Dana soumet Riley
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Dana soumet Riley
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What definition of biographies has to be adopted to restore the « interstitial construction » of anthropological knowledge through a scholarâs existential trajectory ? By suspending any normative definition of what (since Malinowski) has been called « experience in the field », we can detect in De Martinoâs many activities prior to his ethnological expeditions to southern Italy â till now omitted from the history of the discipline or qualified as « armchair anthropology » â experiences that shaped his life and thought. They constitute the conditions for the possibility of a refoundation of the discipline in close relation with the post-WW II political, cultural movement of neorealism.
Content uploaded by Giordana Charuty
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Le mom ent nĂ©o rĂ©aliste de lâant hropolo gie
The Neorealistic Moment in De Martinoâs Anthropology
URL : http:/ /lhomme.revues.org/22514
Date de publication : 10 novembre 2010
Giordana Charuty, « Le moment nĂ©orĂ©aliste de lâanthropologie dĂ©martinienne », LâHomme [En ligne],
195-196 | 2010, mis en ligne le 04 novembre 2012, consulté le 06 janvier 2017. URL : http:/ /
lhomme.revues.org/22514 ; DOI : 10.4000/lhomme.22514
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
© Ăcole des hautes Ă©tudes en sciences sociales
comme problÚme anthropologique » :
cette formule, empruntée à Alfred I. Hallowell, définissait pour George
W . Stocking les objectifs dâun programme de recherche novateur visant Ă
explorer , de lâintĂ©rieur , chaque moment dâĂ©mergence ou de reconfigura-
tion, au sein du monde occidental, dâun savoir systĂ©matique de « lâunitĂ© de
lâhomme dans la diversitĂ© » (S tocking 1983). T out en partageant des prin-
cipes adoptĂ©s, au mĂȘme moment, par lâhistoire sociale des sciences et des
techniques, les Ă©tudes qui ont, alors, interrogĂ© lâĂ©mergence de la notion
moderne de terrain ethnographique, comme marqueur distinctif de la
discipline, ont privilégié le récit biographique fragmentaire pour faire
apparaĂźtre, dans le prisme dâune vie, lâinquiĂ©tude interprĂ©tative suscitĂ©e
par des expĂ©riences inĂ©dites de dĂ©paysement. Câest, par exemple, la longue
lettre-journal Ă©crite, entre 1883 et 1884, par le jeune Franz Boas Ă sa
fiancĂ©e qui documente, mieux que dâautres Ă©crits professionnels, les
dimensions imaginaires de sa premiĂšre rencontre avec les populations inuit
de lâĂźle de Baffin (Cole 1983). Ou bien, ce sont les conditions de vie
domestique chez les Zunis qui éclairent certaines modalités du passage de
Franz Cushing Ă un nouveau style ethnographique (H insley 1983).
Comme dans les autres sciences, les vies de fondateurs dâun moment et
dâun style â T ylor, F razer , Durkheim, Malinowski, Mauss, Leenhar dt â
ont, par ailleurs, fait lâobjet dâamples restitutions, fondĂ©es sur lâentre-
croisement de diverses catĂ©gories dâarchives. Elles furent dâabord le fait
de chercheurs anglo-saxons et nord-amĂ©ricains qui n âont pas hĂ©sitĂ© Ă
considérer des auteurs vivants, par exemple Mary Douglas, tandis que des
demandes Ă©ditoriales ou des intĂ©rĂȘts plus Ă©loignĂ©s de lâhistoire disciplinaire
ont conduit, en France, des universitaires et des journalistes Ă composer les
vies de Michel Leiris, Germaine T illion ou Claude LĂ©vi-Strauss 1 . Les plus
anciennes de ces biographies Ă©rudites conservent le modĂšle, longtemps en
usage dans les Ă©tudes littĂ©raires, de « la vie et lâĆuvr e » pour mettre lâaccent
sur lâexposĂ© chronologique de la production intellectuelle dâun savant. Les
plus rĂ©centes sâefforcent de « penser lâĆuvre dans son contexte » pour
éviter la surconsécration héroïque toujours susceptible de faire retour dans
une entreprise de narration totalisante sans, cependant, aller au-delĂ dâune
caractérisation extérieure des espaces savants pensés comme largement
dominés par la rationalité pratique et par une conception volontariste de
lâactivitĂ© scientifique (Fournier 1994, 2007). En revanche, la nouvelle
attention portée par les anthropologues aux archives de leurs prédécesseurs
les conduit Ă emprunter, Ă leur tour , la voix biographique pour repenser les
continuités et les ruptures qui sous-tendent les moments de reconfigura-
tion des savoirs et de redĂ©finition des Ă©lites culturelles 2 . Sâagissant de
figures fondatrices comme Paul Rivet, ces études décrivent des itinéraires
au sein dâespaces sociaux fragmentĂ©s oĂč la construction, scientifique et
institutionnelle, dâune nouvelle discipline compose avec des expĂ©riences
existentielles, des convictions éthiques, des affinités personnelles, des enga-
gements politiques (LauriĂšre 2008). Ou bien, sâagissant de retracer la
genĂšse française dâun domaine rĂ©gional, elles considĂšrent avec la mĂȘme
attention des figures oubliées et de grands administrateurs ethnographes 3 .
