Le Musée d'Arts et d'Histoire de Genève perpétue la culture …
Renversé
En ce moment, au MAH se tient une exposition autour de Casanova. Nous aimerions ici contribuer à ce que cesse la minoration, la négation du viol dans l'art et ailleurs.
Avertissement : ce texte contient le récit d'un viol.
Corinne Borel estime que Casanova « était un sentimental, un homme respectueux de ses partenaires... », elle souligne dans l'article de Samuel Schellenberg (Courrier du 26/09/25 ) que pour lui (Casanova), le consentement des femmes, si possible enthousiaste, était important.
Alors nous nous interrogeons, peut-être que Casanova ne considérait pas « la fille de la blanchisseuse » turinoise comme une femme, comme une personne mais comme un petit animal ?
Madame Corinne Borel, commissaire de l'exposition explique dans l'article précité :
« Nous avons pris le parti de nous appuyer sur l'œuvre littéraire la plus connue de Casanova, ses mémoires ».
Et bien au Silure, nous aussi, mais pour compléter un extrait des mémoires de Casanova, nous nous appuierons surtout, sur les travaux de Roxane Darto et Maxime Trinquenaux, et leur travaux sur la culture du viol au XVIII e siècle.
Roxane Darlot-Harel parle d'« esthétique de la violence propre au libertinage. En effet, les relations intersexuelles mondaines de l'aristocratie reposent sur des codes de séduction figés, où les femmes adoptent une attitude passive face à un séducteur masculin actif. Les choses doivent se passer ainsi : l'homme insiste verbalement puis physiquement pour avoir une relation sexuelle avec la femme, qui quant à elle doit, pour préserver ses apparences de pudeurs, dire non et céder à son désir seulement car elle y est contrainte et forcée ... Il s'agit pour elle de céder et non pas de consentir. La violence du séducteur serait purement formelle c'est à dire qu'elle serait un jeu qui dissimulerait la réalité (muette) du consentement féminin, dans l'intérêt même des femmes ».
Nous citons encore Roxane Darlot : « ... De manière plus précise la culture du viol trouve sa source dans le discrédit de la parole féminine dans un contexte sexuel, et dont le postulat est très simple : une femme qui dit non c'est une femme qui voudrait dire oui... On devine la perversité de ce discrédit jeté sur la parole féminine : un refus réel est un faux refus, et on peut donc violer la conscience tranquille- il est normal, et même juste de ne pas écouter les femmes. Ainsi, on peut définir la culture du viol comme un ensemble de représentations qui visent à nier la possibilité même du viol. »
La parole maintenant à Cacasanova dans un récit cité et dûment commenté par Maxime Trinquenaux : Un récit qui prend place en 1750, lors d'un passage de l'écrivain par Turin.
« ce fut avec la fille de la blanchisseuse qu'il m'est arrivé une chose que je n'écris que parce qu'elle peut donner une instruction en physique [apporter une information en matière de science anatomique] »
Il ne s'agit pas d'une rencontre capitale dans la vie sentimentale du mémorialiste-héros (...) ce n'est ici qu'une fille de blanchisseuse anonyme, figure aussi insignifiante que la fonction de sa mère qui sert à la désigner, et avec laquelle s'est produite « une chose » qui serait négligeable s'il elle n'avait pas, selon Casanova, quelque intérêt d'un point de vue scientifique et médical.
Or cet épisode insignifiant pour le mémorialiste, c'est un viol :
Après avoir fait l'impossible pour avoir un entretien avec cette fille chez moi, chez elle, ou ailleurs, et n'y être pas parvenu, je me suis déterminé à l'avoir par surprise, et en usant un peu de violence s'il le fallait, l'attendant au bas de l'escalier dérobé, lorsqu'elle sortait de chez nous après nous avoir porté notre linge. M'étant donc caché où elle ne pouvait pas me voir, je suis sauté sur elle quand je l'ai vue à ma portée comme le chat sur la souris. Je l'ai assise sur le troisième degré de l'escalier, lui en imposant assez pour l'empêcher de faire du bruit ; et moitié par la douceur, et moitié par la force je l'ai subjuguée.
Cependant, le texte ne s'arrête pas à cette description. Un incident vient contrecarrer le déroulé du viol :
Mais à la première secousse de l'union, qui cependant ne trouva aucun obstacle, un son fort extraordinaire à l'égard du moment, sortant de l'endroit voisin de celui que j'avais rempli, ralentit ma fureur amoureuse, d'autant plus que j'ai vu la succombante porter la main à son visage pour me cacher la honte qu'elle ressentait à cause de cette indiscrétion. Après l'avoir rassurée par un éloquent baiser, je veux suivre [poursuivre] ; mais voilà un second son plus fort du premier sortant du même endroit. Je le méprise, et vais mon train ; mais voilà le troisième, puis le quatrième, et le cinquième ... Ce phénomène de l'ouïe, joint à l'embarras, et à la confusion de ma victime, que je voyais désolée, se saisit tout d'un coup de mon âme. Tout cela représenta soudain à mon esprit une idée si comique que le rire s'étant emparé de ma force, et de toutes mes facultés, j'ai dû lâcher prise. Elle saisit ce moment pour s'échapper. Je suis resté là un bon quart d'heure avant de pouvoir finir de rire. Depuis ce jour-là, elle n'a osé plus paraître devant mes yeux. Aujourd'hui encore, quand je me rappelle ce fait, je me sens forcé à rire, et je rirai au moment de ma mort, si j'aurai le bonheur m'en ressouvenir.
