Des belles chinoises se montrent
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Des belles chinoises se montrent
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Des centaines de Chinoises envahissent les trottoirs de certains quartiers parisiens. Ces mĂšres et ces grands-mĂšres, victimes des «restructurations» Ă©conomiques quâa connues lâempire du Milieu depuis 20 ans, se confient.
Par Alexandra Szacka
17 avril 2015
PlutĂŽt menue sous lâĂ©pais anorak fuchsia quâelle porte court tout comme sa jupe noire, Lili fait le pied de grue sur une grande place sillonnĂ©e presque exclusivement par des Chinoises, une douzaine environ, tout aussi court vĂȘtues quâelle. Ce soir, elle a troquĂ© ses bas rĂ©silles et ses talons hauts contre des collants chauds et des bottes en similiÂmouton. Le thermomĂštre doit descendre sous zĂ©ro pendant la nuit et Lili a encore de longues heures de boulot devant elle.
Elle est lâune de ces «âmarcheuses de Bellevilleâ», les belles-de-nuit chinoises, dont le nombre a explosĂ© au cours des derniĂšres annĂ©es Ă Paris. Si elles arpentent surtout les trottoirs de ce quartier populaire du nord-est de la ville, on les trouve aussi autour de la place de Clichy, prĂšs du fameux Moulin-Rouge, et dans le 13e arrondissement, lĂ oĂč se concentre la communautĂ© chinoise.
Visage rond, pommettes saillantes, Lili ne fait pas ses 43 ans. Originaire de la rĂ©gion de Dongbei, Ă lâextrĂȘme nord-est de la Chine, arrivĂ©e Ă Paris il y a cinq mois, elle a laissĂ© derriĂšre elle une fille de 18 ans qui Ă©tudie le management Ă lâuniversitĂ©. «âLes Ă©tudes coĂ»tent cher au pays et je veux absolument quâelle ait une vie meilleure que la mienne. Pour ça, elle a besoin dâun diplĂŽmeâ», dit-elle. Son visage sâillumine chaque fois quâelle parle de son enfant. «âJe suis veuve depuis longtemps. Venir travailler ici Ă©tait la seule solution pour quâelle puisse Ă©tudier. Mais je vais rentrer dâici deux, trois ans, aussitĂŽt que ma fille aura terminĂ© sa scolaritĂ©â», assure-t-elle, sans vraiment y croire. Bien entendu, cette derniĂšre nâa aucune idĂ©e de ce que sa mĂšre fait en Europe. «âElle croit que je suis aide domestique.â»
Comme la plupart de ses consĆurs, Lili a dĂ» emprunter. Beaucoup. Il en coĂ»te aujourdâhui jusquâĂ 16 000 euros (22 000 dollars) pour obtenir le visa et payer le billet par lâentremise dâagences de voyage chinoises. DĂšs leur arrivĂ©e en France comme touristes, les femmes se rendent Ă la prĂ©fecture de police pour faire une demande dâasile. Un procĂ©dĂ© bien rodĂ©, que toutes connaissent avant mĂȘme de poser le pied en sol français.
«âJe pense que ça me prendra encore au moins un an pour rembourser ma detteâ», dit Lili, rĂ©signĂ©e et davantage prĂ©occupĂ©e par sa situation Ă©conomique prĂ©caire que par le statut dâillĂ©gale qui sera le sien dans quelques mois. «âJâenvoie de lâargent Ă ma fille, je dois payer la chambre que je loue avec une copine pour recevoir les clients et celle oĂč on dort Ă six. Il ne me reste presque rien pour manger.â»
Mais elle ne se plaint pas. Les hommes en France sont plutĂŽt gentils, mais pauvres, raconte-t-elle. «âOn voit que câest la crise. Il nây a quâau dĂ©but du mois quâon fait un peu dâargent, quand ils reçoivent leur paie.â» Elle affirme ne pas avoir plus de deux clients par jour, pourtant elle passe plus de 12 heures sur le trottoir, sept jours sur sept. De 20 Ă 30 euros la passe, ce nâest pas lâeldorado.
