂ©cents (2002) de L. Pourchez – « Nombreux sont ceux qui, parmi mes interlocuteurs et interlocutrices, dĂ©claraient avoir Ă©tĂ© Ă©duquĂ©s par d’autres personnes que leurs gĂ©niteurs, sans jamais que la raison du placement n’ait Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e devant eux » (Pourchez, 2004, p. 30) –, ainsi que la littĂ©rature romanesque locale (Rigaux, 2003).
Bibliographie Benoist , J. 1983. Un dĂ©veloppement ambigu. Structure et changement de la sociĂ©tĂ© rĂ©unionnaise , Saint-Denis, frdoi . Champion , B. 1999. « Vingt ans aprĂšs », dans B. Cherubini (sous la direction de), La recherche anthropologique Ă  La RĂ©union : vingt annĂ©es de recherche et de coopĂ©ration rĂ©gionale , Paris, L’Harmattan, 147-184. Cherubini , B. (sous la direction de). 1999. La recherche anthropologique Ă  La RĂ©union : vingt annĂ©es de recherche et de coopĂ©ration rĂ©gionale , Paris, L’Harmattan, 97-123 Govindama , Y. 1993. « Maltraitances, violence et sexualitĂ©. Une approche de la violence intrafamiliale Ă  travers la clinique judiciaire », Psychologues et psychologies , 114-115, 12-17. Govindama , Y. 1995. « RĂ©introduire la loi symbolique Ă  travers la loi du juge des enfants », dans D. Castro (sous la direction de), Inceste , Paris, L’Esprit du temps, 359-373. Govindama , Y. 2000. « La complicitĂ© maternelle inconsciente dans l’inceste pĂšre-fille ou la mise en acte d’un infanticide maternel ? », dans C. Damiani (sous la direction de), Enfants victimes de violences sexuelles : Quel avenir ? , Paris, Hommes et perspectives, 188-212. Le Gall , D. ; Roinsard , N. (sous la direction de). 2010. Chroniques d’une autre France : La RĂ©union. Genres de vie et intimitĂ©s crĂ©oles , Paris, L’Harmattan. Le Gall , D. ; Roinsard , N. 2010. « Penser la France autrement : introduction Ă  la sociologie de La RĂ©union », dans Chroniques d’une autre France : La RĂ©union. Genres de vie et intimitĂ©s crĂ©oles , Paris, L’Harmattan, 7-17. Nagapen , A. 1996. Histoire de la colonie Isle de France-Île Maurice 1721-1968 , Port-Louis, DiocĂšse de Port-Louis. Poirier , J. 1999. « Culture crĂ©ole, hĂ©tĂ©roculture rĂ©unionnaise », dans B. Cherubini (sous la direction de), La recherche anthropologique Ă  La RĂ©union : vingt annĂ©es de recherche et de coopĂ©ration rĂ©gionale , Paris, L’Harmattan, 125-144. Pothin , D. 2009. Les pĂšres et « ti-pĂšres » incestueux Ă  La RĂ©union. Le passage Ă  l’acte incestueux au travers du traitement judiciaire des affaires jugĂ©es par la cour d’assises de 1980 Ă  2004 et par les tribunaux correctionnels de 1999 Ă  2004 , doctorat de sociologie (sous la direction de D. Le Gall), universitĂ© de Caen Basse-Normandie. Pourchez , L. 2002. Grossesse, naissance et petite enfance en sociĂ©tĂ© crĂ©ole (Ăźle de la RĂ©union) , crdp -RĂ©union, Kartala. Pourchez , L. 2004. « Adoption et fosterage Ă  La RĂ©union. Du souci de prĂ©server les Ă©quilibres sociaux », dans I. Leblic (sous la direction de), De l’adoption. Des pratiques de filiation diffĂ©rentes , Clermont-Ferrand, Presses de l’universitĂ© Blaise Pascal, coll. « Anthropologie », 29-47. Razon , L. 1996. L’énigme de l’inceste : du fantasme Ă  la rĂ©alitĂ© , Paris, DenoĂ«l. Rigaux , C. 2003. Les dĂ©placements d’enfants Ă  l’üle de la RĂ©union. Un aspect de la place de l’enfant en sociĂ©tĂ© crĂ©ole , dea de sociologie (sous la direction de D. Le Gall), universitĂ© de Caen Basse-Normandie. En ligne Roinsard , N. 2007. La RĂ©union face au chĂŽmage de masse. Sociologie d’une sociĂ©tĂ© intĂ©grĂ©e , Rennes, Presses universitaires de Rennes.
