De jolies colombiennes partout
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De jolies colombiennes partout
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Luz Marina, 20 ans, dont douze dans la rue, est aujourdâhui couturiĂšre. Elle gagne lâĂ©quivalent de 300 euros par mois.
© DR
Par Maryvonne Ollivry
10/03/2012 Ă 09:18
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La Colombie nâest pas seulement le pays oĂč les Farc font rĂ©gner la terreur, câest lâune des zones oĂč les filles sont le plus outrageusement exploitĂ©es. Pourtant, depuis trente ans, des religieux français, sĆur Esther et les deux frĂšres Jaccard, ont rĂ©ussi petit Ă petit Ă les arracher Ă la prostitution pour leur donner un vrai mĂ©tier. Une prouesse, presque un conte de fĂ©es.
Etonnante Luz Inesâ! Elle aussi, ado, a Ă©tĂ© vendue Ă une Âmaison de passe. Mais, trois enfants plus tard, elle sâest dit quâelle sâen tirerait mieux en devenant... maquerelleâ! «âJâai montĂ© mon Âaffaire avec lâaide dâun type et quinze petiotes entre 8 et 13 ans.â» Luz Ines ose Ă peine lâavouerâ: «âĂa marchait du tonnerreâ!â» De quoi permettre Ă ses enfants de grandir bourgeoisement dans de bonnes institutions. «âQuand on me demandait quel Ă©tait mon mĂ©tier, je rĂ©pondais âfemme dâaffairesâ.â» Un jour, son associĂ© lui Âannonceâ: «âLa derniĂšre que jâai rentrĂ©e, elle a la cote avec les clientsâ; 8 ans, joli minois, du bonusâ! Le truc, câest quâelle ne pense quâĂ se faire la malle. Alors maintenant, entre les passes, je lâattache Ă une chaise. On pourrait aussi la shooter, ça la calmerait, mais les clients nâaiment pas quand elles font que dormirâ». Luz Ines rentre chez elle oĂč lâattend sa plus jeune fille, bientĂŽt 8 ans, qui lui susurre en la serrant dans ses brasâ: «âTu es la plus gentille maman du mondeâ!â» Elle Ă©clate en sanglots. «âJe nâavais pas chialĂ© comme ça depuis mes 17 ans, quand on mâa vendue Ă un bordelâ!â» Les jours suivants, elle croise des religieuses qui viennent parler aux filles. Pleine de colĂšre contre elle-mĂȘme, elle leur avoue qui elle est, ce quâelle fait. Rien, pas de jugement, pas de rĂ©primande. Les religieuses lui disent seulement que, si elle veut, elle peut venir les rejoindre «âmais nous ne pourrons pas te donner ce que tu gagnes, nous sommes pauvresâ». Accueillieâ! «âJe ne vous dis pas ma joie, je nâen pouvais plus des mensonges.â» Elle loue une chambre prĂšs de la communautĂ©, inscrit ses Âenfants dans leur Ă©cole, apprend Ă coudre, Ă broder, et aujourdâhui, Ă 30 ans, dirige son propre atelier. «âJe nâai quâun butâ: aider les filles Ă quitter la prostitution avec autant dâĂ©nergie que jâen ai eue pour les forcer Ă y entrer. Parce quâon peut toutes passer de lâautre cĂŽtĂ© du trottoir.â»
Flash-back. Trottoir de Bogota, printemps 1978. La jupe Ă©limĂ©e et le pull trouĂ© flottent sur son corps de piaf malingre. Lola attend, le visage dĂ©vorĂ© par de grands yeux tristes du mĂȘme noir que sa natte. Elle ne semble pas avoir plus de 10 ans. Que fait-elle, lĂ , seule, contre ce murâ? Pourquoi nâest-elle pas Ă lâĂ©coleâ? Quand lâun des deux messieurs français lui pose la question, elle hausse les Ă©paulesâ: elle nây est jamais allĂ©e. «âFallait que je garde les petits frĂšres.â» Ces messieurs ne ressemblent pas aux autres hommes, ils sont accompagnĂ©s dâune «âhermanaâ» (religieuse). Lola ne retient plus ses larmesâ: «âMaman est morte il y a deux jours. Elle Ă©tait malade, elle crachait du sang...â» Un hoquet plein de sanglots, puisâ: «âElle mâa ditâ: âLola, tâes grande maintenant, si tes petits frĂšres pleurent parce quâils ont faim, va me remplacer tu sais oĂč, devant le bar. Tu feras ce que les hommes te demandent et ils te donneront 2â000 pesos [Ă peine 4 francs de lâĂ©poque].