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Quand les femmes payent pour du sexe
Quand les femmes payent pour du sexe
Publié lundi 1 avril 2019 à 12:33
Modifié mardi 2 avril 2019 à 11:49
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Si la clientĂšle fĂ©minine dâescorts est bien moins importante que la clientĂšle masculine, une offre pour les femmes achetant des «services sexuels» est bien en train dâĂ©merger
Nathalie est une femme divorcĂ©e de 50 ans. Cela faisait plusieurs annĂ©es quâelle avait envie de payer quelquâun pour lâaccompagner Ă des Ă©vĂ©nements, et aussi pour faire lâamour. «Comme je nâavais pas de vie sentimentale, je mâĂ©tais jetĂ©e dans le travail. JâĂ©tais en prĂ©-burn-out, fragilisĂ©e. Je souffrais de ne pas ĂȘtre touchĂ©e, embrassĂ©e», raconte-t-elle.
Depuis son divorce, elle a vĂ©cu une vingtaine dâaventures, dont certaines relations qui se sont rĂ©vĂ©lĂ©es violentes, psychologiquement ou physiquement. Un de ses ex, «manipulateur», la rabaissait constamment. «Dâautres ne prenaient pas mes dĂ©sirs en considĂ©ration et me faisaient mal. Jâavais peur de faire lâamour. Je me disais que ma vie sexuelle Ă©tait terminĂ©e.» JusquâĂ ce quâelle entende parler dâune connaissance ayant recours aux services tarifĂ©s dâun homme.
Nathalie se met alors en quĂȘte dâun escort et tombe sur le profil de Charles, professionnel belge dont le site est bien rĂ©fĂ©rencĂ© sur internet. Ils se donnent rendez-vous Ă lâhĂŽtel, oĂč elle se rend en tremblant. AprĂšs avoir discutĂ©, tout se fait pourtant trĂšs «naturellement». «Je me suis rendu compte que mon corps pouvait encore ĂȘtre touchĂ© et mĂȘme que je pouvais jouir plusieurs fois sans problĂšme. Au deuxiĂšme rendez-vous, jâai dĂ©couvert que je pouvais Ă©jaculer et jâai Ă©tĂ© bouleversĂ©e. Cela rĂ©pare ce que jâai subi. Je vais mieux me connaĂźtre sexuellement et je ne me laisserai plus faire», affirme-t-elle.
«Aujourdâhui, je peux voir mon corps avec bienveillance, moi qui nâavais pas eu de regard aimant sur lui depuis longtemps», poursuit la quinquagĂ©naire. Elle a cependant dĂ©cidĂ© de rĂ©duire ses dĂ©penses pour continuer Ă voir Charles, qui prend 150 euros de lâheure, en attendant de se sentir prĂȘte Ă faire dâautres rencontres.
Comme Nathalie, certaines femmes hĂ©tĂ©rosexuelles ont recours Ă des travailleurs du sexe pour se rĂ©approprier leur sexualitĂ©, et le revendiquent. Câest par exemple la dĂ©marche entreprise par lâactrice canadienne installĂ©e en France Ina Mihalache, crĂ©atrice de la chaĂźne YouTube SolangeTeParle, dans une vidĂ©o devenue virale en dĂ©cembre dernier. BaptisĂ©e « Jâai testĂ© les services dâun escort » et visionnĂ©e prĂšs de 400â000 fois, celle-ci raconte sa dĂ©cision de payer pour avoir un rapport sexuel.
InterrogĂ©e par Le Temps , elle explique avoir voulu se sentir «sujet plutĂŽt quâobjet» de sa sexualitĂ©. «Jâai rĂ©alisĂ© que je mâĂ©tais beaucoup construite pour plaire aux hommes et, Ă la trentaine, jâai dĂ©cidĂ© de faire quelque chose pour moi. Faire appel Ă un professionnel permet un espace dâexpĂ©rimentation safe. Il mâa dit que jâĂ©tais lĂ pour avoir du plaisir, que câĂ©tait moi qui dĂ©cidais et, rien que cela, ce nâest pas simple Ă envisager en tant que femme.»
