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Lady Ponce ou le bikutsi version contemporaine, en concert à  Yaoundé, en 2015. © jean-pierre kepseu
Dans le Cameroun des annĂ©es 1960 et 1970, Ă la tombĂ©e de la nuit, des chants a cappella retentissaient dans les cours des chaumiĂšres du Sud. Il sâagissait de prises de parole Ă la ronde, orchestrĂ©es par les femmes de lâethnie Fang-Beti. Une chanteuse exprimait le tourment de ne pouvoir procrĂ©er, une autre la nostalgie dâun village abandonnĂ© par amour pour un mari « étranger », une troisiĂšme la dĂ©tresse dâĂȘtre prise pour une sorciĂšreâŠ
Les autres participantes tapaient des mains et frappaient frĂ©nĂ©tiquement le sol des pieds, le dos ondulant tel un Ă©norme serpent. Chanter devenait priĂšre, bĂ©nĂ©diction. « CâĂ©tait cela, le bikutsi, explique la chanteuse camerounaise Sally Nyolo. Une danse oĂč lâon entre en transe, mais qui peut aussi sâexĂ©cuter en secouant juste les Ă©paules et la tĂȘte. » Ce bikutsi classieux, tout en grĂące et en suggestion, a vĂ©cu.
Place dĂ©sormais au trĂ©moussement des popotins, en parfaite adĂ©quation avec des chansons sur le thĂšme rĂ©current de la sexualitĂ©, abordĂ© sans grande finesse. « Si tu vois mon mari, ne touche pas Ă son biberonâ! » menace ainsi K-Tino, tandis que Coco ArgentĂ©e rappelle que « lâhomme, câest lâhomme tant que ça se lĂšveâŠÂ » Et on vous fait grĂące de la gestuelle accompagnant ces paroles.
PubliĂ© au dĂ©but des annĂ©es 1990, lâouvrage du philosophe Hubert Mono Ndjana Les Chansons de Sodome et Gomorrhe nây a rien fait. Le phĂ©nomĂšne est allĂ© crescendo, les danses se faisant de plus en plus obscĂšnes, lubriques, et ce sur lâensemble du continent.
Au SĂ©nĂ©gal, le sabar, organisĂ© par les filles pour se retrouver entre copines et se dĂ©fouler, est devenu lâoccasion de sâadonner au strip-tease en pays musulman. Par le passĂ©, chacune des danses qui sây exĂ©cutaient obĂ©issait Ă des rĂšgles hĂ©ritĂ©es des ancĂȘtres et que les filles devaient respecter. Aujourdâhui, ces derniĂšres inventent de nouvelles danses, tel le ventilateurâ: magie du rythme, souplesse des corps, les Ă©paules sont immobiles, les fesses et les hanches tournoient sans cesse, imitant le mouvement de rotation dudit ventilateur.
JugĂ©e indĂ©cente, cette danse a Ă©tĂ© interdite pendant quelques annĂ©es. PassĂ©e de la danse traditionnelle Ă la danse contemporaine, la SĂ©nĂ©galaise Atsou Mbaye, grande adepte de sabar, parle de « mĆurs dĂ©lurĂ©es » et voit dans ce glissement un moyen facile de se faire de lâargent.
Banni de la tĂ©lĂ©vision ivoirienne pendant la pĂ©riode de gloire de ses grandes prĂȘtresses, Patricia la Promise et GĂ©raude la Reine, le mapouka sĂ©vit dĂ©sormais sur les rĂ©seaux sociaux. Avant de devenir ce simulacre de danse oĂč les femmes aux fesses parfois outrageusement siliconĂ©es simulent lâacte sexuel, câĂ©tait une belle danse du peuple des lagunes, aux environs de Dahou. La techniqueâ? Bouger le derriĂšre sans bouger soi-mĂȘme. Auteur dâ Abe kuya, lâun des premiers tubes de bikutsi dans les annĂ©es 1980, Georges Seba souligne que le fait de solliciter son popotin dans une danse nâest pas condamnable en soi.