ââ» Raymond regarde son frĂšre Pierre. Tous deux se tournent vers sĆur Esther, consternĂ©s. Brutale mise au parfum. Autour dâeux, ça pue lâesclavage, le viol, le mĂ©pris de qui a la malchance de naĂźtre pauvre et femme. Et ils nâont encore rien vu. A quelques pas sâĂ©tendent les bidonvilles. Des masures, agglomĂ©rats de planches pourries et de tĂŽles ondulĂ©es, des dĂ©chets. Ni eau ni sanitaires. Un soleil de plomb, trois arbres contre lesquels sâappuient des femmes, non, des gamines («âchicasâ»), qui attendent le chaland. Lâune dâelles reconnaĂźt sĆur Esther qui lâembrasse. Aux deux inconnus, elle explique, comme sur la dĂ©fensiveâ: «âJe suis seule avec mon gosse. Faut bien lui donner Ă manger, nonâ? Et puis, je ne sais ni lire ni Ă©crire... Mais si vous me trouvez un vrai travail, je fonceâ!â» La religieuse serre dans ses bras lâadolescenteâ: «âAie confiance, Yolanda, ça va venir, ça va venirâ! Je te le promets. Raymond et âPedroâ vont nous aider.â» Raymond et Pierre «âPedroâ» Jaccard sont prĂȘtres. Mais ils ne voient pas trop ce quâils peuvent leur apporter en cette annĂ©e 1978. Ils ont tellement Ă faire avec leur propre cause. ÂBogota nâest quâune escale sur leur route, ils doivent repartir pour Cayenne, oĂč, Ă la demande de la Fondation Raoul-Follereau, ils vont former des Guyanais Ă la fabrication de prothĂšses pour lĂ©preux. Les Âfameuses «âprothĂšses Jaccardâ» quâils ont Ă©laborĂ©es pendant leurs longues annĂ©es dâapostolat en Afrique et qui leur ont valu la reconnaissance de maintes associations humanitaires et mĂ©dicales, en premier lieu de Handicap International quâils ont ÂinitiĂ© (lire lâencadrĂ©).
Avant de reprendre lâavion, rapide dĂ©jeuner dans la maison des religieuses. Deux «âchicasâ» y ont trouvĂ© refuge. ÂYiseth, Âcheveux frisĂ©s, prunelles de jais, qui se confieâ: «âJâai 15 ans, ça fait trois ans que je suis dans le milieu. Je nâen peux plus. Je me suis Âencore Ă©chappĂ©e de la âcasa de citasâ [maison de passe]. Je ne veux pas y retournerâ!â» Puis, supplianteâ: «âPadre, vous pouvez dire aux sĆurs de me garderâ? Sâil vous plaĂźtâ!â» Sandi, 14 ans, les joues tumĂ©fiĂ©es des coups reçus par sa «âpatronneâ» pour avoir refusĂ© un septiĂšme client cette nuit. Sandi, vendue par un oncle qui lâa livrĂ©e Ă cet abattage quotidien, leur apprend quâelle est «âenceinte de six moisâ». SĆur Esther connaĂźt cette nausĂ©e par cĆur. Comme toutes les religieuses de son ordreâ: les adoratrices. Un nom qui fleure lâeau bĂ©niteâ; ici, elle ruisselle dans les Ă©gouts. ÂFondĂ©e par mĂšre Maria Micaela ÂDesmaissiĂšres y Lopez de ÂDicastillo, une aristocrate espagnole nĂ©e en 1809, leur congrĂ©gation a pour mission de «âlibĂ©rer et promouvoir la femme victime de la prostitution ou de toutes situations la rĂ©duisant en esclavageâ», en la traitant «âavec bienveillance et avec une charitĂ© authentiqueâ». Chaleur, Ă©coute, un repas de temps en temps. Un sparadrap pour venir Ă bout de la lĂšpreâ! Et sâil y en a justement qui peuvent comprendre cette impuissance-lĂ , ce sont bien Pierre et Raymond Jaccard. SĆur Esther, la quinquagĂ©naire dĂ©bordante dâĂ©nergie, aimerait tant faire plus pour ces gamines, ces «âprostituĂ©esâ», un mot qui leur va si mal. Elle rĂȘve. Elle voit loin, prĂȘte Ă faire bouger le monde pour ses «âchicasâ». TouchĂ©s, les deux frĂšres la quittent sur cette promesseâ: «âNous allons vous aiderâ!â»
2012, Yolanda, Lola, Francesca, Lila et tant dâautres cousent dans des ateliers pimpants ou encadrent dâautres «âchicasâ» dans une usine textile performante aux normes internationales. Elles ont un salaire, bĂ©nĂ©ficient de soins, de formation, de diplĂŽmes, dâune coopĂ©rative, leurs enfants font des Ă©tudes, leur passĂ© de «âprostituĂ©esâ» est loin derriĂšre elles. De Bogota Ă Medellin, de Manizales Ă La Virginia, des quartiers entiers ont Ă©tĂ© mĂ©tamorphosĂ©s. RĂ©sultat inouĂŻ de dĂ©cennies de travail et dâacharnement, qui a dĂ©jĂ valu en 1997 Ă sĆur Esther la plus haute distinction du pays, la Cruz de Boyaca, remise par le maire de Bogota, et, en 2003, de chaleureuses fĂ©licitations du prĂ©sident de la RĂ©publique colombienne venu inaugurer lâusine, pour «âle caractĂšre exceptionnel de son Ćuvreâ». La modeste main tendue de ces religieuses sâest transformĂ©e en une incroyable rĂ©ussite industrielle. Les «âpadresâ» Jaccard et sĆur Esther, toujours bon pied bon Ćil Ă 80 ans passĂ©s, avaient vu justeâ: la rue, la violence ne sont pas une fatalitĂ©.
