Dans les mains d'une déesse 1

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Dans les mains d'une déesse 1



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Bienvenue au cœur de nos ouvrages, sur cet espace dédié aux échos entre notre monde et celui des anciens.
Traduction de Paul Mazon ( pour l’édition C.U.F . et Classiques en Poche ). Notes d’Hélène Monsacré (pour l’édition Classiques en Poche )
Chante, déesse 1 , la colère 2 d’Achille, le fils de Pélée; détestable colère, qui aux Achéens valut des souffrances sans nombre et jeta en pâture à Hadès tant d’âmes fières de héros, tandis que de ces héros mêmes elle faisait la proie des chiens et de tous les oiseaux du ciel – pour l’achèvement du dessein de Zeus. Pars du jour où une querelle tout d’abord divisa le fils d’Atrée 3 , protecteur de son peuple, et le divin Achille.
Qui des dieux les mit donc aux prises en telle querelle et bataille ? Le fils de Létô et de Zeus 4 . C’est lui qui, courroucé contre le roi, fit par toute l’armée grandir un mal cruel, dont les hommes allaient mourant; cela, parce que le fils d’Atrée avait fait affront à Chrysès, son prêtre. Chrysès était venu aux fines nefs des Achéens, pour racheter sa fille, porteur d’une immense rançon et tenant en main, sur son bâton d’or, les bandelettes 5 de l’archer Apollon ; et il suppliait tous les Achéens, mais surtout les deux fils d’Atrée, bons rangeurs de guerriers:
« Atrides, et vous aussi, Achéens aux bonnes jambières, puissent les dieux, habitants de l’Olympe, vous donner de détruire la ville de Priam, puis de rentrer sans mal dans vos foyers ! Mais, à moi, puissiez-vous aussi rendre ma fille ! et, pour ce, agréez la rançon que voici, par égard pour le fils de Zeus, pour l’archer Apollon. »
Lors tous les Achéens en rumeur d’acquiescer: qu’on ait respect du prêtre ! que l’on agrée la splendide rançon ! Mais cela n’est point du goût d’Agamemnon, le fils d’Atrée. Brutalement il congédie Chrysès, avec rudesse il ordonne :
« Prends garde, vieux, que je ne te rencontre encore près des nefs creuses, soit à y traîner aujourd’hui, ou à y revenir demain. Ton bâton, la parure même du dieu pourraient alors ne te servir de rien. Celle que tu veux, je ne la rendrai pas. La vieillesse l’atteindra auparavant dans mon palais, en Argos, loin de sa patrie, allant et venant devant le métier et, quand je l’y appelle, accourant à mon lit 6 . Va, et plus ne m’irrite, si tu veux partir sans dommage. »
Il dit, et le vieux, à sa voix, prend peur et obéit. Il s’en va en silence, le long de la grève où bruit la mer, et, quand il est seul, instamment le vieillard implore sire Apollon, fils de Létô aux beaux cheveux:
« Entends-moi, dieu à l’arc d’argent, qui protèges Chrysé et Cilla la divine, et sur Ténédos règnes souverain ! Ô Sminthée 7 , si jamais j’ai élevé pour toi un temple qui t’ait plu, si jamais j’ai pour toi brûlé de gras cuisseaux de taureaux et de chèvres, accomplis mon désir : fassent tes traits payer mes pleurs aux Danaens 8 !»
Il dit : Phœbos Apollon entend sa prière, et il descend des cimes de l’Olympe, le cœur en courroux, ayant à l’épaule, avec l’arc, le carquois aux deux bouts bien clos; et les flèches sonnent sur l’épaule du dieu courroucé, au moment où il s’ébranle et s’en va, pareil à la nuit. Il vient se poster à l’écart des nefs, puis lâche son trait. Un son terrible jaillit de l’arc d’argent. Il s’en prend aux mulets d’abord, ainsi qu’aux chiens rapides. Après quoi, c’est sur les hommes qu’il tire et décoche sa flèche aiguë; et les bûchers funèbres, sans relâche, brûlent par centaines.
