Filles majorettes

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For ELLE France with Dorothée Werner




Sparkling skirts, thundering soundtrack and sexy sway of the hips…The majorettes are definitely back and make their eternal baton spin around all France.
Reportage in the country of queens of rythm and villages
« Les élections ? C’est pas qu’on s’en fiche mais… quand même si, un peu ! » s’excuse Priscilla, 23 ans, reine du lancer de bâton et du lever de mollet, vendeuse au chômage et jolie majorette à Béthune, rectifiant son impeccable chignon planté de plumes rouges et de fils d’or. Bienvenue dans la France des kermesses, des corsos fleuris, des fêtes de la Saint-Jean et du 14 juillet, la France des animations pour le Téléthon, des foires et des lotos, des tournois sportifs, des jumelages et des mini-festivals de tout et de rien, bienvenue dans le pays réel. « Gauche, gauche, gauche, gauche… », scande Allison Ducrocq en hurlant plus fort que la vieille sono qui crache un remix fiévreux de Whitney Houston, « I Will Always Love You ». Très enceinte, Allison, 27 ans, charismatique capitaine, entraîne ses 54 filles, âgées de 4 à 36 ans, pour le prochain championnat.
La salle municipale des Cheminots est plantée dans un quartier défavorisé de Béthune, petite ville du bassin minier du Pas-de-Calais qui compte plus de 20 % de chômeurs. Les minirobes blanc et rouge, aux couleurs de la ville, sont brodées de paillettes. La musique part tout doux comme dans une rave ou une boîte de nuit, et très vite le rythme techno explose dans un jeté de bâton furieux, un bouquet d’artifice de jambes en l’air et de regards coquins. La chorégraphie ? Un mélange sophistiqué de pas militaires et de sensualité olé olé, de gestes au millimètre et de déhanchés sexy. « Attention, ici, ce n’est pas la cour de récréation, prévient Allison avec son accent du Nord. Je suis fort sévère. Quand on est en tenue, pas de chewing-gum, pas de cigarette, pas de Coca ni de petit copain. On se tient à carreau. Faut savoir qu’elles sont déjà en minijupe, alors, si elles ne sont pas irréprochables, ça fait mauvais genre. Et, quand on rate un entraînement, on a intérêt à avoir une bonne excuse. Si c’est pour aller à un mariage, je demande à voir le faire-part ! Sinon, c’est un avertissement. À trois, c’est dehors ! » Allison, grandie avec un bâton entre les doigts, secrétaire au chômage dont le mari conduit la voiture sono lors des défilés, est débordée par son succès : elle refuse du monde chaque semaine ou presque.
Désuètes, les majorettes ? Dépassés, les temps glorieux des années 60, où le moindre bled avait ses filles en costume bicolore, veste à galons, minijupe plissée et chapeau rigide qui, chaque dimanche que Dieu faisait, battaient le pavé des talons de leurs impeccables bottes blanches ? « Personne n’a le chiffre exact en France, mais c’est une activité qui renaît, affirme Deborah Ajalbert, de la Fédération française de musique et majorette (FFMM). Je reçois de plus en plus de demandes d’affiliation, dans les régions anciennement ouvrières, à forte tradition de majorettes, comme le Nord, l’Est ou la région parisienne, mais pas seulement. » Il y a quelques semaines, à Paris, une soirée VIP super fashion organisée par Hermès s’ouvrait sur une parade de majorettes… Deborah se souvient de l’époque où les clubs fermaient les uns après les autres. « C’était au milieu des années 80 et jusqu’au début des années 2000, précise-t-elle. L’image des majorettes, cette tradition importée des Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale (on faisait danser les filles pour remonter le moral des troupes), était ternie. Il y a eu la concurrence nouvelle des clubs de danse, là où souvent il n’y avait aucune autre activité pour les filles. Et aussi l’apparition du twirling bâton, organisé en fédération nationale, et qui se veut beaucoup plus sportif que nous. [Et à quoi elle ne veut surtout pas qu’on compare les majorettes, NDLR.] Une autre chose a fait beaucoup de mal à notre image : la prestation de Josiane Balasko dans “Nuit d’ivresse”, en grosse majorette ivre morte et ridicule dans un parking souterrain… On a mis toutes ces années à remonter la pente. »
Elles s’appellent Mandy, Océane, Emeline, Angelina, Stacey, Cynthia ou Marilyn. Ce sont des filles de leur époque, fans de la « Star Academy », des clips et de la série « Plus belle la vie », sur France 3, à l’heure où d’autres regardent les journaux télévisés. Des filles qui viennent de milieux modestes, parfois très modestes. Elles peuvent se permettre de faire partie des majorettes, monde qui tient uniquement par le bénévolat et l’infini dévouement de quelques-uns, et dont les prix d’inscription défient souvent toute concurrence (7,50 € par an pour le club de Lens, dans le Pas-de-Calais). Aujourd’hui, elles sont fières.