Un filet social troué
La concurrence est Ă©norme. Entre les stations de mĂ©tro Belleville et Colonel Fabien, sur moins dâun kilomĂštre, une bonne centaine de prostituĂ©es, exclusivement chinoises, font le tapin Ă toute heure du jour et de la nuit. Elles baragouinent Ă peine quelques mots de français. «âĂa vaâ? Ăa vaâ?â» lancent-elles aux hommes qui passent. Leur moyenne dâĂągeâ: 45 ans. Plusieurs ont lâair dâavoir dĂ©passĂ© la soixantaine.
«âAvant les restructurations Ă©conomiques survenues il y a 20, 25 ans, ces femmes avaient une bonne situation dans leur paysâ», explique la sociologue Florence LĂ©vy, qui termine une thĂšse de doctorat sur les immigrants chinois en France. Elle a interviewĂ© une vingtaine de travailleuses du sexe, parmi lesquelles des cadres, des infirmiĂšres, des ouvriĂšres spĂ©cialisĂ©es et mĂȘme des mĂ©decinsâ! «âCe sont les oubliĂ©es du miracle Ă©conomique chinois. Elles avaient un certain statut et ce fameux âbol de riz en ferââ», ajoute-t-elle, faisant rĂ©fĂ©rence Ă la sĂ©curitĂ© dont jouissaient il nây a pas si longtemps les employĂ©s en Chine populaireâ: emploi Ă vie, soins de santĂ©, retraite. «âLes entreprises dâĂtat dans lesquelles elles travaillaient ont fait faillite. RĂ©sultatâ: un chĂŽmage de masse, qui a touchĂ© surtout la population fĂ©minine. Elles ont Ă©tĂ© totalement dĂ©classĂ©es. Dâautant plus que, passĂ© la quarantaine, il est presque impossible pour une femme de trouver un emploi en Chine.â»
Xudong en est lâillustration parfaite. Elle dit avoir dĂ©passĂ© la cinquantaine, mais on lui donnerait facilement 60 ans. Son parka orange vif, plutĂŽt sexy, et ses longs cheveux noirs contrastent avec son petit visage sec et ridĂ©.
Technicienne de formation, Xudong Ă©tait lectrice de compteurs dâeau Ă Shenyang â centre de lâindustrie lourde qui a connu de nombreuses fermetures dâusines â, mais lâentreprise qui lâemployait a cessĂ© ses activitĂ©s. Pendant 20 ans, elle a vĂ©cu de petits boulots, vendant des vĂȘtements dans les marchĂ©s. DivorcĂ©e, mĂšre dâun garçon, elle a eu beaucoup de mal Ă joindre les deux bouts. Aujourdâhui, son fils a 32 ans, est lui-mĂȘme pĂšre de famille et, selon la tradition, il devrait prendre soin de sa mĂšre. Mais les temps ont changĂ©. Xudong ne veut pas ĂȘtre un fardeau. Alors, il y a quatre mois, cette grand-mĂšre a dĂ©cidĂ© de venir tenter sa chance sur les trottoirs parisiens. «âJe pourrais ĂȘtre gardienne dâenfants ou domestique, mais je ne parle pas français et je nâai pas de permis. Et les Chinois de Paris ne paient que 800 Ă 900 euros par mois. Ce nâest pas assez pour rembourser mon voyage.â»
Sans sécurité
Xudong dit ne pas trop mal gagner sa vie, mais ne se sent pas en sĂ©curitĂ©. «âNous sommes constamment harcelĂ©es par les genÂdarmes. On nous arrĂȘte, on nous emmĂšne au commissariat. La derniĂšre fois, jâai dĂ» payer 1 000 euros pour quâon me laisse partir.â»
Il nây a pas que la police. Sans papiers et incapables de parler français, elle et les autres sont particuliĂšrement exposĂ©es Ă la violence des clients. Dâautant plus que la trĂšs grande majoritĂ© travaille de façon indĂ©pendante, sans proxĂ©nĂšte ni rĂ©seau. Trois dâentre elles ont Ă©tĂ© assassinĂ©es Ă Paris au cours des derniĂšres annĂ©es. Un homme dâorigine Ă©gyptienne a Ă©tĂ© condamnĂ© en novembre dernier pour lâun des meurtres. Et il y a quelques mois, un Malien a Ă©copĂ© de huit ans de prison pour le viol de prostituĂ©es chinoises.
