“Le maintien de la paix, de la démocratie et de la liberté exige plus que jamais de prêter attention à Hongkong”

“Le maintien de la paix, de la démocratie et de la liberté exige plus que jamais de prêter attention à Hongkong”

Lun Zhang


La loi relative à la sécurité nationale, imposée le 30 juin par Pékin à Hongkong, signe la mort du modèle unique développé par cette île et accélère l’essor d’« une nouvelle guerre froide » entre la Chine et les Etats-Unis, analyse, dans une tribune au “Monde”, l’universitaire Lun Zhang
Aanthony Wallace (AFP)


Hongkong est morte ! Cette phrase, je ne cesse de la répéter depuis un certain temps, surtout depuis l’an dernier. C’est à présent confirmé : l’application de la loi relative à la sécurité nationale fait de Hongkong une ville semblable aux autres villes chinoises du point de vue politique. « Un pays, deux systèmes » devient une expression désuète.Il est vrai que la Bourse de Hongkong peut encore afficher une image relativement sérieuse. Grâce d’une part aux fonds mobilisés par Pékin pour la soutenir et, d’autre part, aux capitaux des entreprises chinoises se retirant du marché américain à la suite du contrôle de plus en plus sévère de l’administration américaine. Le secteur des services hongkongais pourra garder une prospérité relative si la pandémie reste sous contrôle et si les dépenses et l’investissement des continentaux s’y maintiennent. Ces derniers tentent, en effet, d’échapper à une situation économique et politique qui ne cesse de se dégrader en Chine continentale.

Néanmoins, la situation de Hongkong ne pourra pas se stabiliser comme le souhaitent Pékin et certains hommes d’affaires hongkongais ou étrangers, et ce malgré une loi extrêmement dure en termes de répression. Cette loi demeure volontairement floue sur la définition de certains crimes, laissant à Pékin une très grande latitude pour condamner à son gré. La perle d’Orient s’éteint ; une page historique est décidément tournée.

Pour le comprendre, il faut se rappeler que Hongkong est d’abord un produit « mixte » issu de deux cultures, orientale et occidentale, mélange de tradition et de modernité, à la périphérie de la Chine, mais représentant l’Occident en Orient. Son charme et son dynamisme proviennent de ce mélange qui est lié à une période historique aujourd’hui révolue, à l’origine de ses forces mais aussi de ses faiblesses.

Les institutions britanniques, qui garantissaient les libertés individuelles, tout comme la fuite des cerveaux, de la main-d’œuvre et des capitaux de la Chine continentale, après la prise du pouvoir par les communistes, lui ont permis un décollage économique significatif. Ces facteurs ont posé les bases de son rayonnement international.

Nouveau rapport de force

A cela s’ajoute une conjoncture internationale favorable. Si le succès d’hier de Hongkong est en partie le résultat de la guerre froide, son destin tragique d’aujourd’hui est aussi lié à un nouveau rapport de force, à une nouvelle guerre froide qui s’amorce.

La situation actuelle constitue, en effet, la première bataille de cette nouvelle guerre froide qu’on peut qualifier de warm war (« guerre tiède »), en raison du niveau et de la nature du conflit entre la Chine et les États-Unis. La température peut varier y compris jusqu’à la rupture des liens commerciaux ou même un conflit armé. Cette « troisième guerre mondiale » provoque l’ébranlement des organisations internationales. L’ordre mondial est en passe d’être modifié profondément.

Cette décomposition de la structure internationale ne date pas d’aujourd’hui, le risque est apparu depuis des années. Parmi les principaux facteurs en cause, la montée en puissance de la Chine et le renforcement de la tendance isolationniste américaine, tous deux intrinsèquement liés. La Chine a su tirer les bénéfices de la globalisation pour renforcer sa capacité au détriment de certains intérêts américains, favorisant l’émergence d’un sentiment de frustration et de colère aux Etats-Unis.

Ce sentiment explique en partie l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. En jouant habilement le jeu « démocratique », Pékin a imposé une influence grandissante au sein des organisations internationales, en s’appuyant sur le soutien des « Etats voyous », selon la vieille expression américaine, et de ces pays ou hommes politiques pro-Pékin soutenus par la Chine via diverses aides financières. L’action de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) contre la pandémie est, une nouvelle fois, représentative de cette influence.

Un nouvel ordre mondial en gestation

Comment faire face à une telle situation ? La crise de Hongkong nous offre aujourd’hui l’occasion d’observer un nouvel ordre mondial en gestation. Elle nous permet surtout de vérifier si les Occidentaux, en particulier les Européens, auront le courage et l’intelligence de défendre les principes qu’ils ont eux-mêmes conçus et promus dans le monde.

Ce sont bien les Européens qui devraient avoir en mémoire certains dangers, plus que n’importe quel autre peuple du monde : ils sont les mieux placés pour entrevoir ce qui pourrait arriver si un pouvoir totalitaire exprimait son avidité territoriale et administrative au nom de la gloire nationale, sans être freiné par la résistance des pays démocratiques.

Il ne faut pas oublier la garantie de cinquante ans d’autonomie aux Hongkongais inscrite dans la déclaration conjointe sino-britannique signée en 1984 sur le statut de Hongkong, et cautionnée par les Nations unies. Le maintien de la paix, de la démocratie et de la liberté, ainsi que la sauvegarde de la structure internationale dont l’humanité a besoin pour faire face aux nouveaux défis communs, exigent plus que jamais de prêter attention à ce qui se passe à Hongkong.

Il est crucial d’agir plus énergiquement pour que ce nouvel ordre mondial post-pandémie ne soit pas marqué par la victoire aussi facile d’un pouvoir néototalitaire. Si les Européens ferment les yeux, comme ils l’ont fait durant les années 1930 dans d’autres circonstances, ils subiront eux-mêmes, tôt ou tard, les conséquences de leur inaction.


Lun Zhang est chercheur au laboratoire Agora et au Collège d’études mondiales (FMSH, Paris), actuellement chercheur invité à l’université de Harvard, rédacteur en chef du site Chinese-future.org. Il est l’auteur, avec Aurore Merle, de « La Chine désorientée » (Charles Leopold Mayer, 2018).


Tribune publiée sur le site du journal Le Monde, 7 juillet 2020

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