Daniel Pothin, docteur en sociologie, chercheur associĂ© au cerrev (Centre d’étude et de recherche sur les risques et les vulnĂ©rabilitĂ©s)
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.





Mis en ligne sur Cairn.info le 09/07/2012



https://doi.org/10.3917/dia.196.0085










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1 L a lecture des pages judiciaires des trois principaux quotidiens de l’üle de la RĂ©union [1] [1] Le Journal de l’üle de la RĂ©union, le Quotidien de La RĂ©union
 fait Ă©tat d’une exaspĂ©ration des problĂšmes de violence au quotidien, et tout spĂ©cialement des dĂ©lits et des crimes sexuels intrafamiliaux. La rĂ©currence de ce type d’agression dans la presse tant Ă©crite que tĂ©lĂ©visuelle interroge . Les agressions sexuelles intrafamiliales sont-elles un phĂ©nomĂšne liĂ© Ă  une surmĂ©diatisation du fait de l’insularitĂ© (« Tout se sait ! ») ou une caractĂ©ristique d’une sociĂ©tĂ© issue de l’esclavagisme [2] [2] DĂ©couverte par les Portugais au dĂ©but du xvie siĂšcle, l’üle a
 et de l’engagisme [3] [3] L’engagisme est utilisĂ© du xvie au xviiie siĂšcle pour fournir
 , sociĂ©tĂ© de plantation devenue dĂ©partement français en 1946 ? Les anthropologues et les sociologues qui se sont intĂ©ressĂ©s Ă  la sociĂ©tĂ© rĂ©unionnaise s’accordent pour dire que la sociĂ©tĂ© crĂ©ole n’est pas dissociable de son histoire, que l’on ne peut apprĂ©hender cette sociĂ©tĂ© française postcoloniale et multiculturelle, situĂ©e Ă  prĂšs de dix mille kilomĂštres de la France hexagonale, Ă  l’est de Madagascar dans l’ocĂ©an Indien, sans prendre en compte l’hĂ©ritage social de la sociĂ©tĂ© de plantation (Benoist, 1983 ; Champion, 1999 ; Cherubini, 1999 ; Le Gall et Roinsard, 2010 ; Poirier, 1999 ; Roinsard, 2007). Encore rĂ©cemment, Le Gall et Roinsard Ă©crivaient : « Si, dans les faits, la sociĂ©tĂ© de plantation dĂ©cline, les inĂ©galitĂ©s et les relations de dĂ©pendance, quant Ă  elles, ne font que se reproduire, dans un nouveau cadre sociologique certes, mais selon un ordre social amplement intĂ©riorisé » (2010, p. 10).
2 S’il est clair que l’histoire de cette sociĂ©tĂ© a forcĂ©ment interfĂ©rĂ© sur les structures sociales et les reprĂ©sentations mentales, peut-on pour autant convoquer sans autre nuance, comme le font les quotidiens locaux et certaines associations, l’argument du poids de l’esclavage pour expliquer la violence en gĂ©nĂ©ral et la rĂ©currence des violences incestueuses pĂšre/fille et ti-pĂšre/ti-fille (synonymes locaux de beau-pĂšre et de belle-fille) en particulier ? S’il paraĂźt bien dĂ©licat d’apporter une rĂ©ponse dĂ©finitive Ă  la question, il n’en reste pas moins qu’une investigation approfondie de ces crimes sexuels s’imposait.