Jâai rĂ©alisĂ© que je mâĂ©tais beaucoup construite pour plaire aux hommes et, Ă la trentaine, jâai dĂ©cidĂ© de faire quelque chose pour moi
En Suisse, oĂč la prostitution est lĂ©gale, certains sites et agences dâescorts proposent spĂ©cifiquement ce type de services. Câest le cas dâEasylives, Ă GenĂšve. En dix-sept ans dâactivitĂ©, sa gĂ©rante, qui prĂ©fĂšre rester anonyme, nâa croisĂ© quâune poignĂ©e de clientes. Certaines ont lâenvie de se sentir mieux aprĂšs une rupture ou de renouer avec leur sexualitĂ© aprĂšs une maladie. Dâautres prennent un escort aprĂšs avoir dĂ©couvert que leur mari faisait de mĂȘme. «Câest comme une petite thĂ©rapie», lance-t-elle. «Mais ce nâest pas du tout la mĂȘme dĂ©marche que pour les clients hommes. Les femmes se sentent jugĂ©es et vont se justifier. Payer un homme pour se faire plaisir nâest pas encore entrĂ© dans les mĆurs.»
MĂȘme si on est trĂšs loin du volume des femmes escorts, une Ă©tude de lâUniversitĂ© de technologie du Queensland (Australie) portant sur lâoffre de sexe en ligne dans plusieurs pays indique quâun marchĂ© pour les femmes achetant des «services sexuels» est bien en train dâĂ©merger. Il concernerait 11% des sites dĂ©diĂ©s. Des chercheuses de lâUniversitĂ© de Lancaster, au Royaume-Uni, ont aussi travaillĂ© sur le sujet. Elles ont observĂ© que cette clientĂšle est constituĂ©e notamment de femmes en couple, dĂ©sireuses dâĂ©gayer leur vie sexuelle, ou au contraire de femmes actives qui nâont pas le temps ni lâenvie de nouer des relations amoureuses.
Câest le cas de Julia**, Autrichienne de 45 ans, mĂšre de deux enfants et cliente dâun escort du site Callboy-Verzeichnis officiant entre lâAllemagne, la Suisse et lâAutriche. SĂ©parĂ©e et cĂ©libataire depuis dix ans, trĂšs occupĂ©e par son mĂ©tier, elle explique ne pas rechercher un partenaire de vie. «Jâai dĂ©jĂ essayĂ© les applis de rencontres, mais câĂ©tait dĂ©cevant. Je voulais juste refaire lâamour et que ce soit bien. Câest le cas avec cet escort que je vois, car il y a de la communication entre nous», assure-t-elle. Charles, lâescort belge que frĂ©quente Nathalie, a vu sa clientĂšle grandir au fil des annĂ©es. «Il y a toute une frange de la population qui se libĂšre», veut-il croire. Les femmes qui auraient rencontrĂ© des violences ou des difficultĂ©s dans leur sexualitĂ© reprĂ©sentent la moitiĂ© de ses rencontres, parfois orientĂ©es vers lui sur les conseils de sexologues. «Il sâagit de reprendre confiance en elles aprĂšs avoir Ă©tĂ© humiliĂ©es ou harcelĂ©es par leur ex-mari, ou aprĂšs avoir vĂ©cu des viols et des agressions sexuelles. Il y a aussi des femmes qui sortent dâun long cĂ©libat, et dâautres qui sont vierges. Elles prĂ©fĂšrent le faire avec quelquâun qui sera patient et avec qui il nây a pas dâenjeu Ă©motionnel», assure-t-il.
