Deux femmes se soumettent à un mec

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Le saphisme est l'un des fantasmes les plus répandus chez les hommes.
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Assister à une relation sexuelle entre deux femmes, et, pourquoi pas, y participer, est l'un des fantasmes n°1 chez les hommes. Comment l'expliquer ?
Selon un sondage réalisé par Harris Interactive pour Marianne en 2011, 31% des hommes rêvent de regarder deux femmes faire l'amour. Le mot-clé "lesbiennes" est aussi l'un des plus tapés sur les moteurs de recherche des sites de vidéos X. Et qui n'a pas déjà entendu un homme clamer son envie de faire l'amour avec deux femmes en même temps ?
Le sexe entre femmes ressemble du point de vue d'un homme hétérosexuel, à une illusion d'optique érotique qui permet de multiplier le désir : au lieu d'un corps féminin, il y en a deux. Une sorte de jeux de miroirs que la gent masculine imagine alors comme un moment ultra sensuel, où le plaisir est encore plus intense qu'avec une seule partenaire. Quand au visionnage de vidéos pornographiques lesbiennes, c'est aussi l'idée excitante d'entrer dans un monde intime qui leur est interdit : regarder deux femmes faire l'amour, sans pour autant y participer.
Celui qui rêve d'un plan à trois avec deux femmes peut aussi être excité par le fait d'être le seul à pouvoir franchir cette barrière, celle du couple qui, normalement, dit "non" aux hommes mais qui dira "oui" à lui, et lui seul. Une sorte de privilège d'homme dominant et un défi excitant : "elles sont en couple mais elles m'acceptent pour un plan à trois." Même si, dans la réalité, il est peu probable que deux femmes lesbiennes soient attirées par un hétérosexuel et l'accueillent dans leur lit, ne serait-ce que le temps d'une nuit...
Si les hommes sont excités par deux femmes, ces dernières n'ont pas forcément besoin d'être lesbiennes. Partout, au cinéma, dans les séries, les médias, la publicité, le corps de la femme s'affiche dénudé et désirable, enclin à créer une sorte de fantasme collectif. Surtout, de " La vie d'Adèle " à I kissed A Girl de Katy Perry en passant par le baiser entre Madonna et Britney Spears (lors de la soirée des VMA en 2003), les fausses lesbiennes font vendre. Le fantasme de faire l'amour avec deux femmes est ainsi accepté par tous, au point d'en devenir banal.
Le sexe lesbien est également dans l'industrie pornographique, et à tort, montré comme mignon et gentillet avec baisers, caresses tendres... bref, aseptisé et manquant franchement d'authenticité, avec des femmes minces et grandes, aux cheveux et aux ongles longs, et très jeunes. Bref, des vidéos remplies de clichés bien loin de la réalité. Une vision patriarcale de la sexualité des lesbiennes, qui s'affiche encore plus quand un homme vient "sauver" la situation. Comme si seul l'homme, avec son sexe, allait pouvoir enfin leur faire découvrir le plaisir.
Si les hommes fantasment sur le sexe lesbien, les femmes elle-mêmes peuvent être excitées par ce type de représentation, même si elles se considèrent comme hétérosexuelles. En 2017, une étude réalisée par Pornhub révélait ainsi que la catégorie "lesbiennes" était la plus populaire chez les utilisatrices du site porno (le taux de visionnage des vidéos "lesbiennes" chez les femmes est 197% plus élevé que chez les hommes). L'explication viendrait sans doute du fait que le porno lesbien laisse plus de place au désir de la femme avec caresses buccales et masturbation mutuelle, quand le porno hétéro fait de la pénétration un passage obligé.
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La deuxième révolution sexuelle est arrivée. Libérées de la perspective de la reproduction, libérées du mariage, les femmes ne l'étaient pas complètement des hommes, ni de la morale. La sexualité est restée, en partie, le lieu de la domination masculine.























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Ma mère, qui avait 18 ans en 1968, m'a raconté qu'à l'époque, un homme lui avait demandé dans la rue si ça lui disait de coucher avec lui. Non, ça ne lui disait rien, lui avait-elle dit, et l'homme lui avait répondu, l'air excédé : "Sale bourgeoise !"