« Au Cameroun, lâassiko repose essentiellement sur un jeu du bassin. Il impose un jeu de reins. Mais câest un exercice de sĂ©duction oĂč finesse et suggestion subtile nous prĂ©servent de lâobscĂ©nitĂ© qui tend Ă se banaliser. Certes, la nouvelle gĂ©nĂ©ration a le droit dâinnover, mais tout le pari est de parvenir Ă maintenir une rĂ©elle authenticitĂ© dans la façon de danser. » Lui-mĂȘme chorĂ©graphe dâartistes cĂ©lĂšbres comme Tabu Ley, Papa Wemba ou encore Franco, Lambio Lambio ne se gĂȘne pas pour condamner cette dĂ©rive obscĂšne, qui, selon lui, tient dâabord Ă la tenue vestimentaire des danseuses.
Groupe de sabar, village de Kounkane, en Casamance. © Youri Lenquette
Lâancien danseur dâAbeti Masikini puis de Pongo Love sâinsurge notamment contre les minimalistes shorts en cuir des danseuses de Koffi OlomidĂ©, qui Ă©voluent la plupart du temps en mode « DVD » (dos et ventre dehors), câest-Ă -dire Ă moitiĂ© nues. Lambio Lambio ne voit aucune diffĂ©rence entre les prostituĂ©es qui font du racolage dans la rue et les danseuses de ndombolo et de mapouka pervertis.
La faute Ă lâurbanisation de la musique
Pour AndrĂ© Yoka Lye, directeur gĂ©nĂ©ral de lâInstitut national des arts (INA), Ă Kinshasa, grand pourfendeur de ces danses, le responsable est tout trouvĂ©â: ce sont les musiques urbaines. « Leur essor a en effet engendrĂ© une remise en orbite des danses traditionnelles. » Papa Wemba a influencĂ© la rumba en y introduisant des danses comme le mukonyonyo, inspirĂ© du folklore tetela. Chez les Bakongo, de nombreuses danses venant des groupes kintueni ont Ă©tĂ© reprises par des groupes de variĂ©tĂ© moderne.
Folklore du peuple Luba du Kasaï-Oriental, le mutuashi a été particuliÚrement exploité. Considérée comme la reine du mutuashi, la chanteuse Tshala Muana lui a emprunté directement toute sa musique et sa danse, contribuant ainsi à lui redonner ses lettres de noblesse.
AndrĂ© Yoka Lye expliqueâ: « Le mutuashi traditionnel comporte deux parties. TrĂšs codifiĂ©e (trois pas Ă gauche, autant Ă droite, on freine, on tourne sur soi, on effectue un pas en avant, un pas en arriĂšre, et le cycle reprend), la premiĂšre est dĂ©sormais occultĂ©e. On privilĂ©gie la seconde, tout en coups de reins, comme si le mutuashi se rĂ©sumait Ă cela. » Et câest lĂ tout le problĂšme, selon ce spĂ©cialisteâ: loi du marchĂ© oblige, les musiques urbaines ont rĂ©cupĂ©rĂ© les danses traditionnelles, les ont exploitĂ©es et dĂ©naturĂ©es avant de les figer.
Mais le plus effrayant, câest sans doute lâabsence dâoriginalitĂ©. Rien ne distingue la chorĂ©graphie dâun spectacle de Koffi OlomidĂ© de celle dâune Lady Ponce. Un dĂ©tour sur la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision Trace Urban prouve quâon pourrait multiplier les exemples Ă lâinfini. Tout se passe comme si le bikutsi, le mapouka, le makossa, le mutuashi⊠avaient Ă©tĂ© tous remixĂ©s Ă la sauce ndombolo.
« Dans la seule RD Congo, il existe plus de quatre cent cinquante danses, mais, paresseusement, les bassins tournoient, le spectacle sâuniformise, sublimant la misĂšre esthĂ©tique », regrette Yoka Lye, qui conclut que, pour sortir de cette tendance routiniĂšre, il faudrait trouver des chercheurs, des esthĂštes qui fassent le pari de la beautĂ©.
NĂ©anmoins, on approche peu Ă peu de la saturation, notamment chez les jeunes. La preuveâ: ils prennent dâassaut les rares lieux de prĂ©servation des danses traditionnelles qui apparaissent dans les capitales africaines et dĂ©couvrent toute lâincongruitĂ© de leurs danses. On relĂšve Ă©galement les tentatives maladroites dâun Fally Ipupa de revenir Ă la rumba classique, malheureusement annihilĂ©es par lâabsence de recherches chorĂ©graphiques.