1. Michael W . Young (2004) qualifie de « littĂ©raire » â et non dâintellectuelle â sa biographie de
Malinowski. T out en cherchant dans lâĂ©ducation catholique de Mary Douglas lâexpĂ©rience vĂ©cue de
la prĂ©gnance des institutions sociales, la biographie que lui consacre lâanthropologue africaniste
Richard Fardon (1999) est, essentiellement, une lectur e de son Ćuvre. Directeur du DĂ©partement
de sociologie de lâUniversitĂ© de MontrĂ©al, Michel F ournier est lâauteur de deux biographies : Marcel
Mauss (1994) et Durkheim (2007). On doit Ă James Clifford (1987) une biographie pionniĂšre de
Maurice Leenhardt qui restitue la complexitĂ© historique dâune quĂȘte spirituelle et dâune pratique
scientifique originale, dans un contexte de lutte coloniale.
2. Sâagissant dâauteurs majeurs dont lâĆuvre a dĂ©jĂ fait lâobjet de multiples commentaires
â Durkheim, W eber, F oucault â, lâhistorien de la sociologie ArpĂĄd Szakolczai sâemploie Ă recons-
truire des « expĂ©riences fondatrices » : celles en lesquelles sâenracinent sur le plan existentiel, comme
leur condition de possibilité, les idées théoriques qui, ultérieurement, marqueront une rupture
conceptuelle majeure. Pour cela, il est plus utile de considérer des textes mineurs, en marge des
sources scientifiques (autobiographie, journal personnel, correspondance), et de sâattacher Ă des
détails biographiques, à premiÚre vue minuscules, mais dont seule la contextualisation historique
permet de qualifier leur valeur dĂ©cisive. Le plus souvent, ajoute lâauteur, il s âagit de moments de
dissolution dâun ordre sociopolitique qui rendent problĂ©matiques les prĂ©supposĂ©s implicites de nos
maniĂšres de penser et dâagir, et exigent, par lĂ mĂȘme, un intense travail rĂ©flexif dont la thĂ©orisation
ultĂ©rieure gardera lâempreinte : en somme, dirions-nous, l âĂ©quivalent de lâexpĂ©rience de terrain pour
lâethnologue (Szakolczai 1995). Reprenant cette proposition fondĂ©e sur la notion dâ« Ćuvre de
vie », à propos de Robert Hertz, A. T ristan Riley (2001) montre la richesse de la correspondance
privĂ©e pour restituer, dans la nouvelle figure d âintellectuel issue de la crise des Ă©lites culturelles
de la fin du XIX e siĂšcle, lâĂ©troite interaction entre programme scientifique, activitĂ© politique et
préoccupations morales ou religieuses.
3. Câest le cas dâHenri Duveyrier pour les Ă©tudes touarĂšgues (Casajus 2007) et de Maurice
Delafosse pour lâafricanisme (Amselle & Sibeud 1998).