«âCertains sâimaginent quâelles ne vont jamais porter plainteâ», dit Tim Leceister, responsable du Lotus Bus, un programme de rĂ©duction des risques destinĂ© aux personnes qui se prostituent, mis sur pied il y a 10 ans par MĂ©decins du Monde. Câest grĂące Ă ce soutien que les deux procĂšs ont finalement eu lieu.
Cinq jours par semaine, une camionnette blanche, plutĂŽt discrĂšte, sâinstalle dans un des quartiers oĂč les prostituĂ©es chinoises sont lĂ©gion. Ă son bord, une personne permanente, deux ou trois bĂ©nĂ©voles, dont un mĂ©decin ou une infirmiĂšre. Tous parlent mandarin.
En ce vendredi soir de fĂ©vrier, Ă Belleville, une longue file se forme peu aprĂšs 20âh. MalgrĂ© le froid, en une heure, au moins 150 femmes repartent avec des condoms et du lubrifiant. Presque toutes ont le sourire aux lĂšvres. «âHeureusement quâils sont lĂ â», dit lâune dâelles.
Pour de vĂ©ritables consultations mĂ©dicales, on les dirige vers des cliniques partenaires. Aussi Ă©tonnant que cela puisse paraĂźtre, 80â% de ces femmes ont une couverture mĂ©dicale. Câest encore une fois MĂ©decins du Monde qui les aide Ă sâorienter dans le dĂ©dale de lâadministration française pour obtenir lâaide mĂ©dicale dâĂtat Ă laquelle a droit tout rĂ©sidant en sol français, mĂȘme illĂ©gal.
«âQuand nous avons commencĂ©, nous voyions environ 250 femmes par an, dit Tim Leceister. Aujourdâhui, nous en desservons plus de 1 200. Et toutes les prostituĂ©es chinoises nâont pas recours Ă nos services, loin de lĂ . Il y a toutes celles qui travaillent dans les salons de massage ou sur Internet et quâon ne voit jamais.â»
Les Roses dâacier
Bien que la plupart dâentre elles soient sans papiers, les marchandes dâamour chinoises de Paris ont mis sur pied, en dĂ©cembre dernier, lâassociation Les Roses dâacier. «âLes roses, parce que câest fĂ©minin et lâacier, pour montrer quâon est fortes, quâon ne se laissera pas intimider et agresser.â» La ÂprĂ©sidente, Aying, belle grande brune de «âplus de 50 ansâ», lunettes design et coiffure ÂsoignĂ©e, est fiĂšre dâavoir vaincu sa peur. Sans papiers, elle est tout de mĂȘme allĂ©e enregistrer son association⊠à la prĂ©fecture de Paris. En France, le droit de sâassocier est sacrĂ©, peu importe votre statutâ!
«âLe 17 dĂ©cembre, on a fait notre premiĂšre manif pour souligner la JournĂ©e internationale de lutte contre les violences faites aux travailleuses et travailleurs du sexeâ», dit fiĂšrement cette ancienne ouvriĂšre dâusine et chauffeuse de taxi de la ville de Ningbo, au sud de Shanghai, qui a laissĂ© derriĂšre elle un fils dans la vingtaine. Elle aimerait bien gagner assez pour quâil puisse enfin se marier, car, en Chine, ce nâest possible pour un garçon que sâil a de lâargent.
Aying avoue aimer beaucoup Paris. «âJe voudrais bien rester ici. Pour ça, il faudrait que je trouve un mari. Câest la seule façon pour nous dâobtenir le droit de sĂ©jour. Plusieurs lâont fait, pourquoi pas moiâ?â»
La sociologue Florence LĂ©vy confirme. «âLes seules femmes qui sâen sortent sont celles qui finissent par se marier. Et il y en a, malgrĂ© leur Ăąge. Ăa leur permet de rĂ©gulariser leur statut. Elles peuvent ensuite travailler lĂ©galement.â»
Des centaines de mĂšres et de grands-mĂšres, originaires du pays devenu la premiĂšre puissance Ă©conomique du monde, font aujourdâhui le trottoir Ă Paris et rĂȘvent dâĂ©pousailles⊠Mao Zedong doit se retourner dans sa tombe.
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