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La Revue des médias
« On voulait des filles trÚs jolies et trÚs sexy »
PubliĂ© le 03 janvier 2022 â Mis Ă jour le 17 janvier 2022
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Les émissions « Pour nous les filles », « Boßte de n'huit » et « Gym direct », diffusées sur Direct 8.
© Crédits photo : Captures d'écran Direct 8/Julianne Rabajoie-Kany
La télé selon Bolloré, épisode 1. Afin de recruter les animateurs et les journalistes de la future chaßne de télé Direct 8, un casting géant est organisé. Mais certains candidats sont conduits directement dans le bureau de Vincent Bolloré.
Annabelle VĂ©ron a prĂ©venu : parce quâelle joue un robot dans une comĂ©die musicale pour enfants, il lui restera sans doute quelques traces de maquillage argentĂ©. Mais le type au tĂ©lĂ©phone s'est montrĂ© si insistant qu'elle a acceptĂ© de passer le voir entre deux reprĂ©sentations.
La premiĂšre fois qu'il l'a appelĂ©e, son CV entre les mains, elle lui a pourtant expliquĂ© que c'Ă©tait trop tard : en quĂȘte d'un job temporaire en plus de son activitĂ© de comĂ©dienne, elle avait dĂ©jĂ acceptĂ© un remplacement Ă La Brioche DorĂ©e. Le type a rĂ©pĂ©tĂ© que son profil l'intĂ©ressait vraiment mais elle Ă©tait sur le pĂ©riph', dans sa vieille Clio recouverte de fleurs autocollantes, et elle a dĂ» raccrocher. Il l'a recontactĂ©e un peu plus tard. C'est Ă ce moment-lĂ qu'elle l'a averti pour le maquillage argentĂ©.
Elle dĂ©barque en salopette, Ă Puteaux, au pied d'une tour de bureaux. Elle demande oĂč se trouve la crĂšche d'entreprise parce qu'elle vient pour un poste d'animatrice â animatrice pour enfants, pense-t-elle. Aux hĂŽtesses d'accueil, elle prĂ©cise qu'un certain Vincent lui a donnĂ© rendez-vous. AprĂšs un instant de flottement et quelques coups de fil, on la fait monter dans le bureau de Vincent BollorĂ©. C'est la premiĂšre fois qu'elle entend ce nom.
Annabelle VĂ©ron dĂ©couvre un quinqua au teint dorĂ©, raie impeccable et sourire de playboy. Elle lâĂ©coute prĂ©senter les activitĂ©s de son groupe. Puis lâhomme dâaffaires l'interroge :
« La TNT, ça vous dit quelque chose ?
â Euh... oui, bien sĂ»r. Mais la TNT, câest aussi la tĂ©lĂ©vision numĂ©rique terrestre. De nouvelles chaĂźnes sont en train dâĂȘtre crĂ©Ă©es. Je vais en lancer une ici, le mois prochain.
â Pardon mais je ne comprends rien Ă cet entretien.
â Je voudrais que vous fassiez de lâantenne, Annabelle. Une heure trente de direct tous les jours.
â Vous nâen savez rien. Testez. Si je nâaime pas, je vous vire. Rien nâest impossible. »
En ce dĂ©but dâannĂ©e 2005, Vincent BollorĂ© recrute les visages de Direct 8. Il a fait publier une petite annonce dans la presse : il est Ă lâaffĂ»t de nouveaux talents du journalisme et de lâanimation. Dans un marchĂ© de lâemploi sinistrĂ©, lâopportunitĂ© nâest pas passĂ©e inaperçue.Â
Quelque 5 000 candidatures affluent : des journalistes dotĂ©s dâune petite expĂ©rience, beaucoup de dĂ©butants aussi, des animateurs, des comĂ©diens, des mannequins, des serveuses, des jeunes gens en quĂȘte de cĂ©lĂ©brité⊠Depuis quatre ans, la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© est en plein essor. La troisiĂšme saison de « Nouvelle Star » vient de commencer sur M6. Les castings gĂ©ants se succĂšdent, laissant miroiter le succĂšs Ă ceux qui croient assez fort en leur Ă©toile.
