Deux Fille Font L Amour Pour De Vrai
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AmĂ©lie Nothomb, François Mauriac, deux Ă©crivains qui se soucient de lâhygiĂšne de lâassassin !
AmĂ©lie Nothomb, avec son nouveau roman intitulĂ© Le livre des sĆurs , 1 fait parler dâelle en cette fin dâĂ©tĂ©. « Cet automne, AmĂ©lie Nothomb , câest François Mauriac 2.0 », pour Le Figaro du 25 aoĂ»t ! Bien trouvé⊠On sait, en effet, Ă quel point, François Mauriac , depuis sa demeure Ă©ternelle, est susceptible de dialoguer avec de jeunes auteurs. Ce fut le cas, au tout dĂ©but des annĂ©es 90, lorsque François susurra Ă lâoreille dâ AmĂ©lie : « AmĂ©lie , si jâĂ©tais toi, je mâintĂ©resserais Ă lâhygiĂšne de lâassassin. Je te dis ça en passant⊠Comme le conseil dâun grand-pĂšre Ă sa petite fille ! » Visiblement le message Ă©tait bien passĂ© puisquâ AmĂ©lie publiait, en 1992, HygiĂšne de lâassassin , un roman magistral oĂč un certain PrĂ©textat nous livrait, avec un luxe de dĂ©tails, toute sa routine cosmĂ©tique habituelle. 2
Cinquante-sept ans auparavant, bon-papa François avait lui aussi explorĂ© lâhygiĂšne de lâassassin. AprĂšs une mise en bouche intitulĂ©e ThĂ©rĂšse Desqueyroux (1927), 3 lâĂ©crivain remettait le couvert, transportant son hĂ©roĂŻne Ă Paris, dans un roman intitulĂ© La fin de la nuit . 4 Voulant mettre un point final Ă lâexistence de sa « chose », François Mauriac nous confiait alors encore plus de dĂ©tails concernant la psychologie de cette drĂŽle de dame.
Désormais, ThérÚse vit à Paris, dans un petit appartement, avec pour seule compagne une petite bonne, prénommée Anna . Une bonne aux « cheveux gras » et aux « ongles mal coupés et trop longs » !
« Quand elle Ă©tait jeune, elle se cherchait dans les livres et soulignait au crayon certains passages. » Et puis, il est bon de se rappeler que câest, dans sa bibliothĂšque, que ThĂ©rĂšse cachait le poison destinĂ© Ă son Ă©poux. ThĂ©rĂšse , la tĂȘte dans les livres, nâest pas « dans la vĂ©ritĂ© de la vie », selon lâexpression de Bernard Desqueyroux .
ThĂ©rĂšse a maintenant 45 ans et « perd ses cheveux comme un homme ». Son front est « dĂ©vasté », comme celui dâun « vieil homme ». Le front, ainsi dĂ©gagĂ©, est celui dâun « penseur » ! Câest grĂące Ă un chapeau que ThĂ©rĂšse arrive, tout de mĂȘme, Ă dissimuler habilement cette calvitie androgyne.
Il y a 15 ans, ThĂ©rĂšse a bĂ©nĂ©ficiĂ© dâun « non-lieu », dans la tentative dâassassinat de son mari, Bernard . Durant ces quinze annĂ©es, ThĂ©rĂšse sâest astreinte Ă une certaine hygiĂšne de vie, mĂ©nageant son cĆur malade autant que possible. « Dans ses plus grands dĂ©sordres, durant ces 15 annĂ©es, elle avait suivi une certaine hygiĂšne ; elle avait toujours mĂ©nagĂ© son cĆur malade. » ThĂ©rĂšse a peur de la mort et sâimpose une hygiĂšne de vie relative (pas de tabac⊠mais en revanche quelques coupes de champagne), afin de mĂ©nager ses artĂšres.
La fille de ThĂ©rĂšse , Marie , a vĂ©cu loin de sa mĂšre durant toutes ces annĂ©es. Et puis, un beau soir dâoctobre, elle dĂ©barque, sans crier gare. La fillette est dĂ©sormais une « femme Ă©clatante » de 17 ans, qui connaĂźt Ă fond les techniques de maquillage . « Comme le fard tâarrange, mon enfantâŠÂ » : voilĂ la phrase dâaccueil de ThĂ©rĂšse Ă celle quâelle a abandonnĂ©e depuis longtemps. Marie rĂ©pond du tac au tac : « Vous trouvez ? Ce nâest pas lâavis de la familleâŠÂ ».