Pour Casanova, l'essentiel à retenir est une mésaventure corporelle qui prête à rire. Une forme de drôlerie rabelaisienne faisant appel au motif du bas corporel est programmée par le texte. Et c'est cela, et rien que cela, qui fait réfléchir le Casanova mémorialiste racontant l'épisode presque cinquante ans plus tard :
J'ai réfléchi que cette fille était peut-être redevable de sa sagesse à cette petite incommodité. Si elle y était sujette à cause d'une singulière conformation d'organe, elle devait reconnaître de la Providence éternelle un don que par un sentiment d'ingratitude la nature lui faisait prendre pour un défaut.
L'objet de sa méditation n'est pas le viol d'une femme qu'il vient de commettre, mais les conséquences potentielles d'une « incommodité » qui l'a fait rire, puis réfléchir. La violence est de toute façon niée puisque l'incommodité explique la « sagesse » de la fille de la blanchisseuse : le consentement d'une femme n'a pas lieu d'être, ou plutôt il est implicite, et le viol n'est rien d'autre qu'un palliatif à la pudeur excessive d'une femme qu'il s'agit de forcer un peu.
Tout l'enjeu de la lecture du texte semble ici d'utiliser (ou pas) le mot juste qui sert à décrire la scène à laquelle on assiste : viol. Dans le cas présent, il ne me paraît pas y avoir l'ombre d'un doute quant à la caractérisation des faits. Il suffit de lire le texte...toute la violence de l'agression sexuelle est concentrée dans le récit. Une violence que l'on perçoit dans toute sa crudité à mesure que l'on « déplie » le texte. Ainsi, le viol est préparé par une phase de harcèlement de la victime, avec laquelle Casanova cherche à obtenir « un entretien ». C'est le fait de se voir éconduit qui produit, semble-t-il, le viol – puisque, sans qu'il soit besoin de le préciser, le non consentement d'une femme n'a guère de valeur. Utilisation de la force et de la violence, comparaison avec la capture d'une souris par un chat, utilisation du mot « subjuguée », la langue de Casanova décrit sans l'événement sans sourdine ni gaze. Rien qui ne justifie donc qu'on fasse l'économie du mot juste pour décrire la scène : viol. » Maxime Trinquenaux
Et sortant du MAH, ah, la dernière gerbante surprise : des préservatifs péniens, jouir oui, mais sans cunnilingus protégé par exemple. Et inscrit en noir sur le rose funky de l'emballage de la capote anglaise, la simplicité des mots dont le sous-texte a été entendu plus haut : « Libertin de profession »,
Si l'idée était d'exposer des souvenirs du XVIIIe meubles, des armes, des tableaux et un canapé, superbe canapé « sur lequel on pouvait s'asseoir mais pas seulement sous-entend le MAH » , s'asseoir avec une aristo probablement car pour la fille de la blanchisseuse turinoise, ça a été les escaliers de service, nous nous permettons une suggestion : Dans le même décor, à quelques détails près, nous aurions pu faire connaissance par exemple avec Emilie de Breteuil ou Marie-Leprince de Beaumont, d'éminentes intellectuelles de leur siècle mais certes pas des filles de blanchisseuses.
Et pour paraphraser ce cher Cacasanova et le MAH : « le temps employé à faire des recherches sur vos grands hommes n'est jamais perdu » car on peut définir la culture du viol comme un ensemble de représentations qui visent à nier la possibilité même du viol. »
Mardi 25 Novembre 2025 Le Silure, Centre Autonome de Luttes
Sources :- Malaises dans la lecture : Lire la littérature libertine du XVIIIe siècle, culture du viol et plaisir de lecture. Publié le 7 février 2019 par Roxane Darlot-Harel https://malaises.hypotheses.org/587
- Malaises dans la lecture (17 février 2018). Ceci (n')est (pas) un viol. Quelques réflexions sur le point de vue en littérature à partir d'un récit de viol chez Casanova. Maxime Trinquenaux. Consulté le 23 novembre 2025 à l'adresse https://malaises.hypotheses.org/147
- Un Vénitien vénérien à Genève. Publié le 26 septembre 2025 par le Courrier auteur Samuel Schellenberg.
Generated by RSStT. The copyright belongs to the original author.