Elle fera son manque au sauna

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Carine, 28 ans, est juriste à La Rochelle. Une nuit, il y a trois ans, dans le train qui l’emmenait vers Nice, elle a rencontré un inconnu. Elle se souvient de ce moment de bonheur, étrange et salvateur...  
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C’était la fin du printemps, il y a trois ans, je terminais mon cursus de droit. Je venais de passer des semaines à broyer du noir en pensant que jamais je n’arriverais à boucler mon mémoire. Je ne sortais plus, je m’enfonçais dans une déprime stérile. Mes amis me disaient : « Allez, sors, détends-toi, aie des aventures d’un soir, ça te fera du bien », mais je n’en ressentais ni l’envie ni même le besoin. Jusqu’à ce matin de mai où j’ai décidé de partir chez une tante qui vit seule à Nice et qui m’accueille quand je me sens du vague à l’âme. J’emportais mes livres et mon ordinateur dans l’espoir que l’air de la Méditerranée me sortirait peut-être du marasme. J’achetai une place dans le train de nuit pour le soir même. Il n’y avait pas d’arrêt jusqu’à Nice, la destination finale. Je me suis installée dans un compartiment vide, bien heureuse de pouvoir être tranquille, et je me suis étalée, j’ai sorti mon ordinateur, mes dossiers, mes bouquins. J’étais contente d’être dans cet espace nouveau où personne ne viendrait me déranger, où le téléphone ne passait pas. Je me suis même dit : « Je voudrais rester là des jours et des jours. »
Au bout d’une heure, un jeune homme en uniforme de contrôleur est venu me demander de lui montrer mon billet. Il a juste demandé si je partais en vacances et, quand il a vu mon fatras, il s’est ravisé : « Non, visiblement, vous n’êtes pas en vacances, vous avez du travail. » J’ai, à ce moment-là, aperçu un visage doux et calme, rien de l’attitude habituelle du dragueur insistant ni du contrôleur de train un peu terne. Et, sans me troubler, je me suis remise à travailler. Un moment plus tard, il est revenu me demander si je voulais boire quelque chose, il a commencé par me proposer un jus de fruits, un verre de vin, une bière, une vodka. Je trouvais ses propositions très inhabituelles, mais sans plus. Chaque fois, je faisais non de la tête, sans vraiment lever les yeux de mon écran. Puis il s’est assis sur la banquette en face de moi, et il a dit : « Et un câlin, est-ce que vous voulez un câlin ? »
Et là, je ne sais pas ce qui m’a pris, en le regardant à peine, j’ai dit oui. Un oui qui m’est sorti du coeur. Il s’est approché, m’a embrassée très doucement. C’était la première fois de ma vie que je donnais un baiser à un parfait inconnu. Il m’a juste glissé qu’il avait 26 ans et qu’il était contrôleur pour arrondir ses fins de mois. Je trouvais son contact agréable mais, dans le baiser, je ne pourrais même pas dire que je le voyais vraiment. Je sentais des lèvres douces, un souffle caressant, rien de plus. A aucun moment je n’ai eu peur de lui alors que nous étions seuls dans un train presque vide qui filait dans la nuit au beau milieu de la France. A l’extérieur du compartiment, on entendait des va-et-vient, mais rien de rassurant en cas de danger. Nous n’avons pas parlé, à peine quelques mots, je lui ai murmuré mon prénom. « Carine, a-t-il répété, Carine a besoin d’un câlin. » Je ne lui ai même pas demandé comment il s’appelait, et, chaque fois qu’il s’apprêtait à me dire quelque chose de lui, je posais un doigt sur ses lèvres en chuchotant : « Je ne veux pas savoir. »
Quelques minutes plus tard, nous avions défait l’une des couchettes et nous étions blottis l’un contre l’autre. Et nous avons commencé à nous caresser puis, tout en douceur, à faire l’amour. Je ne savais pas qu’une telle douceur était possible entre deux inconnus. Ce n’était pas comme au cinéma où ce genre de situation donne toujours lieu à des scènes torrides et sauvages. C’était à la fois plus modeste et plus étonnant que cela. C’était plutôt comme dans une chanson de Jeanne Moreau : deux inconnus se sont unis dans le train de nuit… Ou comme dans une pub : quelques grammes de douceur dans un monde de brutes. Dans la soirée, un de ses collègues a frappé, est entré, nous a vus enlacés, nous a regardés avec étonnement puis nous a laissés. Nous n’avons ressenti ni honte ni gêne, et nous avons repris le fil. Evidemment, un instant, j’ai pensé qu’il était peut être coutumier du fait, qu’il joignait l’utile à l’agréable, que ses collègues le savaient et que je n’étais qu’une parmi tant d’autres, mais ça ne m’a ni troublée ni arrêtée. Au contraire. Jamais je ne me serais crue capable d’une telle audace moi qui suis plutôt réservée dans la vie, une fille sérieuse, comme on dit, peut-être un peu frileuse. En fait, c’est cette audace soudaine qui me plaisait, le sentiment de braver les tabous et les peurs dans lesquelles on éduque les filles.
Plusieurs fois dans la nuit, il s’est rhabillé pour aller s’acquitter de ses tâches. Chaque fois, je me disais : « Bon, allez, maintenant, ça suffit, quand il revient, je lui annonce qu’on s’en tient là », mais c’était comme la voix d’une autre et je ne bougeais pas, je me laissais bercer par le roulis du train et la douceur du moment. Et quand il revenait, il reprenait sa place à mes côtés. J’ai plusieurs fois éprouvé un plaisir intense et profond, une sensation qu’on réserve plutôt aux vraies histoires d’amour. Mais, à bien y repenser, je me dis que le plaisir d’une femme est aussi lié à l’image qu’elle a d’elle pendant qu’elle l’éprouve et j’aimais l’image de moi qui se profilait pendant ces heures-là.
Au matin, il n’était pas frais mais il a remis ses habits de contrôleur, sa casquette vissée sur la tête. Il a griffonné son numéro de téléphone au dos de mon billet. En le regardant faire, je pensais : « D’habitude, ce sont les filles qui veulent ça et qui demandent ça, mais, là, ce n’est pas comme d’habitude. » Ma tante m’attendait sur le quai. Elle m’a vue déposer un léger baiser d’au revoir sur sa joue, l’air juste un peu surpris. « Quelle coïncidence, dis donc ! C’est un ami à toi ? — Oui, on peut dire ça comme ça… – Et comment s’appelle-t-il ce jeune homme ? – Je ne sais pas, ai-je répondu fièrement en jetant mon billet dans la première poubelle venue. » Je crois qu’elle a compris à demi-mot et cette complicité n’a fait que renforcer la tendresse que j’ai pour elle. Elle a juste ajouté : « En tout cas, tu as une mine superbe ! »
Je suis restée à Nice plusieurs semaines. Je me levais tôt, j’écrivais d’arrache-pied, avec une énergie pleine, entière. Jamais je n’ai aussi bien travaillé de ma vie. D’ailleurs, pour mon mémoire, j’ai obtenu la mention très bien et les félicitations du jury. Comme si cette nuit de train avait fait jaillir en moi un sentiment de grande confiance en l’humanité, comme si cette rencontre m’avait réconciliée avec la douceur dont les hommes et les femmes sont parfois capables ensemble. Et procuré un immense sentiment de liberté.
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