Il nâa pas Ă©tĂ© facile de convaincre leurs soutiens habituels, il y a trente ans. Les gens normaux, leur rĂ©seau dâamis, de bons chrĂ©tiens, souvent avec un cĆur gros comme ça, mais⊠En 1979, quand les frĂšres Jaccard leur parlent de «âprostituĂ©esâ», ils tiquent. Les lĂ©preux, soit, les putes, non. Il faudra le tĂ©moignage dâune ancienne de Pigalle, MichĂšle GuĂ©neguen, sa force de conviction et la leur pour venir Ă bout des rĂ©ticences. Mais, une fois levĂ©es, une incroyable chaĂźne de solidaritĂ© se met en place. Collectes de fonds, de matĂ©riels, bouche-Ă -oreille, va-et-vient constant entre les deux continents. Les frĂšres Jaccard, dĂ©tachĂ©s officiellement par leur Ă©vĂȘque de YaoundĂ© auprĂšs des prostituĂ©es de Colombie, filent Ă la rencontre de la misĂšre sur la frange mĂ©ridionale de Bogota. Ce Sud, pas assez rentable pour les rĂ©seaux mafieux du nord oĂč prolifĂšre le tourisme sexuel et oĂč les frĂšres auraient Ă©tĂ© empĂȘchĂ©s dâagir.
Plus prĂ©cisĂ©ment, le quartier de San Juan JosĂ© Rondon, un enchevĂȘtrement anarchique de cahutes mĂ©talliques dĂ©fiant les lois de lâĂ©quilibre et de lâhygiĂšne. Ils observent, Ă©coutent, dĂ©couvrent ces «âhĂŽtessesâ» de bars de passe Ă peine sorties de lâenfance qui rentrent Ă 2âŻheures du matin, Ă©reintĂ©es, ivres et droguĂ©es. Pour lâĂ©quivalent du prix dâun demi-litre de lait. Quand lâargent nâest pas confisquĂ© par une patronne pour... frais dâhĂ©bergementâ: une paillasse derriĂšre un rideau cradingue. Il y a Lisa, 12 ans, qui, parce quâelle a fui un beau-pĂšre violent, erre, se perd dans la ville et trouve refuge dans une Ă©choppe oĂč «âune dame gentilleâ» lui donne Ă boire. La suiteâ: elle se rĂ©veille dans un Âendroit inconnu, se retrouve attachĂ©e et livrĂ©e aux hommes les uns aprĂšs les autres, poupĂ©e de chiffon frappĂ©e Ă la moindre plainte. Il y a Lucia qui voyait sa mĂšre partir en cachette se prostituer. Une maman de neuf enfants qui rĂȘve de les voir ÂrevĂȘtir lâuniforme de lâĂ©cole. La faim aidant, lâaĂźnĂ©e lâa rejointe, la deuxiĂšme aussi, puis ce fut le tour de Lucia pour nourrir les plus jeunesâ: «âJe mĂ©prise ces hommes qui mâapprochent, crache-t-elle aux frĂšres*. Jâai de la haine en moi.â» Il y a Anna qui, avec la naĂŻvetĂ© de ses 15 ans, a rĂ©pondu Ă une annonce de «ârĂ©ceptionnisteâ» et se retrouve coincĂ©e dans un gourbi, livrĂ©e aux coups et aux assauts bestiaux.
En 1978, Bogota comptait 1,2âŻmillion dâhabitants, Âaujourdâhui, la mĂ©tropole en abriterait plus de 8âŻmillions. Chaque annĂ©e des centaines de milliers dâhommes et femmes supplĂ©mentaires, terrorisĂ©s, chassĂ©s de leurs terres par la guĂ©rilla marxiste des Farc, comme par les milices dâautodĂ©fense des grands propriĂ©taires terriens, sâagglutinent dans des bidonvilles. Et la misĂšre touche en premier les filles, bien sĂ»r. Dans ce pays au machisme viscĂ©ral, les frĂšres dĂ©couvriront que 60â% des jeunes filles Ă qui ils ont affaire ont Ă©tĂ© violĂ©es entre lâĂąge de 2 et 10 ansâ! Par leur pĂšre, grand-pĂšre ou beau-pĂšre, ou par celui Ă qui on les a vendues. Le tourisme sexuel embauche plus que jamais avec une forte demande de fillettes de 6 Ă 12 ans. Surtout depuis que lâEtat a renforcĂ© son contrĂŽle sur le trafic des Ă©meraudes. Vautours de cette dĂ©tresse, maquereaux et maquerelles nâont quâĂ se servir. Au point de laisser parfois les religieuses dĂ©barquer dans leur Ă©tablissement, voile sur la tĂȘte, croix sur le poitrailâ: quâelles en sauvent
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