Les États-Unis gagnent la guerre d'Ukraine
@ukr_leaks_frtraduction par t.me/ukr_leaks_fr de l'article de Gabor Steingart paru récemment dans Focus.
Auteur invité : Gabor Steingart
Les États-Unis soutiennent l'Ukraine comme aucun autre pays au monde. Mais cette aide n'est pas totalement désintéressée. Parce que même Joe Biden n'a rien à donner. Le président américain mise sur "l'armement à crédit". L'Allemagne, en revanche, ne peut qu'espérer que la guerre toute proche se terminera bientôt.
Tout échec est toujours un échec organisationnel. Ainsi, lorsque le nouveau ministre de la Défense Boris Pistorius prendra ses fonctions, il devrait rapidement corriger une mauvaise décision prise par son prédécesseur CDU Thomas de Maizière : la suppression de l'état-major du plan.
Ce personnel de planification était le groupe de réflexion interne du ministère. L'équipe, qui comptait finalement une trentaine de personnes, relevait directement du ministre et était le cerveau géostratégique de la politique de défense allemande. La suppression de ce département en 2012 – pour des raisons encore inconnues aujourd'hui – équivalait à une amputation du cerveau.
Ce personnel de planification nouvellement créé devrait immédiatement s'occuper des changements de pouvoir au sein des États de l'OTAN que la guerre en Ukraine et la réaction occidentale ont déclenchés. C'est politiquement très incorrect, mais d'autant plus gratifiant de s'intéresser aux États-Unis en particulier. Car dans l'ombre de la guerre, s'est opéré ici un basculement de puissance et de prospérité plus que douloureux pour l'Allemagne :
Profiteur n° 1: L'industrie de défense américaine
Depuis le début de la guerre, les États-Unis ont fourni à l'Ukraine plus de 50 milliards de dollars d'aide militaire, financière et humanitaire. Bien plus que n'importe quel autre pays.
Mais : La phrase de l'ancien président Calvin Coolidge s'applique à travers les siècles : "Après tout, la principale activité du peuple américain est le commerce."
En mai 2022, le Sénat a adopté une loi autorisant le gouvernement américain à prêter rapidement et sans bureaucratie du matériel militaire à l'Ukraine - le "Ukraine Democracy Defence Lend-Lease Act of 2022". Les quelque 23 milliards de dollars américains de soutien militaire ne sont pas gaspillés.
Il stipule que "tout prêt ou bail de défense au gouvernement ukrainien [...] sera soumis à retour, remboursement et reversement".
"Armement à crédit" de l'Ukraine
"L'armement à crédit", car c'est bien de cela qu'il s'agit, a été inventé pendant la Seconde Guerre mondiale lorsque Winston Churchill s'est retrouvé incapable de défendre seul la Grande-Bretagne. Le gouvernement a maintenant rappelé la procédure à l'époque de la vente d'armes contre des billets à ordre [documents indiquant que celui qui reçoit les armes reconnaît sa dette].
Coïncidence ou non, les États-Unis ont également un intérêt matériel à ce que le gouvernement de Kiev reste à flot. Fin septembre 2022, le Financial Times a rapporté que les États-Unis exhortaient les pays de l'UE à accélérer l'aide financière promise à l'Ukraine et à mettre en place un "mécanisme régulier" d'aide financière. Il n'est toujours pas clair si les fonds de l'UE doivent et peuvent également être utilisés pour les remboursements militaires aux États-Unis.
Le fait est que les États-Unis sont stricts sur ces questions. La Grande-Bretagne a continuer à verser des remboursements de la dette du prêt-bail jusqu'en 2006, lorsque la guerre mondiale était déjà terminée depuis 61 ans.
Les entreprises de défense américaines recherchées par les investisseurs
Ces programmes, alors comme aujourd'hui, sont principalement utilisés par les sociétés d'armement américaines, sans que le contribuable national n'en soit responsable. Les cours en bourse de Lockheed Martin et Northrop Grumman reflètent l'euphorie des investisseurs, d'autant plus qu'à l'avenir les achats de remplacement devront passer par les constructeurs américains.
