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Devant la cour d’assises du Bas-Rhin, les parties civiles ont décrit mercredi l’angoisse vécue lors de la disparition de la jeune femme et le vide qu’a laissé l’assassinat de celle qui était devenue, à 20 ans, le pilier de sa famille.
Au procès de Jean-Marc Reiser, poursuivi pour l’assassinat de Sophie Le Tan en septembre 2018, le jour de ses 20 ans, c’était au tour des parties civiles de s’adresser à la cour d’assises du Bas-Rhin, mercredi 29 juin. Parents, frère et sœurs, cousins et amis ont dépeint une jeune fille « bienveillante » , « rayonnante » , décidée à réussir. Ils ont décrit l’angoisse de la disparition, puis celle des mois de recherche, jusqu’à la découverte de son corps dans une forêt alsacienne plus d’un an après.
Au-delà de l’extrême douleur des proches de la victime, la salle d’audience prend la mesure du manque béant que laisse l’absence de Sophie Le Tan dans cette famille d’origine vietnamienne qui réside à Cernay, dans le Haut-Rhin, pas très loin de Mulhouse. A travers les témoignages se dessine le portrait d’une étudiante devenue un pilier pour les siens.
Son père, ouvrier, est arrivé à la fin des années 1980 pour fuir le régime communiste. Sa femme le rejoint au début des années 1990. Un garçon naît, Philippe, puis Sophie, en 1998. Pour la famille Le Tan, la réussite scolaire et les perspectives d’avenir de Sophie, qui était en troisième année de licence d’écogestion en 2018, étaient une fierté.
Selon la petite sœur de la victime, Sylvie, 17 ans au moment de la disparition, « c’était quelqu’un de prudent, qui faisait attention à ses fréquentations ». La veille de son rendez-vous avec Jean-Marc Reiser, pour visiter un appartement qu’il prétend louer à Schiltigheim, les deux sœurs regardent la télé sur le lit de Sophie. Cette dernière a quelques doutes sur la visite qu’elle doit faire le lendemain, son interlocuteur n’étant pas très précis sur l’adresse.
« Ma sœur cherchait un logement, car elle ne voulait pas être une charge, et aussi pour se rapprocher de son travail. » Afin de financer ses études à l’université de Strasbourg, la jeune femme occupe un poste de réceptionniste de nuit dans un hôtel de la capitale alsacienne. Elle a bien demandé une chambre au Crous, mais son dossier a été rejeté.
L’étudiante est alors « la clé de la famille » , selon son frère aîné, pour tout ce qui est démarches et papiers. Le jeune homme, 25 ans, se montre timide quand il s’adresse à la cour. Il se tient les mains pour ne pas qu’elles tremblent, le débit est hésitant : « C’est elle qui me faisait avancer, moi qui suis un peu moins à l’aise en public, qui ne savais pas ce que je voulais faire. Elle a su me conseiller et me diriger. »
Le jeune homme, qui n’a pu poursuivre ses études, occupe aujourd’hui deux emplois à mi-temps, agent d’entretien et réceptionniste dans un hôtel, comme Sophie. Depuis sa disparition, la famille a beaucoup de mal à avancer. Le père, à la barre, aura cette formule : « Notre famille est comme un phœnix blessé qui ne vole plus que d’une aile. »
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"La Famille": des membres racontent la vie à l'intérieur de cette communauté secrète
Cette communauté vieille de deux siècles vit en plein cœur de Paris. Elle compterait 3000 personnes actuellement issues de huit familles dont les membres se marient entre eux. Pour la première fois certains sortent du silence et parlent en exclusivité à BFMTV.
Marie Peyraube, Jérémy Muller, Etienne Grelet, Régis Desconclois et Alexandre Funel, avec Salomé Vincendon
Marie Peyraube, Jérémy Muller, Etienne Grelet, Régis Desconclois et Alexandre Funel, avec Salomé Vincendon
"La Famille." Le nom de cette communauté a été médiatisé en juin 2020 par le journaliste du Parisien Nicolas Jacquard, qui avait été contacté par un ancien membre de la communauté. Dans son article, il décrit le fonctionnement de la Famille: depuis la fin du XIXe siècle, huit familles vivent entre elles en plein Paris et ses membres ne peuvent se marier qu'entre eux, sous peine d'être exclus du groupe.
Les différents témoignages recueillis évoquaient alors un entre-soi prononcé face au "dehors", mais aussi la consommation importante d'alcool ou même l'existence d'abus sexuels passés sous silence. BFMTV a rencontré plusieurs membres ou ex-membres de cette communauté parisienne vieille de 200 ans, qui racontent leur expérience à l'intérieur de La Famille.
Soudés par la religion catholique, ils mettent en avant l'entraide entre leurs membres et relativisent la coupure entre leur communauté et ceux qui y sont étrangers.