Aussi bien introduisent-elles de nouvelles questions : reconstituer la
trajectoire intellectuelle dâun savant transforme-t-il le chercheur en simple
historien ? Et, si lâon rĂ©pond par la nĂ©gative, quelle dĂ©finition du bio-
graphique faut-il adopter, quel genr e dâethnographie faut-il pratiquer pour
que celle-ci prenne place dans une anthropologie des savoirs ? Soit une
rĂ©cente recherche qui entendait dĂ©velopper les virtualitĂ©s dâune narration
biographique pour Ă©clairer la genĂšse dâune Ćuvre Ă premiĂšre vue bien
connue, celle de lâanthropologue italien Ernesto De Martino (Charuty
2009). Elle conduit, de fait, à repenser la spécificité de la voie italienne de
refondation de la discipline, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Ernesto De Martino (1908-1965) a dispersé, dans ses écrits, des
fragments de rĂ©cits autobiographiques ; il n âa cessĂ© de mĂ©diter sur sa trajec-
toire personnelle et, depuis quinze ans, son Ćuvre publiĂ©e et ses archives
sont au centre dâune multiplicitĂ© dâentreprises, scientifiques et culturelles,
qui transforment le statut de cet auteur. La fabrique d âun « nĂ©otarentisme »
fait de son Ćuvre ethnologique un bien culturel pour convertir lâancienne
« terre du remords » â le Salento â en « terre de la mĂ©moire » Ă des fins
dâĂ©conomie touristique et de reconfiguration des identitĂ©s rĂ©gionales. Dans
le mĂȘme temps, philosophes, anthropologues, historiens des religions,
mĂ©decins relisent, chacun pour soi, une Ćuvre dont lâunitĂ© est, elle-mĂȘme,
problématique. Au milieu des années 1970, les chercheurs italiens inscri-
vaient De Martino dans lâhistoire nationale de lâanthropologie Ă travers des
débats sur la culture populaire, analogues à ceux des années 1950 sur les
risques de populisme inhérents à la reconstruction démocratique de la
nation. Dix ans plus tard, une approche plus distanciée a produit les
premiÚres études sur les conceptualisations empruntées à la philosophie,
Ă lâhistoire religieuse, Ă la mĂ©decine, tandis que le classement des archives
a conduit Ă publier une partie des carnets dâenquĂȘte, Ă rĂ©tablir des respon-
sabilitĂ©s Ă©ditoriales, Ă documenter des liens de parentĂ©, de travail et dâamitiĂ©
avec des figures controversées de la vie savante ou politique.
Outre lâactualisation de lâĆuvre au moyen de nouvelles prĂ©faces, ce
travail critique permet de reconnaĂźtre lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des champs dâacti-
vité et la pluralité des liens intellectuels qui dessinent les espaces sociaux
dâune trajectoire individuelle. Mais il ne libĂšre pas le chercheur des
attentes sociales et des jeux subtils de pouvoir qui tendent Ă lâimmobiliser
dans le rĂŽle de scribe â tour Ă tour autorisĂ© ou rĂ©cusĂ© â dâun rĂ©cit collectif,
en concurrence avec dâautres rĂ©cits collectifs, pour construire une figure
dâexemplaritĂ©. Conserver une position dâethnographe, Ă travers lâimmer sion
dans une fonction sociale de « biographe », requiert de suspendre la
naturalité des modÚles biographiques qui sous-tendent ces récits et, plus
encore, lâĂ©vidence de formulations qui renvoient Ă un sens commun
Le moment nĂ©orĂ©aliste de lâanthropologie dĂ©martinienne
historiographique ou au savoir propre Ă chaque cercle. Somme toute, il
sâagit de se soustraire au sens que les uns et les autres vous commandent
dâentendre. DĂ©faire le statut et la hiĂ©rarchie des documents pour explorer ,
de lâintĂ©rieur , des faisceaux de relations, pour relier entre elles des expĂ©-
riences éclatées entre des lieux et des figures à premiÚre vue sans commune
mesure, a rĂ©vĂ©lĂ© la complexitĂ©, troublante Ă plus dâun titre â et lâactualitĂ©
inattendue des questions posĂ©es par son interprĂ©tation â, du parcours qui
prĂ©cĂšde la part la mieux connue en France dâune Ćuvre inachevĂ©e : la
