La prison est partout maintenant dans nos vies.

La prison est partout maintenant dans nos vies.

Tieri Briet

La prison est partout maintenant dans nos vies. Et la première question à se poser est impossible à passer sous silence : avez-vous déjà été jeté en prison comme la pire des ordures ? Ou simplement menotté par des flics assermentés qui en profitent pour vous insulter au passage, vous tordre le bras en vous traitant d'enculé, de sale pute ? La question est de savoir si vous avez été, vous aussi, déjà placé au moins une fois en Garde-à-vue dans une cellule qui pue la pisse et la détresse ? Sérieusement, je vous pose la question parce qu'elle dessine une frontière entre nous. Dans la société qui est la nôtre, il faut séparer ceux qui ont vécu l'expérience d'être enfermés derrière des barreaux et tous les autres, dehors, la grande majorité des citoyens de la République Française qui n'ont pas la moindre idée de ce qu'un flic a le droit de faire en 2022, juste pour vous humilier et vous apprendre à avoir peur.

Aujourd'hui oui putain la prison est partout. Dans les collèges, dans les cantines et dans les gares, dans les musées et même les salles de concert on vous contrôle, on fouille dans vos sacs avec un grand sourire puisque les flics ont tous les droits. Les écrans de vidéosurveillance municipale enregistrent vos gestes et vos identités, pendant que les préfets donnent des ordres qui vous obligent à vous masquer, à être gazés ou éborgnés si vous manifestez.

Michel Foucault avait raison. C'est lui qui m'a appris à penser quand j'étais lycéen. J'ai eu la chance de suivre ses cours quand j'étudiais la sculpture à Paris. Pour le Groupe d'Information sur les Prisons, il écrivait ce qui nous arrive aujourd'hui : « Nul de nous n'est sûr d'échapper à la prison. Aujourd'hui moins que jamais. Sur notre vie de tous les jours le quadrillage policier se resserre : dans la rue et sur les routes ; autour des étrangers et des jeunes ; le délit d'opinion est réapparu ; [...] On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c'était la population qui était suremprisonnée ? »

Les prisons sont maintenant partout dans nos vies. Foucault avait malheureusement vu juste. Chaque fois que nous acceptons de présenter ce pass que réclament les patrons de café, les bibliothécaires ou les contrôleurs, nous adoptons l'attitude d'un homme qu'on a enfermé sans raison, et qui n'a pas en lui assez de courage pour dire non. Je me demande ce qui nous rend soumis à ce point. La camisole sociale est-elle à ce point impossible à défaire ? Je n'y crois pas. Je vous pose la question. Vous connaissez le mot Liberticide ? Je l'ai appris à mes enfants quand ils avaient douze ou treize ans. Ce monde liberticide qui nous enferme, il est grand temps de saboter ses discours incessants, sa propagande obsessionnelle, comme un délire des cabinets ministériels qui nous a tous phagocytés.

Retrouvons-nous plutôt dans le silence des forêts ou dans l'ombre des caves. Vite. Comme à Pristina au milieu des années 80, quand il fallait faire vivre la langue albanaise sous la domination des Serbes. Clandestins, solidaires pour fabriquer des fraternités impensables, incorruptibles, absolument réfractaires aux terreurs médiatiques et gouvernementales. Ces flics aux ordres sont conditionnés et payés, aujourd'hui comme hier les chiens de Pétain, pour faire régner l'ordre qui enferme nos vies, et nous n'en avons qu'une. Une seule vie. Alors oui, vivre libre ou mourir dans la peur, c'est devenu la première question des prisonniers en sursis que nous sommes devenus. Et comment sortir de prison ?


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