On peut imaginer ce qu'il a fallu de force aux filles prises entre la joie d'être libérée et l'injonction à l'être. Comment savoir quoi faire de cette liberté ? Comment jouir sans entraves ? Avec qui ? On sait maintenant qu'on n'avait pas fini d'explorer les limites de la libération sexuelle. Car il y en avait, des limites. Libérées de la perspective de la reproduction, libérées du mariage, elles ne l'étaient pas complètement des hommes, ni de la morale. La sexualité est restée, en partie, le lieu de la domination masculine.
En 1970, deux tiers des Français des deux sexes déclaraient encore que c'étaient les hommes qui prenaient l'initiative des rapports sexuels. Autrement dit, les relations sexuelles avaient lieu quand ils le décidaient.
Un demi-siècle plus tard, ce que disaient ces millions de voix accordées sous le vocable #MeToo, c'était la nécessité de rouvrir le dossier de la libération sexuelle. De repenser, alors qu'on pensait vivre à l'ère pacifiée du consentement mutuel, ce que serait une sexualité non seulement préservée de violences, mais aussi pleinement satisfaisante et vraiment libre.
De quoi est fait le désir mutuel ? Que faire des inégalités de pouvoir dans la sexualité ? Quand on consent, à quoi consent-on, et avec quel plaisir ? Ce sont toutes ces questions qui se sont échappées du concert de témoignages et d'analyses. Il est temps de se demander comment, portées par l'air du temps, elles façonnent en retour les intimités.
Une jeune femme nous racontait cette impression nouvelle de n'être plus seulement deux avec un homme, mais d'être entourée par d'autres femmes, en soutien. "Par exemple, plus jamais je ne laisserai un homme me dire“de ne pas le laisser comme ça”, nous dit-elle. J'ai toujours trouvé ça odieux, mais maintenant je pense que je pourrais carrément m'énerver. Evidemment, l'inverse ne se dit pas, puisqu'un homme ne peut plus physiquement continuer. Mais je crois que les mecs ne se rendent pas compte, quand on a joui, ce que ça fait de continuer : c'est ultra-désagréable. Je dis beaucoup plus facilement : deux secondes s'il te plaît, on fait une pause."
D'un côté, il y a les femmes qui attendent, reçoivent, subissent et se soumettent, de l'autre, les hommes qui choisissent, prennent, pénètrent et dominent
Les résultats d'un sondage Ifop de février 2019 allaient d'ailleurs dans ce sens : aujourd'hui, seulement trois femmes sur dix estiment qu'un rapport sexuel est raté s'il n'y a pas orgasme (28%), tandis qu'elles étaient quatre sur dix vingt ans plus tôt (41%). Et au rayon des transgressions des normes de genre, on apprenait aussi que 22% des femmes avaient déjà pénétré leur partenaire.
La philosophe Camille Froidevaux-Metterie parle d'une deuxième révolution sexuelle, ou plutôt d'une "relance du projet de révolution sexuelle sur le versant de l'égalité". Sur le site AOC, elle écrivait : "Par-delà l'effervescence militante et l'engouement médiatique, on peut se demander si nous sommes en train de vivre une véritable révolution sexuelle. La formule résonne comme un écho, n'avait-elle pas déjà eu lieu ? (…) Les revendications visent directement la hiérarchie implicite qui continuait de structurer les rapports entre les femmes et les hommes : d'un côté, celles qui attendent, reçoivent, subissent et se soumettent, de l'autre, ceux qui choisissent, prennent, pénètrent et dominent. Ce sont ces représentations, ces normes et ces injonctions relatives à une sexualité conçue au prisme de l'hétéronormativité phallocratique qui sont aujourd'hui rejetées."