Neuf jours durant, les traits du dieu s’envolent ainsi à travers l’armée. Le dixième jour, Achille appelle les gens à l’assemblée 9 . La déesse aux bras blancs, Héré, vient de lui mettre au cœur cette pensée. Elle a souci des Danaens à les voir mourir de la sorte. Lors donc que tous sont là, formés en assemblée, Achille aux pieds rapides se lève et leur dit :
« Fils d’Atrée, j’imagine que nous allons bientôt, rejetés loin du but, retourner sur nos pas – du moins si nous pouvons échapper à la mort : guerre et peste frappant ensemble finiront par avoir raison des Achéens ! Allons, interrogeons un devin ou un prêtre – voire un interprète de songes : le songe aussi est message de Zeus. C’est lui qui nous dira d’où vient ce grand courroux de Phœbos Apollon, s’il se plaint pour un vœu, une hécatombe 10 omise ; et nous verrons alors s’il répond à l’appel du fumet des agneaux et des chèvres sans tache, et s’il veut bien, de nous, écarter le fléau. »
Il dit et se rassied. Et voici que se lève Calchas, fils de Thestor, de beaucoup le meilleur des devins, qui connaît le présent, le futur, le passé, et qui a su conduire les nefs des Achéens jusques à Ilion par l’art divinatoire qu’il doit à Phœbos Apollon. Sagement il prend la pa-role et dit :
« Achille, cher à Zeus, tu veux qu’ici j’explique le courroux d’Apollon, le seigneur Archer : eh bien ! je parlerai. Mais toi, comprends-moi bien, et jure-moi d’abord de m’être un franc appui, en paroles et en actes. Je vais, j’imagine, irriter quelqu’un dont la puissance est grande parmi les Argiens, à qui obéissent tous les Achéens. Un roi a toujours l’avantage, quand il s’en prend à un vilain. Il peut bien pour un jour digérer sa colère : il n’en garde pas moins pour plus tard sa rancune au fond de sa poitrine, jusqu’à l’heure propice à la satisfaire. Vois donc si tu es prêt à garantir ma vie. »
Achille aux pieds rapides alors lui répond :
« Rassure-toi, et, en toute franchise, dis-nous ce que tu sais être l’arrêt des dieux. Non, par Apollon cher à Zeus, à qui, Calchas, va ta prière, lorsque tu veux aux Danaens révéler les arrêts du ciel, non, tant que je vivrai, tant qu’ici-bas j’aurai les yeux ouverts, nul, près de nos nefs creuses, ne portera sur toi sa lourde main, nul entre tous les Danaens, quand tu nommerais même ici Agamemnon, qui aujourd’hui se flatte d’être de beaucoup le premier dans ce camp. »
Le devin sans reproche lors se rassure et dit :
« Ce n’est pas pour un vœu, une hécatombe omise, qu’ici se plaint le dieu. C’est pour son prêtre, à qui Agamemnon a fait affront naguère, en refusant de délivrer sa fille et d’agréer une rançon. Voilà pourquoi l’Archer vous a octroyé des souffrances et vous en octroiera encore. Des Danaens il n’écartera pas le fléau outrageux, avant qu’ils n’aient à son père rendu la vierge aux yeux vifs, sans marché, sans rançon, et mené à Chrysé une sainte hécatombe. Ce jour-là seulement, nous le pourrons apaiser et convaincre. »
Il dit et se rassied. Et voici que se lève le héros, fils d’Atrée, le puissant prince Agamemnon. Il est des plus chagrins ; terriblement ses entrailles se gonflent d’une noire fureur ; ses yeux paraissent un feu étincelant. Et, d’abord, sur Calchas dardant un œil mauvais, il dit :
« Prophète de malheur, jamais tu n’as rien dit qui fût fait pour me plaire. En toute occasion, ton cœur trouve sa joie à prédire le malheur. Mais, de bonheur, jamais tu n’en annonces, jamais tu n’en amènes. Et tu viens en-core aujourd’hui déclarer, au nom des dieux, à la face des Danaens, que, si l’Archer leur cause des souffrances, c’est parce que j’ai, moi, refusé d’agréer la splendide rançon de cette fille, Chryséis. Il est vrai : j’aime mieux, de beaucoup, la garder chez moi. Je la préfère à Clytemnestre même, ma légitime épouse. Non, elle ne lui cède en rien, pour la stature ni le port, pour l’esprit ni pour l’adresse. Et, malgré tout cela, je consens à la rendre, si c’est le bon parti : j’aime mieux voir mon armée saine et sauve que perdue ! Mais alors, sans retard, préparez-moi une autre part d’honneur 11 , pour que je ne sois pas, seul des Argiens, privé de telle part : ce serait malséant. Et – vous le voyez tous – ma part, à moi, s’en va ailleurs. »