Fuyant Argelouse, Marie vient trouver asile auprĂšs de sa mĂšre. Un Ćuf Ă la coque arrosĂ© de champagne (il y a toujours une bouteille dans la glaciĂšre) et voilĂ Marie prĂȘte aux confidences⊠Comme ThĂ©rĂšse , Marie ne supporte plus lâatmosphĂšre de la maison familiale et ce dâautant plus que son pĂšre et sa grand-mĂšre sâopposent Ă son mariage avec Georges Filhot , un jeune homme dont les parents sont marchands de biens, un jeune homme jugĂ© indigne ! VoilĂ donc la raison de sa venue. Marie , qui ignore tout de lâacte fatal rĂ©alisĂ© par sa mĂšre, met tous ses espoirs en elle⊠SĂ»rement, ThĂ©rĂšse se rangera de son cĂŽtĂ©Â !
Ah ben oui⊠câĂ©tait trop beau. La venue de Marie nâest pas gratuite. Marie vient chercher de lâaide⊠Et ThĂ©rĂšse de se fĂącher avec Marie. Une nuit par lĂ -dessus et Marie , sans maquillage, perd « son aspect Ă©clatant » ! Son « teint brouillé » montre Ă quel point les cosmĂ©tiques sont importants dans la vie de la jeune fille.
La nuit a portĂ© conseil. ThĂ©rĂšse est dĂ©sormais dĂ©cidĂ©e Ă laisser Ă Marie toutes ses propriĂ©tĂ©s (« tout ce que jâai du cĂŽtĂ© Larroque »).
Bien dĂ©cidĂ©e Ă rencontrer Georges , afin de conclure le mariage de sa fille, ThĂ©rĂšse se refait une beautĂ©. « Elle avait Ă peine rougi ses lĂšvres et ses joues ; mais câĂ©tait une autre femme, tout Ă coup, - comme si cette dĂ©marche quâelle allait tenter lui eĂ»t restituĂ© lâinstinct social. » Retrouvant « tous les gestes oubliĂ©s », tous les gestes de sĂ©duction utilisĂ©s gĂ©nĂ©ralement par les femmes, ThĂ©rĂšse sâapprĂȘte Ă mener le combat de lâamour avec les armes cosmĂ©tiques de son choix. Un peu de fard Ă joues , une touche de rouge Ă lĂšvres !
Georges Filhot est un grand jeune homme de 22 ans, aux « cheveux noirs ». Un lĂ©ger strabisme lui donne un charme particulierâŠ. TrĂšs particulier mĂȘme, vous diront les personnes objectives, qui le dĂ©crivent plutĂŽt comme un garçon « mal rasĂ© , lâĆil bigle, le chandail douteux » !
Câest dans une chambre dâhĂŽtel, Ă Montparnasse, que ThĂ©rĂšse dĂ©couvre Georges. LâhĂŽtel de 3e zone possĂšde une haleine fĂ©tide . « Les odeurs de sauce , du rez-de-chaussĂ©e », cĂ©daient, dâĂ©tage en Ă©tage, aux relents dâ eau de toilette et dâĂ©gout. » Dans la chambre vĂ©tuste et mal tenue (« [âŠ] la chambre sentait le vieux vĂȘtement, le tabac, le savon »), Georges est lĂ , qui sâexcuse de ne pas sâĂȘtre rasĂ© (il passe son temps Ă sâexcuser de cela, le pauvre garçon). Georges tergiverse. Il est trop jeune pour se marier⊠Et de son cĂŽtĂ©, ThĂ©rĂšse , venue initialement pour plaider la cause de sa fille, se met Ă plaider la sienne. Etudiant ses gestes, sa voix, ThĂ©rĂšse ne laisse rien au hasard pour arriver Ă ses fins⊠sĂ©duire le jeune homme ! Et une invitation Ă dĂźner est lancĂ©e.
De retour Ă son appartement, ThĂ©rĂšse se prĂ©pare activement pour recevoir Georges . Elle passe « de la crĂšme sur son visage » et arrange ses cheveux de maniĂšre Ă masquer son grand front. « [âŠ] elle passa sur ses lĂšvres le bĂąton de rouge , puis se poudra . » Un crime prĂ©mĂ©ditĂ© contre sa fille, voilĂ ce que prĂ©pare ThĂ©rĂšse en se faisant coquette et en choisissant la robe qui la mettra le mieux en valeur. Les cosmĂ©tiques de lâennemie, voilĂ ce que lâon trouve dans le placard de la salle de bains de ThĂ©rĂšse .
Si ThĂ©rĂšse sâest pomponnĂ©e pour recevoir Georges , celui-ci, en revanche, nâa guĂšre fait dâefforts⊠« La gomina retenait mal des Ă©pis de cheveux rebelles qui se redressaient et lui donnaient lâaspect dâun jeune corbeau. » Le dĂźner se passe au mieux. Marie est rĂ©expĂ©diĂ©e Ă Argelouse. Georges ira la voir Ă NoĂ«l⊠enfin peut-ĂȘtre. Pas sĂ»r !