Dans le magazine Society, Virginie Despentes disait bien : "Si tu dis qu'il n'y a pas de problème d'opprobre social, à mon avis, dans vingt ans, la plupart des meufs sont lesbiennes. (…) Tu testes une fois avec une fille, c'est mille fois mieux, tu restes avec une fille. Sexuellement, tu n'y perds pas, et pour tout le reste, c'est tellement un soulagement inouï que qu'est-ce que tu vas te faire chier ?"
Se "faire chier", c'est se faire chier avec la douleur, les complexes, l'épilation, les préliminaires considérés comme tels (avant le plat de résistance que serait la pénétration ), les rapports qui s'achèvent quand et seulement l'homme a éjaculé. Bref, tout un dogme sexuel qui n'en finit pas de s'effondrer sous une avalanche de témoignages.
"À se regarder jouir de son impunité, le mâle alpha n'a pas vu surgir l'obsolescence de ses propres attributs et fonctions symboliques", écrit Chloé Delaume dans

Mes bien chères sœurs

1 . On a ressorti les statistiques implacables du gap orgasmique entre les hommes et les femmes, identifié il y a quarante ans par le rapport Shere Hite, grâce auquel on découvrait que les femmes jouissaient plus en se masturbant qu'à deux avec un homme.
On ne jouit pas pareil, et ce n'est peut-être pas un destin anatomique. Cette "révolution égalitaire" semble passer par le clitoris , qui vit une nouvelle revanche sur des années de dogme freudien, selon lequel les orgasmes clitoridiens étaient réservés aux petites filles – l'orgasme était vaginal ou n'était pas.
La philosophe américaine Nancy Tuana a étudié le désintérêt historique des sciences pour le clitoris. "L'ignorance n'est pas un simple manque. Elle est souvent construite, entretenue et diffusée, écrivait-elle en 2004. L'étude des conceptions féministes et non féministes de l'orgasme féminin révèle des pratiques qui suppriment ou effacent l'ensemble des connaissances concernant les plaisirs sexuels des femmes."
On avait oublié trop longtemps le versant violent, traumatisant de la sexualité. Maintenant, il faut accompagner le discours sur le consentement en parlant de l'aspect joyeux de la sexualité
Selon elle, cela découle de l'idée que les sciences n'ont pas encore dissocié la sexualité de la reproduction, et qu'il n'y a donc "aucune raison de s'intéresser au clitoris, puisqu'il ne joue aucun rôle dans la reproduction". La statistique est connue : en 2016, une étude du Haut Conseil à l'égalité avait révélé qu'une adolescente de 15 ans sur quatre ne sait tout simplement pas qu'elle a un clitoris. Et 83 % des filles de 4e et de 3e ignorent complètement sa fonction érogène. En mars dernier, une pétition était lancée pour réclamer que le clitoris soit représenté dans tous les manuels scolaires de sciences de la vie et de la terre.
Organe exclusivement dédié au plaisir, il s'affiche désormais partout – avec sa taille étonnamment imposante (environ 11 cm) et ses huit mille terminaisons nerveuses –, au centre d'un militantisme qui vise à lui faire gagner la place qu'il mérite. Sur @gangduclito, le compte Instagram de la militante Julia Pietri, dans la série documentaire Clit révolution 2 , en pendentif et sur les trottoirs, comme un totem politique antiphallocratique… Au point que pour la réalisatrice Ovidie, "dire que c'est la seule et unique clé [de l'orgasme] et que sans le clitoris point de salut, ça devient problématique" 3 .
Elle dénonce par voie de conséquence une "invisibilisation de la vulve" cette fois, qui resterait effrayante, tandis que le clitoris ferait l'objet "d'un concours de bites" ( regardez comme il est formidable ! Et énorme ! ). Or, souligne-t-elle, on peut jouir de bien des manières – vaginale, anale, sans même se toucher.
C'est que dès qu'on parle de sexe, la révolution intime de l'une sera la routine de l'autre. Il suffit de regarder autour de soi pour constater les différences orgasmiques abyssales qui existent non pas entre hommes et femmes mais entre femmes, entre celles qui multiplient les expériences, seules ou en couple, celles qui s'ennuient, celles qui osent, celles dont la vie sexuelle est un désert, et celles pour qui ça ne vient jamais, ou jamais comme il faut.