Lors le divin Achille aux pieds infatigables dit :
« Illustre fils d’Atrée, pour la cupidité, tu n’as pas ton pareil ! Et comment les Achéens magnanimes pourraient-ils te donner semblable part d’honneur ? Nous n’avons pas, que je sache, de trésor commun en réserve. Tout ce que nous avons tiré du sac des villes a été partagé : sied-il que les gens de nouveau le rapportent à la masse ? Quitte, pour l’instant, cette femme au dieu, et nous, les Achéens, nous te la revaudrons au triple et au quadruple, si Zeus nous donne un jour de ravager Troie aux bonnes murailles. »
Le roi Agamemnon en réponse lui dit :
« Non, non, ne cherche pas, pour brave que tu sois, Achille pareil aux dieux, à me dérober ta pensée : je ne me laisserai surprendre ni séduire. Prétends-tu donc, quand toi, tu garderas ta part, qu’ainsi je me morfonde, moi, privé de la mienne ? et est-ce là pourquoi tu m’invites à rendre celle dont il s’agit? Si les Achéens magnanimes me donnent une part d’honneur en rapport avec mes désirs et égale à ce que je perds, soit ! Mais, s’ils me la refusent, c’est moi qui irai alors prendre la tienne, ou celle d’Ajax, ou celle d’Ulysse – la prendre et l’emmener. Et l’on verra la fureur de celui chez qui j’irai!… Mais à cela nous songerons plus tard. Pour l’instant, allons ! à la mer divine tirons la nef noire ; formons une équipe choisie de rameurs ; puis embarquons une hécatombe ; faisons monter à bord la jolie Chryséis; enfin qu’un chef soit pris parmi ceux qui ont voix au conseil, Ajax, Idoménée, ou le divin Ulysse – ou toi-même, toi, le fils de Pélée, l’homme entre tous terrible, pour accomplir le sacrifice par lequel tu sauras apaiser le Préservateur 12 . »
Achille aux pieds rapides sur lui lève un œil sombre et dit :
« Ah ! cœur vêtu d’effronterie et qui ne sais songer qu’au gain ! Comment veux-tu qu’un Achéen puisse obéir de bon cœur à tes ordres, qu’il doive aller en mission ou marcher à un franc combat ? Car, enfin, ce n’est pas à cause de ces Troyens belliqueux que je suis venu, moi, me battre ici. À moi, ils n’ont rien fait. Jamais ils n’ont ravi mes vaches ou mes cavales ; jamais ils n’ont saccagé les moissons de notre Phthie 13 fertile et nourri-cière: il est entre nous trop de monts ombreux, et la mer sonore ! C’est toi, toi, l’effronté, que nous avons suivi, pour te plaire, pour vous obtenir aux frais des Troyens une récompense, à vous, Ménélas et toi, face de chien ! Et de cela tu n’as cure ni souci ! et tu viens, de ton chef, me menacer maintenant de m’enlever ma part d’honneur, la part que j’ai gagnée au prix de tant de peines et que m’ont octroyée les fils des Achéens ! Jamais pourtant ma part n’est égale à la tienne, lorsque les Achéens ravagent quelque bonne ville troyenne. Dans la bataille bondissante, ce sont mes bras qui font le principal 14 ; mais, vienne le partage, la meilleure part est pour toi. Elle est mince au contraire – et j’y tiens d’autant plus – la part, que, moi, je rapporte à mes nefs, quand j’ai assez peiné à la bataille. Mais, cette fois, je repars pour la Phthie. Mieux vaut cent fois rentrer chez moi avec mes nefs recourbées. Je me vois mal restant ici, humilié 15 , à t’amasser opulence et fortune! »
Agamemnon protecteur de son peuple, répond :
« Eh ! fuis donc, si ton cœur en a telle envie. Ce n’est pas moi qui te supplie de rester ici pour me plaire. J’en ai bien d’autres prêts à me rendre hommage, et, avant tous, le prudent Zeus. Tu es bien pour moi le plus odieux de tous les rois issus de Zeus. Ton plaisir toujours, c’est la querelle, la guerre et les combats. Pourtant, si tu es fort, ce n’est qu’au Ciel que tu le dois… Va-t’en chez toi, avec tes nefs, tes camarades ; va régner sur tes Myrmidons : de toi je n’ai cure et me moque de ta rancune. Entends pourtant ma menace. Si Phœbos Apollon m’enlève Chryséis, je la ferai mener par une nef et des hommes à moi ; mais, à mon tour, en personne, j’irai jusqu’à ta baraque, et j’en emmènerai la jolie Briséis, ta part, à toi, pour que tu saches combien je suis plus fort que toi, et que tout autre à l’avenir hésite à me parler comme on parle à un pair et à s’égaler à moi devant moi.»