3 C’est le sens de notre dĂ©marche, qui s’est intĂ©ressĂ©e plus spĂ©cifiquement aux relations Ă  l’Ɠuvre au sein de ces familles. Cependant, l’inceste rĂ©alisĂ© par le pĂšre ou le ti-pĂšre sur sa fille ou sa ti-fille Ă©tant inobservable, seuls les procĂšs-verbaux d’audition pouvaient nous permettre d’accĂ©der Ă  ce qui s’est dĂ©roulĂ© dans le huis clos familial. Aussi avons-nous entrepris de collecter, puis d’analyser les dossiers jugĂ©s aux assises de 1980 Ă  2004 au tribunal de Saint-Denis (Pothin, 2009) [4] [4] Bien que cette recherche ait aussi pris en compte les 206
 , soit 339 affaires impliquant 198 pĂšres et 141 ti-pĂšres. Notre corpus est donc essentiellement constituĂ© de procĂšs-verbaux des enquĂȘtes prĂ©liminaires ou sur commission rogatoire concernant les trois principaux protagonistes de ces crimes incestueux que sont la victime (la fille mineure), l’agresseur (pĂšre ou ti-pĂšre) et enfin la mĂšre, cette derniĂšre jouant aussi un rĂŽle par sa prĂ©sence aussi bien auprĂšs de son mari ou compagnon qu’auprĂšs de sa fille. Ces tĂ©moignages sont certes passĂ©s par le filtre du traitement judiciaire, on ne peut l’oublier. Cependant, si les dossiers jugĂ©s par les tribunaux ne peuvent rendre compte de l’ensemble de la problĂ©matique des incestes rĂ©alisĂ©s Ă  La RĂ©union entre un agresseur, qu’il soit pĂšre ou ti-pĂšre, et une victime mineure, il n’en reste pas moins que les procĂšs-verbaux constituent un matĂ©riau prĂ©cieux pour tenter de comprendre les modes de fonctionnement de ces abus. C’est ce qui nous importait avant tout puisque nous avions Ă©mis l’hypothĂšse que la violence sexuelle incestueuse pĂšre/fille, ti-pĂšre/belle-fille Ă  La RĂ©union s’inscrivait dans des modĂšles d’organisation familiale structurĂ©s sur des interrelations spĂ©cifiques participant au construit d’une forme particuliĂšre de l’intimitĂ© familiale qui, elle-mĂȘme, prĂ©dispose Ă  certains types de passage Ă  l’acte.
4 L’étude des affaires annĂ©e par annĂ©e, sur la pĂ©riode 1980-2004, permet de distinguer deux pĂ©riodes de niveaux fort diffĂ©rents. De 1980 Ă  1995, le nombre annuel d’affaires est compris entre 0 et 14 (moyenne 6,25). De 1995 Ă  2004, ce nombre est compris entre 15 et 30 (moyenne 26,55) : « Il est clair que cette flambĂ©e ne peut s’expliquer ni par la simple augmentation de la population, ni par une montĂ©e irrĂ©sistible de la dĂ©linquance sexuelle. On peut donc Ă©mettre l’hypothĂšse que ce dĂ©veloppement s’explique par une hausse des dĂ©nonciations de ce type de crime, autrefois tu » (Pothin, 2009, p. 105).
5 L’analyse des 339 dossiers jugĂ©s aux assises pendant un quart de siĂšcle nous a permis de discerner trois modes de fonctionnement : le fonctionnement intrusif, le fonctionnement de complaisance et, enfin, le fonctionnement pĂ©dophilique, dont nous nous proposons ici de rendre compte et que synthĂ©tise le tableau suivant.
6 Outre qu’il est de loin le plus rĂ©pandu (un peu plus des deux tiers des affaires ), la principale caractĂ©ristique du mode de fonctionnement intrusif tient au fait que l’agression n’est prĂ©cĂ©dĂ©e d’aucun rapprochement entre l’agresseur et la victime. Le passage Ă  l’ac
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