En 2008, la dernière grande enquête sur la vie sexuelle des Français indiquait que 22,3% des femmes de plus de 50 ans n'avaient pas eu de rapport sexuel dans l'année. On repense à Yann Moix qui racontait dans Marie Claire 4 ses préférences pour les femmes plus jeunes que lui et asiatiques (et son désintérêt pour les femmes de plus de 50 ans), goûts dont il semblait croire qu'ils lui étaient personnels.
Une vraie révolution sexuelle devrait se préoccuper autant de consentement que de politique du désir. Qui est désirable ? Et pourquoi ? Qui a les moyens de ses désirs ? Qui est vraiment libre de les assouvir ? Virginie Despentes le résumait encore de façon implacable dans Society: "On n'a pas dit aux jeunes filles : “Dans ta vie, tu peux faire plein de trucs beaucoup plus graves, suce des bites si ça te fait plaisir, on les emmerde tous.” On a dit : “On va faire la révolution sexuelle, mais les filles, vous n'allez pas être dedans en fait. Vos corps vont y participer, on en a besoin, mais vous non”. (…) Il y a eu vraiment très peu de bienveillance pour les filles qui avaient envie d'être des chaudasses."
La libération sexuelle ne se fera pas sans les chaudasses. Sans en finir avec la mauvaise réputation. "Quand je repense à ce qu'on a dit de moi quand j'étais plus jeune, j'ai des montées de colère,dit Chloé, 39 ans, qui dans sa jeunesse enchaînait les histoires. Je crois que c'était inimaginable pour eux, et elles d'ailleurs, que ce ne soit pas autre chose qu'une affaire de trauma, en tout cas un symptôme, une déviance… Pour moi, c'était tout l'inverse, je me sentais assez puissante et à l'aise, et j'ai toujours trouvé que ceux qui disaient “tout le monde lui est passé dessus”, c'était eux les gros cons, les nazes."
À la fin de l'été, nous verrons Zahia Dehar (qui s'est fait connaître en 2010 au moment de "l'affaire Zahia" impliquant des joueurs de l'équipe de France de foot ayant eu recours à elle comme escort alors qu'elle était mineure) évoluer dans Une fille facile 5 , le nouveau film de Rebecca Zlotowski.
C'est une petite fable solaire avec en son centre ce personnage presque irréel de légèreté, fille facile en string et robe transparente qui couche pour des cadeaux. Elle dit rechercher seulement l'aventure, le plaisir. Au sommet du marché du désir, en bas de la hiérarchie sociale, corps à la fois soumis (à un idéal pornographique, au bon plaisir des hommes) et omnipotent – instrument de jouissance, de pouvoir, voire de domination ("Est-ce que Zahia Dehar n'est finalement pas tout le temps dans l'abus de pouvoir sexuel féminin ?", demandait la réalisatrice dans un entretien), elle incarne les enjeux de cette époque post #MeToo. Comment vivre la "sexualité égalitaire" dans un monde qui ne l'est pas ? Comment négocier avec les différences de pouvoir (politique, économique, de séduction) ?
Nous avons appris à explorer les soubassements du consentement , essayé encore de traquer en nous-mêmes la fausse conscience, les choses qu'on fait pour plaire à notre détriment en croyant qu'on les fait pour nous.
La journaliste Camille Emmanuelle nous disait à propos de #MeToo : "On avait oublié trop longtemps le versant violent, traumatisant de la sexualité. Maintenant, il faut accompagner le discours sur le consentement en parlant de l'aspect joyeux de la sexualité. Il ne faudrait pas oublier que ça peut être un territoire d'émancipation. Le sexe entre adultes consentants, si c'est politiquement correct, on va tous se faire chier."
Bref, jouir sans entraves, ou avec si ça fait plaisir.
1. Éd. Seuil. 2. D'Elvire Duvelle-Charles et Sarah Constantin, sur Slash Tv. 3. Dans le podcast Programme B - Binge Audio. 4. Février 2019. 5. En salles le 28 août.
Article publié dans le magazine Marie Claire, n°805 - Septembre 2019  
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