Il dit, et le chagrin prend le fils de Pélée, et, dans sa poitrine virile, son cœur balance entre deux desseins. Tirera-t-il le glaive aigu pendu le long de sa cuisse ? du même coup, il fait lever les autres 16 , et lui, il tue l’Atride. Ou calmera-t-il son dépit et domptera-t-il sa colère? Mais, tandis qu’en son âme et son cœur il remue ces pensées et qu’il tire déjà du fourreau sa grande épée, Athéné vient du ciel. C’est Héré qui la dépêche, la déesse aux bras blancs, qui en son cœur les aime et les protège également tous deux. Elle s’arrête derrière le Péléide et lui met la main sur ses blonds cheveux – visible pour lui seul : nul autre ne la voit. Achille est saisi de stupeur ; il se retourne et aussitôt reconnaît Pallas Athéné. Une lueur terrible s’allume dans ses yeux, et, s’adressant à elle, il dit ces mots ailés :
« Que viens-tu faire encore, fille de Zeus qui tient l’égide 17 ? Viens-tu donc voir l’insolence d’Agamem-non, le fils d’Atrée ? Eh bien ! je te le déclare, et c’est là ce qui sera : son arrogance lui coûtera bientôt la vie. »
La déesse aux yeux pers, Athéné, lui répond :
« Je suis venue du ciel pour calmer ta fureur : me veux-tu obéir ? La déesse aux bras blancs, Héré, m’a dépêchée, qui, en son cœur, vous aime et vous protège également tous deux. Allons! clos ce débat, et que ta main ne tire pas l’épée. Contente-toi de mots, et, pour l’humilier, dis-lui ce qui l’attend. Va, je te le déclare, et c’est là ce qui sera : on t’offrira un jour trois fois autant de splendides présents pour prix de cette insolence. Contiens-toi et obéis-nous. »
Achille aux pieds rapides lors lui répond ainsi :
« Un ordre de vous deux, déesse, est de ceux qu’on observe. Quelque courroux que je garde en mon cœur, c’est là de bon parti. Qui obéit aux dieux, des dieux est écouté. »
Il dit, et, sur la poignée d’argent, il retient sa lourde main, puis repousse la grande épée dans son fourreau, docile à la voix d’Athéné, tandis que la déesse s’en va vers l’Olympe et vers le palais de Zeus porte-égide retrouver les autres dieux.