Fières d’être majorettes. Ce qu’elles viennent chercher ? « La grâce ! » souffle spontanément Elodie, 16 ans, fille de femme de ménage, dont l’immeuble d’un quartier de Béthune classé en ZUP jusqu’à peu est menacé par l’agrandissement du Auchan voisin. Elodie, enfant terrible à l’école qui se métamorphose en ange aérien aux majorettes, où elle assouvit sa soif de transcendance. « On vient aussi pour le groupe, l’entraide, répond Priscilla. On dit que les filles se bouffent entre elles, mais aux “majos” il y a une super solidarité, c’est comme une deuxième famille, ça nous protège. » « Il faut dire qu’on fait aussi l’assistante sociale, confie Allison, capitaine adulée par ses filles. On est un peu la maman, un peu le papa quand il faut punir. On est là aussi pour consoler, pour les sortir de leur milieu. On voit de tout et parfois des situations très dures, des filles battues, et même, malheureusement, abusées. C’est arrivé. Certaines arrivent en larmes, en me demandant d’intervenir auprès de leurs parents. Souvent, elles nous supplient d’organiser des sorties, c’est leur bouffée d’oxygène, pour échapper à des mères trop étouffantes ou à des pères carrément trop durs. » Des mères dépassées arrivent en disant : « Avec cette gamine, je n’y arrive plus, le centre aéré n’en veut plus, à l’école elle fait n’importe quoi, faut lui mettre du plomb dans la tête. » Etre majorette, c’est aussi s’inscrire dans une filiation. Respectant l’adage « majorette un jour, majorette toujours », les majorettes d’aujourd’hui sont souvent filles ou même petites-filles de majorettes. Devenues mères, elles défilent avec leur(s) petite(s) dernière(s), paradant dans le même uniforme. Mais la transmission, c’est aussi celle d’une certaine idée de la féminité.
Maquillage, coiffure, longueur de la jupe, bottes ou ballerines, chaque troupe a sa conception de l’élégance, mais aucun détail n’est laissé au hasard. Le costume signe la stricte égalité entre toutes les filles. Porter une minirobe à paillettes, du rouge à lèvres et un chignon à plume ne donne certes pas le même résultat sur le corps d’une enfant de 5 ans que sur une ado en proie à des transformations physiques, sur une brindille que sur une fille qui se bat avec ses kilos en trop, sur une petite fille agile que sur une grande gigue poussée trop vite. Mais ici, pour une fois dans notre société ravagée par le culte de l’apparence, miracle, ce n’est pas la perfection physique qui compte, mais d’abord le coeur que l’on met à l’ouvrage, la bonne volonté et le sourire, l’élan et le plaisir de danser.
Vendôme, tranquille bourgade du Loir-et-Cher, samedi 21 avril à l’aube. Rendez-vous au gymnase pour une centaine de majorettes de la région venues défiler. Des dizaines de gamines en tenue sexy multicolore se déversent des autocars, telles des nuées d’oiseaux. Tous les week-ends ou presque, la France des majorettes se lève aux aurores pour monter dans des cars à l’aube, chignon impeccable fait, sandwichs rangés au côté des bottines blanches, et avaler des kilomètres d’autoroute avant un défilé, un championnat, une parade. À 10 heures pétantes, c’est parti. Une sono sur roulettes, tirée par un petit frère au torse bombé, crache une techno sauvage et remixée, balançant dans les rues bourgeoises encore ensommeillées une furie de night-club, enluminant à coups de paillettes et de Lycra kitsch le décor sage des hôtels particuliers classés du centre-ville, réjouissant au passage les rares habitants, très bienveillants devant ce déferlement trash et plein de vie.
« Avant, on cachait qu’on était majorettes, explique Jennifer Lamour, 22 ans, des Cristallines de Fresnay-L’Evêque. Maintenant, on assume, les gens sont super sympas et on essaie de sortir de l’image ringarde des majorettes. » La preuve, elles ont osé jeter aux orties leur minijupe pour défiler en pantalon blanc… sur un dos nu à paillettes chaud bouillant, parce qu’il faut tout de même tenir son rang ! Le mot de la fin, Jean-Claude Lozahic, de l’Amicale des fanfares et majorettes de France, l’aura à Houdan, dans les Yvelines. Samedi soir, un public endimanché se presse dans le gymnase pour le gala annuel du club. La sono vibre au son d’un remix de Gilbert Montagné, les spots de night-club éclairent la piste. Ce monsieur Loyal encravaté, qui a élevé ses trois filles aux majorettes « pour leur apprendre que dans la vie rien n’est donné et qu’avec du travail on obtient de beaux résultats », lance avec émotion une danse dite « de l’amitié ». Dans un bel élan communicatif, sous un tonnerre d’applaudissements, il clame au micro : « Quoi qu’on en dise ici ou là, vous pouvez le constater ce soir : elle est belle, notre jeunesse ! »



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Fernsehfilm 2020 2020 1 Std. 31 Min.
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