Pour peu quâelle soit jolie et consente Ă avoir le nombril Ă lâair et Ă rouler du popotin, la jeune fille est invitĂ©e Ă accompagner des artistes
Enseignante chorĂ©graphe Ă lâINA, Lisette Nsimba estime quâil est possible de combattre cette dĂ©rive en proposant une autre approche de la danse, qui en donne une perception diffĂ©rente. Elle dit vouloir faire comprendre â dâabord aux danseuses elles-mĂȘmes â quâon peut bouger avec sensualitĂ©, sans vulgaritĂ©.
« HĂ©las, la majoritĂ© a Ă©chouĂ© Ă suivre des Ă©tudes. Alors, pour peu quâelle soit jolie et consente Ă avoir le nombril Ă lâair et Ă rouler du popotin, la jeune fille est invitĂ©e Ă accompagner des artistes. Sans connaissances Ă©largies en la matiĂšre, elle se borne, au fil du temps, Ă reproduire ce quâelle sait dĂ©jĂ . Jazz, danse classique et danse contemporaine offrent des informations quâelle pourrait utiliser Ă bon escient. En clair, elle doit pouvoir Ă©largir son horizon. »
Câest ce qui manque le plus aux danseurs de groupes de variĂ©tĂ©s, qui ne sâouvrent pas aux autres. Mais dĂ©jĂ une tendance se dessine, la multiplication des collaborations entre chorĂ©graphes et artistes de variĂ©tĂ©.
Dans certaines grandes villes du continent, quelques Ă©tablissements permettent de rompre avec la dictature du popotin. Lâoccasion, avant tout, de revenir aux fondamentaux des danses traditionnelles africaines.
Kinshasa â le restaurant Chez BĂ©kiâ: du vendredi au dimanche, les amoureux de la rumba soft des annĂ©es 1940 Ă 1960 ont rendez-vous avec Papa Jeannot Bombenga, lâun des derniers survivants de lâAfrican Jazz de Kabasele. Orchestre live.
Dakar â le centre culturel rĂ©gional Blaise-Senghor de Dakar propose ponctuellement des cours de sabar, de mbalax ou encore de tama.
Douala â la ClĂ© : Cette boĂźte de nuit propose le week-end des sĂ©ances de « bal de vĂ©tĂ©rans » et diffuse exclusivement le makossa des annĂ©es 1960 Ă nos jours.
Nous croyons en une Afrique souveraine, ambitieuse et innovante. Faire en sorte que le continent africain soit reconnu Ă sa juste valeur est donc une mission essentielle pour nous.â
Câest cette conviction que nous dĂ©fendons au quotidien auprĂšs de nos visiteurs et abonnĂ©s.
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Aujourdâhui, mercredi 7 septembre 2022
Stéphanie Brody, collaboration spéciale
LA PRESSE
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Le chorégraphe Frédérick Gravel, au Kingdom Gentlemans Club: «Si je rentre dans le monde des bars de danseuses, il faut aussi que j'accepte que ce monde-là me rentre dedans!»
Demain, sous l'Ă©gide de la 2e Porte Ă gauche et de l'Agora de la danse, des chorĂ©graphes aussi diffĂ©rents que FrĂ©dĂ©rick Gravel, BenoĂźt Lachambre ou Manon Oligny et un groupe d'interprĂštes sans gĂȘne, dont Clara Furey, Peter James et Francis Ducharme, investissent le Kingdom Gentleman's Club. Ils y prĂ©sentent Danse Ă 10 , en premiĂšre partie du spectacle habituel de ce bar de danseuses nues du boulevard Saint-Laurent.
Le décor? Fauteuils rouges, velours, lions dorés sculptés, écrans qui diffusent des films pornos, distributeurs de désinfectants à mains... Au centre du Kingdom, une vaste scÚne surmontée d'une structure métallique: les pÎles de danseuses nues. Quand La Presse arrive au club, à 17h30, il n'y a que Blanche Misswhite en piste; le lieu n'est encore occupé que par l'équipe de Danse à 10 .
Blanche est une habituée: elle a dansé au Kingdom pendant un an. Cette spécialiste en pÎle acrobatique répÚte l'émouvant solo, tout en contrÎle, que Frédérick Gravel a concocté pour elle. Aux abords de la scÚne, Frédérick, qui la guide de consignes simples, mais aussi Miriah Brennan, formée à l'école
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