Ce groupe compterait 3000 personnes aujourd'hui, avec souvent des familles très nombreuses. Valentine, qui a quitté le groupe il y a neuf ans, à l'âge de 21 ans, a ainsi 10 frères et sœurs. Patrick, qui y vit toujours, en compte 17 et a lui-même huit enfants. Il s'est uni avec l'une de ses cousines au 5e dégré - car, c'est l'une des autres caractéristiques du groupe, ces familles sont composées uniquement de personnes nées en son sein.
Si les enfants sont inscrits à l'école publique, ils sont peu présents à la cantine ou lors des sorties scolaires, ce que Patrick explique par une vision de la famille et de l'éducation différente.
Il raconte avoir laissé une fois l'un de ses enfants partir en classe verte. "J'ai passé la pire semaine de ma vie, parce que je ne conçois pas que l'on puisse confier ses enfants à des gens que l'on ne connait pas pendant une semaine", explique-t-il.
Il ne s'agit pas, selon lui, de "se préserver du monde diabolique" extérieur. Il a toutefois du mal à concevoir de recevoir quelqu'un extérieur à la Famille chez lui.
Les membres de la Famille sont notamment liés par la religion, mais ils la pratiquent entre eux, non pas à l'église ou avec des membres du clergé. Chaque mère et père de famille est ainsi "le curé de ses enfants, et le rabbin de ses enfants". "Moi j'ai marié mes filles", explique ainsi Patrick.
Au moment de la révélation de l'existence de cette communauté, la ministre Marlène Schiappa avait évoqué une "véritable emprise avec des situations très difficiles sur le plan psychologique", car il peut être difficile de quitter ce groupe. La Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) ne considère pas ce groupe comme une secte mais avait appelé à la vigilance sur la situation des mineurs qui y sont élevés.
"Nous ne sommes absolument pas une secte, il faut arrêter de nous marteler le cerveau avec ce terme qui est péjoratif", assure Patrick.
L'existence d'une emprise "n'est pas forcément perçue comme telle par les gens qui vivent dans le groupe, la plupart d'ailleurs s'y épanouissent et le vivent très bien", explique Nicolas Jacquard, mais il existe selon lui "un véritable contrôle social". "On ne peut pas faire quelque chose qui est réprouvé par la famille", résume-t-il. "Il faut faire ce qu'on attend de soi, on doit se comporter de telle ou telle manière et le qu'en dira-t-on est extrêmement important."
À l'intérieur de la communauté, les règles se sont tout de même assouplies avec les années. Si fut un temps, les femmes n'avaient pas le droit de porter de pantalon, ce n'est plus le cas aujourd'hui, même si certains membres sont plus conservateurs que d'autres. Ainsi Mathieu, 27 ans et père de quatre enfants, explique que leur "religion se veut austère, on n'a pas de contraception, on garde la même femme toute sa vie".
"Moi ces règles-là je les affectionne et j'aimerais les transmettre à mes enfants", poursuit-il. "J'aimerais même aller plus loin que l'oncle Auguste (un des fondateurs de la Famille, NDLR). Ne pas voyager par exemple je trouve cela bien C'est des règles de société de base: pas de pantalon pour les femmes, ne pas attirer l'œil ne pas être attirante, être dans la pudeur".
Les personnes interrogées, qu'elles aient ou non quitté la Famille, décrivent une enfance festive, passée tous ensemble. Valentine parle d'une communauté, "très tournée vers les enfants", avec "énormément de choses faites" pour eux, "plein de sorties".
"Les mamans organisaient ce qu'on appelait des rallyes avec plein de jeux dans le bois de Vincennes", raconte-t-elle. "On se dit que c'est fermé, mais étant tout le temps ensemble, on se retrouvait toujours à une dizaine, une quinzaine voire une vingtaine d'enfants."
"On a passé une enfance dingue, on jouait on rigolait, il y avait tous les oncles et tantes autour, tout le monde discutait, c'était incroyable", assure-t-il.
Mais pour Jean-Pierre Jougla, avocat et membre d'une association de défense contre les sectes, dans cette communauté, "l'enfant lui ne peut pas choisir". "Il y a un enfermement encore plus fort pour les enfants qui n'ont pas fait le choix de vivre là-dedans", estime-t-il. "Il est obligé d'être sur des rails de les suivre, et moi les rails que je vois ce sont des rails qui font de l'enfant autre chose qu'un citoyen."
"Tous les sujets de société, le foot, la politique, tout cela ca ne m'attire pas", explique Mathieu. " Je ne vote pas , je ne connais même pas leurs programmes, je préfère les échanges spirituels", explique-t-il. Valentine raconte, de son côté, le bonheur qu'elle a connu la première fois qu'elle a voté, après avoir quitté la Famille. Mais Patrick insiste, les membres ne sont pas coupés du monde extérieur. "Dans tous nos foyers nous avons une télévision, internet, des téléphones portables, des smartphones, tout ce qu'il faut pour être en relation avec le monde", déclare-t-il.