On a conditionnĂ© les femmes Ă faire passer le plaisir des hommes devant le leur et Ă avoir honte de leur corps. Certaines me demandent ce qui me ferait plaisir, alors que câest moi qui suis Ă leur service
En France, oĂč cette activitĂ© est remise en cause par une lĂ©gislation pĂ©nalisant les clients de la prostitution, des travailleurs du sexe dĂ©fendent leur profession et en revendiquent la dimension politique. Bug Powder (un pseudo) est escort militant et pro-fĂ©ministe. Lui aussi a des clientes victimes de violences, de mĂȘme que des femmes handicapĂ©es, ou dâautres souffrant de vaginisme (contraction des muscles du plancher pelvien empĂȘchant la pĂ©nĂ©tration) et de douleurs pendant les rapports. Parfois, ce sont simplement des reprĂ©sentations sexuelles limitantes qui entravent leur sexualitĂ©.
«Les femmes sont culpabilisĂ©es, on les a conditionnĂ©es Ă faire passer le plaisir des hommes devant le leur et Ă avoir honte de leur corps. Elles sont Ă©levĂ©es dans la peur de la sexualitĂ©, qui renvoie la pĂ©nĂ©tration Ă la soumission. Certaines me demandent ce qui me ferait plaisir, alors que câest moi qui suis Ă leur service.» Bug Powder prend 180 euros de lâheure. Selon lui, le fait de payer peut ĂȘtre sĂ©curisant. Dans un cadre tarifĂ©, les femmes sâautoriseraient davantage Ă exprimer leurs besoins, ou Ă interrompre un rapport dĂ©jĂ commencĂ©.
Câest ce quâexplique Sarah, une de ses clientes, vendeuse en parfumerie de 28 ans. «Avec mes deux derniers ex, je me suis souvent forcĂ©e Ă faire lâamour pour faire plaisir ou parce que je ressentais une pression. Donc jâai pris un escort pour ĂȘtre sĂ»re que le dĂ©sir vienne de moi. Les rencontres avec Bug mâont appris Ă dire non, mais aussi Ă exprimer mes fantasmes alors que je ne trouvais personne pour les cerner sĂ©rieusement. Maintenant, je sens que je peux ĂȘtre en demande moi aussi.» Sarah a notamment eu envie dâexplorer le BDSM avec lui parce quâelle ne trouvait pas de partenaire fiable pour pratiquer ces jeux de rĂŽles.
Ces avantages nâempĂȘchent pas les femmes que nous avons interrogĂ©es de se poser la question de la marchandisation des corps derriĂšre le sexe tarifĂ©. Sarah a demandĂ© Ă lâescort sâil le faisait par choix. «Je ne voulais pas quâil se sente obligĂ© de faire des choses parce que je lâavais payĂ©. Il mâa rĂ©pondu que cela avait un vrai sens pour lui, ce qui mâa rassurĂ©e.» «Je me suis demandĂ© si Charles se forçait parfois ou sâil vivait des moments difficiles», explique de son cĂŽtĂ© Nathalie. «Je nâai jamais osĂ© le lui demander. Mais jâai toujours fait en sorte quâil ne se sente pas comme un objet, car je vois son travail comme un service.»
En outre, payer pour des rapports sexuels nâoffre pas de garantie de «rĂ©sultat». «Si on sait comment obtenir du plaisir dans ce cadre-lĂ , lâexpĂ©rience peut ĂȘtre positive. Mais les femmes ont tendance Ă compter sur les hommes pour rĂ©veiller une sexualitĂ© dormante. Câest un peu le mythe du prince charmant», estime Marie-HĂ©lĂšne Stauffacher, sexologue Ă GenĂšve. Câest aussi la conclusion dâIna Mihalache, lâauteure de la vidĂ©o YouTube, qui nâa pas joui avec lâescort quâelle a payĂ©. Selon elle, il ne faut pas sâattendre Ă ce que lâexpĂ©rience soit miraculeuse. Câest le parcours, celui dâun «affranchissement», qui compte. Elle retient les mots de son «complice», qui lui a assurĂ© quâil faisait ce mĂ©tier pour le sexe, lâargent et pour vaincre⊠le patriarcat.
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Ăcrit parÂ
Claudia FERREIRA DA SILVA
Publié le 21/11/2016 à 14h28, mis à jour le 21/11/2016 à 15h12
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