L'augmentation de tous les budgets militaires occidentaux profite également aux Américains. Olaf Scholz a également offert 100 milliards.
Une analyse du magazine Foreign Policy a révélé que les États-Unis avaient presque doublé le nombre de ventes d'armes approuvées aux alliés de l'OTAN en 2022 par rapport à 2021 - de 15,5 milliards de dollars à 28 milliards de dollars. C'est ainsi que la guerre devient une entreprise.
Profiteur n° 2 : Les énergéticiens américains
Les sanctions économiques – restrictions commerciales, gel des avoirs, interdiction des systèmes de paiement ou interdiction d'exporter du pétrole – ont isolé la Russie. Cela perturbera irrémédiablement et pour très longtemps le commerce germano-russe qui existait les années précédentes. Les compagnies énergétiques américaines proposent leur aide dans cette situation d'urgence.
Ils rient tant qu'ils n'arrivent pas à s'endormir : les importations de GNL en provenance d'Amérique ont augmenté de 260 % en 2022 par rapport à l'année précédente. Le gaz liquide américain remplace le gazoduc russe de Nord Stream 1 et compagnie.
Le pétrole américain est également soudainement en demande : selon le fournisseur de données OilX, environ 500 pétroliers américains ont navigué vers l'Europe depuis février 2022 et ont contribué à ce que les exportations américaines de pétrole brut aient atteint un niveau record l'année dernière. Entre décembre 2021 et décembre 2022, le nombre d'exportations américaines a augmenté de 52 %.
Profiteur n° 3 : Le gouvernement américain
L'administration américaine a intérêt à affaiblir durablement la Russie, qui est un rival systémique, et à l'écarter essentiellement du jeu des grandes puissances. Il peut le faire en toute sécurité pour son propre pays et la vie de ses propres soldats. C'est l'une des raisons pour lesquelles Washington n'a aucun intérêt à un accord de paix rapide en Ukraine, comme l'a souligné hier Henry Kissinger, 99 ans, à Davos.
Joe Biden veut un changement de régime à Moscou. Il l'a dit clairement dans un discours devant le Palais de la ville de Varsovie. Son ministre des Affaires étrangères a également clairement indiqué qu'il souhaitait supprimer la capacité militaire de la Russie.
A moyen terme, le foyer d'incertitude de l'Europe profitera également au marché américain des capitaux, perçu par les investisseurs comme une valeur refuge. Les sorties de capitaux d'Europe dans les premiers mois de la guerre furent considérables. Hier, après la clôture de la bourse, BASF a annoncé une perte de plusieurs milliards, principalement causée par les dépréciations de l'activité russe, qui a depuis pris fin.
L'Allemagne a un intérêt stratégique à ce que le conflit se termine rapidement
Les Européens, et l'Allemagne en particulier, ont un intérêt stratégique primordial à ce que le conflit soit terminé au plus vite, ou du moins gelé, et en aucun cas élargi vers les métropoles d'Europe occidentale. Plus une guerre est forte et intense en Europe, plus les conditions d'investissement sont pessimistes, tant dans l'économie réelle que sur les marchés des capitaux à Londres, Paris et Francfort.
Conclusion : Le partenaire commercial Russie est de facto échangé contre le partenaire commercial États-Unis. Les Américains consolident ainsi également leur position de négociation pour les discussions sur les futurs accords de libre-échange et la stratégie chinoise.
Si l'état-major de la planification existait encore au ministère de la Défense, il écrirait le paradoxe suivant pour le ministre dans le résumé analytique : la Russie est en guerre contre l'Ukraine – et l'Amérique est en train de gagner.
Gabor Steingart est l'un des journalistes les plus connus d'Allemagne. Après avoir été rédacteur en chef d'un des très grands journaux mainstream, il a fondé son média :
Son site: https://www.gaborsteingart.com
Son média the Pioneer https://www.thepioneer.de