ThĂ©rĂšse , quant Ă elle, est dans une forme olympique⊠« Bien quâelle se fĂ»t Ă peine fardĂ©e , elle sâĂ©tonna de voir dans la glace son visage coloré ». Lâeffet conjuguĂ© du blush , du champagne et de la passion fait monter le rouge aux joues de celle qui a cessĂ© de vivre depuis trop longtemps. Ce jeune homme qui passe Ă portĂ©e de main est la proie idĂ©ale !
AprĂšs le dĂźner, Georges se confie Ă ThĂ©rĂšse . A Saint-Clair, durant lâĂ©tĂ©, Georges aime Ă se baigner avec la petite Marie . « Nous nous baignons tous les jours, et, au sortir de lâeau, le soleil. » bronze Georges et Marie , Ă©tendus sur lâherbe, en silence. Et ThĂ©rĂšse de glisser une peau de banane sous les pas de sa fille. « Câest vrai que Marie a encore la nuque et les bras brĂ»lĂ©s âŠÂ » (et on est en octobre rappelons-le). Georges rĂ©agit vivement : « Elle nâest jamais si belle quâĂ la fin des vacances. » On peut se demander Ă ce moment-lĂ si câest le hĂąle qui embellit Marie ou bien si câest lâidĂ©e de la quitter qui la pare de toutes les qualitĂ©s aux yeux de son amoureux.
Et ThĂ©rĂšse se met Ă frĂ©quenter Georges . FascinĂ© par la femme en pleine maturitĂ©, le jeune homme pose la tĂȘte sur son Ă©paule. « [âŠ] elle demeura immobile respirant dans les cheveux sombres une pauvre odeur de brillantine . » Le contact de la peau du jeune homme met le feu Ă lâ Ă©piderme de ThĂ©rĂšse . « Une lĂ©gĂšre rougeur , qui nâĂ©tait point celle du fard , colorait ses joues ; ses yeux resplendissaient ; son beau front nâavait pas une ride . » TranscendĂ©e par lâamour, ThĂ©rĂšse irradie. Si Georges est subjuguĂ© par ThĂ©rĂšse , ThĂ©rĂšse , quant Ă elle, reste trĂšs objective sur les qualitĂ©s esthĂ©tiques de celui quâelle est en train de conquĂ©rir. « et elle reconnaissait cette odeur de brillantine bon marchĂ©, et elle sentait la chaleur de ce jeune vivant ». Et puis, en observant ses mains , ThĂ©rĂšse constate Ă quel point elles Ă©taient « abĂźmĂ©es , marquĂ©es de lĂ©gĂšres tavelures ».
Et puis, ThĂ©rĂšse se repent, fait promettre Ă Georges dâĂ©pouser Marie . Et puis, ThĂ©rĂšse est prise de remords vis-Ă -vis du jeune homme et se demande si elle ne lâa pas poussĂ© au suicide. Une nuit de folie Ă attendre Georges , dans une chambre dâhĂŽtel, qui sent « lâ odeur de tabac froid » et « son pauvre parfum de brillantine ». Mais, non, pas de panique ! Georges nâa pas tentĂ© de se suicider. Il a dĂ©couchĂ© tout simplement ! Et au retour, un bon « bain », pour chasser les miasmes de la nuit !
Et ThérÚse sombre dans la paranoïa, persuadée que tout le monde lui veut du mal.
Marie emmĂšne sa mĂšre Ă Saint-Clair, dans la maison paternelle et sâoccupe de celle-ci avec dĂ©vouement. DĂ©sormais, ThĂ©rĂšse attend la « fin de la vie, la fin de la nuit ».
Les souvenirs de ThĂ©rĂšse sentent « lâ odeur de rĂ©sine et de marĂ©cage », « lâ odeur de bois pourri et des fougĂšres mortes ». Dans le cerveau de ThĂ©rĂšse Desqueyroux , câest la dĂ©liquescence programmĂ©e. Une vie aride, une vie de tourments, oĂč les cosmĂ©tiques sont dĂ©gainĂ©s comme autant dâarmes de destruction massive. Quoi quâelle fasse, ThĂ©rĂšse dĂ©truit tout ce quâelle touche ! DĂ©cidemment, ThĂ©rĂšse empoisonne tout le monde et pas uniquement Ă lâaide dâarsenic !
Un grand merci Ă Jean-Claude A. Coiffard , pour cette confrontation au sommet et en image Mauriac - Nothomb !
4 Mauriac F., La fin de la nuit, Grasset, 1962, 253 pages
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