Cependant, le fils de Pélée de nouveau, en mots insultants, interpelle le fils d’Atrée et laisse aller sa co-lère :
« Sac à vin ! œil de chien et cœur de cerf 18 ! Jamais tu n’as eu le courage de t’armer pour la guerre avec tes gens, ni de partir pour un aguet avec l’élite achéenne : tout cela te semble la mort ! Certes il est plus avantageux, sans s’éloigner du vaste camp des Achéens, d’arracher les présents qua reçus à quiconque te parle en face. Ah ! le beau roi, dévoreur de son peuple ! il faut qu’il commande à des gens de rien : sans quoi, fils d’Atrée, tu aurais aujourd’hui lancé ton dernier outrage. Eh bien ! je te le déclare, et j’en jure un grand serment. – Ce bâton m’en soit témoin, qui jamais plus ne poussera ni de feuilles ni de rameaux, et, maintenant qu’il a quitté l’arbre où il fut coupé dans la montagne, jamais plus ne refleurira ! Le bronze en a rasé le feuillage et l’écorce, et le voici maintenant entre les mains des fils des Achéens qui rendent la justice et, au nom de Zeus, maintiennent le droit 19 . Ce sera là pour toi le plus sûr des serments. – Un jour viendra où tous les fils des Achéens sentiront en eux le regret d’Achille ; de ce moment-là, malgré ton déplaisir, tu ne pourras plus leur être en rien utile, quand, par centaines, ils tomberont mourants sous les coups d’Hector meurtrier. Alors, au fond de toi, tu te déchireras le cœur, dans ton dépit d’avoir refusé tout égard au plus brave des Achéens. »
Ainsi dit le fils de Pélée et, jetant à terre le bâton percé de clous d’or, il s’assied. De son côté, l’Atride est rempli de colère. Mais voici que Nestor se lève, Nestor au doux langage, l’orateur sonore de Pylos. De sa bouche ses accents coulent plus doux que le miel. Il a déjà vu passer deux générations de mortels 20 , qui jadis, avec lui, sont nées et ont grandi dans Pylos la divine, et il règne sur la troisième. Sagement il prend la parole et dit :
« Las ! le grand deuil qui vient à la terre achéenne ! Quel plaisir pour Priam et les fils de Priam ! et quelle joie au cœur pour les autres Troyens, s’ils savaient tout ce qui en est de cette lutte entre vous, vous, les premiers des Danaens au Conseil comme à la bataille ! Allons ! écoutez-moi tous deux : aussi bien suis-je votre aîné. J’ai déjà été, moi, le compagnon d’hommes plus braves encore que nous, et jamais ils ne firent fi de moi. Pourtant, je n’ai pas vu encore – et jamais je ne verrai – d’hommes tels que Pirithoos, ou Dryas le pasteur d’hommes – Cénée, Exadios, le divin Polyphème 21 –, ou Thésée 22 , fils d’Égée, semblable aux Immortels ! C’étaient des hommes forts, entre tous ceux qui ont grandi sur cette terre, et, forts entre tous, ils luttaient contre adversaires forts entre tous, les Monstres de la montagne 23 – et ils en firent un horrible massacre. Pour les rejoindre, j’avais quitté Pylos, là-bas, terre lointaine. Ils m’avaient appelé, et je me battais pour mon compte. Ah ! contre ceux-là nul aujourd’hui ne pourrait plus lutter des mortels d’ici-bas. Eh bien ! ces hommes-là méditaient mes avis et écoutaient ma voix. Allons ! écoutez-la aussi : qui l’écoute prend le bon parti. Pour brave que tu sois, renonce donc, toi, à lui prendre la fille. Quitte-la-lui, comme la part d’honneur que lui ont tout d’emblée donnée les fils des Achéens. Et toi, fils de Pélée, ne t’obstine donc pas à quereller un roi en face : l’honneur n’est pas égal, que possède un roi porte-sceptre, à qui Zeus a donné la gloire. Tu es fort, une déesse fut ta mère; mais il est, lui, plus encore, puisqu’il commande à plus d’hommes. Toi, fils d’Atrée, arrête ta fureur ; c’est moi qui t’en supplie, relâche ton courroux, aie égard à Achille: les Achéens n’ont pas de plus ferme rempart contre la guerre cruelle. »
Le roi Agamemnon lors lui répond ainsi :
« Tout ce que tu dis là, vieillard, est fort bien dit. Mais cet homme prétend être au-dessus de tous, de tous être le maître, de tous être le roi, à tous donner des ordres : je crois savoir quelqu’un qui n’obéira pas. Si les dieux toujours vivants ont fait de lui un guerrier, lui donnent-ils donc mission pour cela de ne s’exprimer qu’en injures ? »
Et le divin Achille brusquement lui réplique :
« On me dirait vraiment lâche et homme de rien, si je t’allais céder en tout au premier mot. Commande ainsi à d’autres, et ne viens pas me donner d’ordres, à moi : car je crois que, de ce jour, je ne t’obéirai plus. Mais j’ai encore quelque chose à te dire : mets-le-toi bien en tête. Pour la fille, mes bras ne se battront pas, ni contre toi ni contre un autre: vous me l’aviez donnée, vous me la reprenez… Mais, de tout le reste de ce que j’ai à moi, près de ma rapide nef noire, tu
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