LâĂ©normitĂ© des sacs acheminĂ©s jour aprĂšs jour par La Poste impressionne Damien Hammouchi. ArrivĂ© quelques mois plus tĂŽt, ce jeune homme, passĂ© par le Conservatoire puis HEC, a rejoint lâembryon de division mĂ©dias du groupe BollorĂ©. Pendant quinze jours, il voit dĂ©filer prĂšs de 500 candidats.
Ă lâinstar dâAnnabelle VĂ©ron, nombre dâentre eux nâont jamais entendu parler de Vincent BollorĂ©. Dans le jury qui les auditionne, un seul visage leur est familier : celui de Philippe Labro. Lâancien dirigeant de RTL, nommĂ© vice-prĂ©sident de Direct 8, multiplie les questions dâactualitĂ©, tandis que les autres jurĂ©s â des responsables de la chaĂźne et des cadres des autres activitĂ©s du groupe BollorĂ© â interrogent les candidats sur leur parcours, leur personnalitĂ©, leurs motivations. Ces derniers doivent ensuite lire un texte face camĂ©ra puis improviser Ă partir dâun objet placĂ© devant eux : un porte-clĂ©, un appareil photo, un accessoire de musculationâŠ
« On les choisissait souvent sur leur look, admet Philippe Labro. En particulier les filles. Câest comme ça, Ă la tĂ©lĂ©. On voulait des filles trĂšs jolies et trĂšs sexy. Lâautre critĂšre important, câĂ©tait le bagout. Câest indispensable pour s'exprimer en direct devant une camĂ©ra. Mais ça ne suffit pas encore. Il fallait quâen les regardant Ă lâĂ©cran, on ressente du dĂ©sir â et leur formidable envie de faire, une ambition, un rĂȘve en somme. »
Vincent BollorĂ© nâassiste pas Ă tous les entretiens. Parfois, sa secrĂ©taire siĂšge Ă sa place et lâinvite Ă descendre lorsquâun candidat est particuliĂšrement prometteur. Il arrive aussi que des candidats soient exemptĂ©s de casting et conduits directement dans son bureau. Câest le cas de cette comĂ©dienne au maquillage argentĂ© dont le profil lui a tapĂ© dans lâĆil. Câest aussi le cas de plusieurs autres jeunes femmes. « Vincent BollorĂ© me les a prĂ©sentĂ©es comme des filles de ses copains et mâa demandĂ© si je pouvais les former au mĂ©tier » , indique Richard Joffo, le patron de LâAcadĂ©mie audiovisuelle, une modeste Ă©cole dâanimateurs et de prĂ©sentateurs.
Richard Joffo a contactĂ© le directeur des ressources humaines du groupe dĂšs quâil a entendu parler de la future chaĂźne. Mais il a « vite compris que câĂ©tait un DRH du BTP qui ne connaissait absolument rien Ă la tĂ©lĂ© » : le pauvre homme a osĂ© prononcer le mot « diplĂŽme » ⊠Richard Joffo dĂ©cide donc de prĂ©senter les « bandes dĂ©mo » de ses Ă©tudiants directement Ă Vincent BollorĂ©. Lequel trouve plusieurs jeunes femmes tout Ă fait Ă son goĂ»t. Et parce quâĂ lâantenne, il veut un maximum de duos mixtes, il passe aussi commande dâun animateur de haute stature : « J'ai pris la fille d'un copain, elle mesure 1m78. Tu peux me trouver un grand pour ĂȘtre Ă cĂŽtĂ© d'elle ? »
Pour parfaire son casting, Vincent BollorĂ© veut une mascotte. Une mascotte Ă©colo, Ă lâimage de la chaĂźne quâil imagine, qui distraira les enfants « de 8 Ă 88 ans » et pourra sâadonner Ă de joyeux happenings. Nostalgique de « LâĂle aux enfants », le milliardaire breton sollicite Yves Brunier, le crĂ©ateur de Casimir et de Footix. Dans les cartons du marionnettiste : un Ă©norme oiseau rose et bleu. Vincent BollorĂ© adore. Puisquâil faut des huit partout, mĂȘme Ă lâenvers, on lâappellera Tuih-Tuih.