trilogie mĂ©ridionale, publiĂ©e entre 1958 et 1961, qui demande Ă lâethno-
graphie dâune altĂ©ritĂ© chez soi â le catholicisme du Sud â de vĂ©rifier
quelques grandes hypothÚses sur la singularité du christianisme dans
En effet, lâanalyse des traitements rituels des principaux risques de
dissolution de la personne n âest que le second moment dâun travail
dâhybridation disciplinaire et de reformulation conceptuelle, commencĂ©
au milieu des années 1930, pour retourner sur nos propres sociétés un
questionnement qui suscite, Ă chaque pas, une interrogation parallĂšle sur
lâidentitĂ© scientifique du chercheur . Soit lâintroduction Ă La T erre du
remords , lâĆuvre pourtant la plus achevĂ©e : tout en faisant siennes les
perplexités lévi-straussiennes exprimées dans T ristes Tropiques , tout en
usant de formulations proches de celles proposées dans le premier chapitre
dâ Anthropologie structurale , De Martino se prĂ©sente tantĂŽt comme un
« ethnographe moderne », tantĂŽt comme un historien qui recourrait Ă
lâenquĂȘte ethnographique comme une modalitĂ©, parmi dâautres, de
production de documents. Mais, les historiens de lâĂ©cole des Annales
â Marc Bloch, Lucien Febvr e â auxquels il se rĂ©fĂšre sont exactement ceux
qui, pour LĂ©vi-Strauss, partagent avec les ethnologues une mĂȘme atten-
tion aux dimensions inconscientes de la vie sociale. Et, plus qu âaucun
autre chercheur italien, De Martino a longuement réfléchi sur les condi-
tions singuliĂšres du travail ethnographique par rapport Ă toute autre forme
de documentation historique. De la mĂȘme façon, La Fine del mondo ,
lâĆuvre fragmentaire Ă©ditĂ©e Ă titre posthume, est traversĂ©e par une hĂ©sitation
sur le champ disciplinaire auquel rattacher lâimmense entreprise de penser
ensemble trois catĂ©gories et trois moments de lâexpĂ©rience apocalyptique :
elle est rĂ©solue en sâaffirmant comme une « ethnologie rĂ©formĂ©e » en
laquelle on peut reconnaĂźtre, aujourdâhui, une anthropologie de lâhistoir e
CommencĂ© dĂšs la fin dâĂ©tudes de philosophie, ce travail dâhybridation
conceptuelle a, certes, pu sâinscrire dans le cadre universitaire d âune « Ăcole
de perfectionnement en sciences ethnologiques », rattachée à la chaire
romaine dâhistoire des religions, discipline centrale dans le projet compa-
ratiste de Raffaelle Pettazzoni. M ais, il a pris la forme dâun singulier
parcours dâapprentissage qui transforme en « expĂ©rience de terrain » des
crises existentielles, des engagements et des croyances politiques, et qui
prend pour guides dâune formation en autodidacte Ă lâethnologie une
succession dâinitiateurs, largement illĂ©gitimes du point de vue acadĂ©mique.
Restituer cette conversion ethnographique dâune vie requiert de mettre Ă
distance les narrations biographiques dont De Martino a ponctué son
Ćuvre scientifique, pour en questionner les silences en pratiquant, soi-
mĂȘme, une ethnographie dans les archives. Cela consiste, notamment, Ă
lire les diverses correspondances, inédites ou trÚs partiellement publiées,
non pour recomposer des influences intellectuelles entre maĂźtres et
disciples, mais pour décrire les espaces relationnels spécifiquement
construits par un genre dâĂ©criture qui participe pleinement Ă la construction
de soi des lettrés de ce temps. Au biographe qui suspend, provisoirement,
les classements savants entre correspondances privées et scientifiques, entre
genres dâĂ©criture intime ou fictionnelle, parviennent alors les Ă©chos dâun
étrange lexique familial, au sens précis que Natalia Ginzburg (1963) a
donnĂ© Ă ce terme. Comme toute langue tombĂ©e dans lâoubli, cet idiome
poursuit dans la vie du chercheur un destin complexe oĂč se nouent, prĂ©ci-
sément, quelques-unes des expériences qui feront de lui un ethnographe.