"Le fait d'être complètement coupé du monde c'est de moins en moins vrai, parce que cela voudrait dire que les enfants sont complètement 'exclus' du monde extérieur ce qui n'est pas le cas aujourd'hui", abonde Valentine. "Les enfants vont à l'école, font des activités sportives et pas du tout qu'entre les personnes de la Famille."
Les parents, notamment les hommes, travaillent d'ailleurs en dehors de la communauté, mais la frontière est étanche entre les deux mondes. Les très nombreux membres de la Famille s'auto-suffisent en terme de relations sociales.
"C'est cela qui rend l'homme heureux c'est le lien social, et nous nous en regorgeons, nous avons la gueule pleine, les poches pleines".
La difficulté arrive avec la règle de l'endogamie, la plus importante: pour rester dans la Famille, "on doit épouser quelqu'un qui est né dans la famille", résume Valentine. "Je vous dirais même c'est la seule règle commune à tout le monde. À la limite vous pouvez rester célibataire si vous voulez."
L'endogamie entraîne, fatalement, des risques accrus de consanguinité. Et même si, selon Patrick, les membres ne se marient pas habituellement entre cousins germains, des maladies génétiques circulent comme le syndrome de Bloom, qui entraine un retard de croissance et une prédisposition aux cancers. Entre 1 et 2% des membres de la Familles seraient touchés. "Nous ne sommes pas dans le déni là-dessus, nous ne sommes pas ignorants, nous sommes comme tout le monde, nous sommes tout à fait conscients", assure Patrick.
Cette règle de l'endogamie est aussi vectrice d'exclusion, car on ne peut pas se marier avec quelqu'un de l'extérieur et rester dans la Famille. C'est ce qui est arrivé à Valentine, mais aussi à Fabienne , aujourd'hui âgée de 67 ans. Mariée dans la Famille, elle devient mère, mais le couple bat de l'aile, car, selon ses mots, son mari essaye de la "dresser", pour qu'elle devienne une "bobonne à la maison". Il finit par la mettre à la porte, mais elle n'est pas exclue de la Famille.
C'est une relation amoureuse à l'extérieur du groupe qui précipite son départ. Elle tombe enceinte après un an de relation cachée. Cela finit par se savoir au sein de la communauté. "Tu me feras honte toute ma vie", lui dit son père quand il l'apprend. "Et là ça a été terminé, je n'avais pas le choix. C'est ma faute, j'ai choisi, je ne vais pas les rendre responsables de quelque chose que j'ai créé", déclare-t-elle aujourd'hui.
"Et quand vous passez d'un tel vécu collectif à une vie finalement solitaire dans la collectivité, dans la société telle qu'on la connait c'est extrêmement difficile, vous vous retrouvez dans un monde dont on ne vous a pas appris les codes", poursuit le journaliste. Pour lui, "c'est vraiment l'un des points qui est je trouve le plus négatif au sein de la famille qui est cette incapacité à accepter qu'on puisse la quitter".
Au moment où elle annonce son départ, elle sait qu'elle ne les reverra plus. "Ils étaient en larmes, ils avaient peur, ils se demandaient ce que j'allais devenir, ils étaient paniqués, paniqués de voir leur enfant aller dans une voie qui pour eux n'étaient pas la bonne. Je leur ai dit au revoir ce jour-là."
Si elle explique avoir eu un peu de colère au début, elle assure que ce sentiment est vite passé car "ils sont heureux dans leur vie, c'est ça la tolérance". Elle revoit parfois ses frères et sœurs, mais ils ne connaissent pas son fils, extérieur à la Famille.
De tels départs sont peu nombreux, explique Juliette Pelerin, ex-reporter à Paris Match : "En 60 ans il y a eu environ 200 personnes qui sont parties, et pourquoi ils le décident? C'est pour une seule raison en général c'est une peine de cœur".
On peut donc quitter la Famille, et même y revenir - ce qui est le cas d'une majorité de personnes qui partent, selon Valentine. Car après avoir grandi au sein de cette communauté, il est difficile qu'elle ne manque pas. "Au-delà de la religion, ce qui a fait que la Famille traverse encore des générations, c'est son rôle social", analyse Juliette Pelerin:
"Quand vous êtes dans la Famille on n'a pas à se soucier du lendemain, ce qui est une chose aujourd'hui assez incroyable", abonde Valentine. "Tout le monde a peur pour son emploi, comment je vais remplir le frigo, en plus en temps de crise et de Covid . Dans la famille on n'a pas ses questions-là."
La médiatisation récente de cette communauté pourrait perturber son fonctionnement, mais pour Nicolas Jacquard, "la Famile peut et va survivre, elle a déjà survécu à cinq républiques, à deux guerres mondiales, et elle est toujours là, et encore plus nombreuse qu'avant". "D'ailleurs la démographie est l'un de ses problèmes, on ne fonctionne pas à 3000 comme on fonctionnait à 500", note-t-il.
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