Dans son bureau du dix-septiĂšme Ă©tage (techniquement, câest le seiziĂšme, mais comme il nây a pas de treiziĂšme Ă©tage dans cette tour, superstition oblige, il correspond au bouton numĂ©ro 17 des ascenseurs), Vincent BollorĂ© reçoit aussi une ribambelle de jeunes gens au look fort sage. Ils ont Ă©tĂ© choisis par un de ses intimes, le rĂ©dacteur en chef occulte de la future Ă©mission religieuse, lâabbĂ© Gabriel Grimaud. Grand connaisseur de la vie des saints, Ă©pris dâune religiositĂ© trĂšs XIXe siĂšcle, ce prĂȘtre traditionaliste a repĂ©rĂ© ces garçons au foyer pour Ă©tudiants des Francs-Bourgeois, Ă deux pas de la place des Vosges, oĂč il Ă©tait leur aumĂŽnier. Il juge que les Français ont perdu leurs repĂšres et quâil est nĂ©cessaire de leur rappeler les fondamentaux du catholicisme et lâexistence du diable.
EntourĂ© de ses ouailles, dans son appartement du Quartier latin, lâabbĂ© Grimaud a donc conçu une sorte de catĂ©chisme cathodique. Mais personne ici nâavait la moindre idĂ©e des conditions de fabrication dâune Ă©mission de tĂ©lĂ©. Lâun de ces jeunes gens, Hadrien LecĆur, a proposĂ© de faire appel Ă un de ses copains de prĂ©pa devenu journaliste dans une boĂźte de prod. Ce dernier a acceptĂ© de rencontrer le petit groupe dans un bistrot, le Terminus Balard, oĂč il leur a expliquĂ© les rudiments de la tĂ©lĂ©. Puis, tous ensemble, ils sont allĂ©s prĂ©senter leur projet Ă Vincent BollorĂ©.
Ils sont tous lĂ , dans ce bureau qui domine la Seine, le bois de Boulogne, et tout Paris. Lâhomme dâaffaires les Ă©coute, lâair ravi. « Ăcoutez, tranche-t-il, c'est trĂšs bien, je vous embauche tous. »
Vincent BollorĂ©, qui nâa jamais cachĂ© sa foi, enrĂŽle un autre catholique fervent : lâhomme de thĂ©Ăątre Jean-Luc Jeener â acteur, metteur en scĂšne, critique dramatique au Figaroscope et au Figaro Magazine , et directeur du Nord-Ouest, un thĂ©Ăątre dâart et dâessai proche des Grands boulevards. Les deux hommes se sont connus sur les bancs du lycĂ©e Janson-de-Sailly avant de se perdre de vue pendant des dĂ©cennies.
Au tournant du millĂ©naire, pour sauver son thĂ©Ăątre de la faillite, Jean-Luc Jeener a appelĂ© Ă lâaide son ancien condisciple, qui a achetĂ© pour 50 000 euros dâentrĂ©es au Nord-Ouest. Depuis, chaque annĂ©e, Vincent BollorĂ© lui fait un cadeau du mĂȘme montant. « Quand Vincent mâa demandĂ© si je voulais faire du thĂ©Ăątre Ă la tĂ©lĂ©vision, j'ai commencĂ© par refuser, confie Jean-Luc Jeener. Le thĂ©Ăątre, c'est pas fait pour ĂȘtre filmĂ©... Vraiment pas. Mais aprĂšs tout ce quâil a fait pour moi, que voulez-vous, je me suis senti redevable. »
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La télé selon Bolloré, dernier épisode. En coulisses, les premiÚres tensions apparaissent. Plusieurs journalistes quittent Direct 8. Vincent Bolloré prépare sa succession.
La tĂ©lĂ© selon BollorĂ©, Ă©pisode 5. Ă lâantenne, les couacs se multiplient et les Ă©missions se rodent. Les animateurs de Direct 8 dĂ©couvrent les avis de leurs tout premiers tĂ©lĂ©spectateurs.
La tĂ©lĂ© selon BollorĂ©, Ă©pisode 4. Pour la soirĂ©e de lancement de Direct 8, Vincent BollorĂ© a choisi un animateur exceptionnel : lui-mĂȘme.
La tĂ©lĂ© selon BollorĂ©, Ă©pisode 3. Deux mondes sâentrechoquent dans la tour BollorĂ©, tandis que le patron façonne sa chaĂźne, attentif au moindre dĂ©tail.
La télé selon Bolloré, épisode 2. Dix ans plus tÎt, Vincent Bolloré dévoile son ambition : créer une chaßne de télé. Il constitue une équipe pour plancher sur un projet que le CSA ne pourra pas refuser.
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