De la mĂȘme façon, accorder une Ă©gale attention aux notes de lecture,
aux formes initiales de vastes programmes qui seront ensuite remaniés et
aux enquĂȘtes qui tournent court, permet dâidentifier la valeur dâexpĂ©rience
de terrain que peut acquérir, sous certaines conditions, la constitution de
corpus documentaires. Enfin, certains moments de cette Ćuvre-vie
appellent, plus que dâautres, Ă dĂ©faire provisoirement la hiĂ©rarchie entr e
registres dâĂ©criture et lieux de publication : ainsi des trĂšs nombreux articles
parus entre la fin des années 1940 et la premiÚre moitié des années 1950,
quâil s âagisse des « notes de terrain » publiĂ©es dans les grandes revues
culturelles ou de lâĂ©criture journalistique dans la presse des partis de
gauche. Initialement convaincu de la portĂ©e subversive de lâhistoire des
religions, le chercheur sâemploie Ă transfĂ©rer cette valeur , dans lâaprĂšs-
guerre, Ă une singuliĂšre entreprise de connaissance qui suspend, Ă
nouveau, toutes les distinctions normatives entre militantisme politico-
culturel et travail scientifique. Il faut donc se résoudre à « oublier »
temporairement la grande trilogie méridionale pour décrire, dans leur
positivitĂ©, la dynamique concrĂšte des pratiques dâenquĂȘte empirique, les
postures dâĂ©nonciation qu âelles favorisent, les formes du rĂ©cit de soi qui les
accompagnent, les formes de restitution quâinvente, pas Ă pas, De M artino.
Le moment nĂ©orĂ©aliste de lâanthropologie dĂ©martinienne
DĂšs lors quâon s âattache Ă rĂ©tablir ces continuitĂ©s souterraines,
apparaissent des coïncidences et des affinités thématiques évidentes entre
les problÚmes méthodologiques du savoir qui a pour objet la « cultur e » et
lâensemble dâidĂ©es et de langages que lâhistorien de la littĂ©rature Alberto
Asor Rosa a appelé le « néoréalisme mouvement » : expression calquée sur
une autre, le « fascisme mouvement », introduite par lâhistorien Renzo
De Felice pour distinguer , Ă lâintĂ©rieur du rĂ©gime mussolinien, une mobi-
lisation politico-culturelle animĂ©e dâintentions critiques et progressistes 4 .
Parler de « mouvement » signifie, pour lâhistorien de la littĂ©rature, ne pas
rĂ©duire lâexpressivitĂ© nĂ©orĂ©aliste Ă un strict moment chronologique, mais
reconnaßtre la similitude des choix culturels qui ont orienté une pluralité
de langages, avant et aprÚs les années néoréalistes au sens strict (les années
1945-1950 pour le cinéma). De fait, passées les querelles des années 1950
sur le rĂ©alisme dans lâart, oubliĂ©s les violents dĂ©bats des annĂ©es 1970 sur les
illusions populistes, lâhistoire culturelle italienne, puis française, s âest
employée à identifier les éléments communs aux deux principales formes
expressives dont lâexplosion, dans lâimmĂ©diat aprĂšs-guerre, fut vĂ©cue
comme une nécessité existentielle par tous les créateurs qui entendaient
actualiser ce nouveau pacte rĂ©aliste quâI talo Calvino a justement dĂ©fini
comme « le plus distant possible du naturalisme » (1967 [1947] : 9) 5 .
Il suffit, ici, de rappeler briĂšvement les traits communs Ă cet intense besoin
de « s âexprimer » oĂč le monde entier devait se r econnaĂźtre dans la moindre
narration locale : Ă©riger en nouveau public des groupes sociaux jusque-lĂ
exclus, penser lâĆuvre dâart en soi comme un fait politique, redĂ©couvrir
lâindividu concret Ă travers le triomphe du narratif, documenter une rĂ©alitĂ©
mineure â la vie quotidienne de microcosmes sociaux â en recourant
au rĂ©cit dâhistoires individuelles et de cas singuliers ; enfin, sâagissant de la
4. Aujourdâhui reconnu comme un grand historien du fascisme, Renzo De F elice est lâauteur dâune
monumentale biographie de Mussolini dont les premiers volumes ont suscité, en Italie, de violentes
polémiques. La plus importante a éclaté, en 1975, à propos de la distinction proposée entre
fascisme-« mouvement » et fascisme-« régime », pour rendre compte de la mobilisation des classes
moyennes Ă©mergentes : voir lâintroduction dâEmilio Gentile Ă lâĂ©dition française dâun r ecueil
dâarticles de lâauteur (De Felice 2000). Alberto Asor Rosa a dĂ©veloppĂ© ses thĂšses sur le triomphe du
narratif dans le nĂ©orĂ©alisme-« mouvement » Ă lâoccasion du colloque « CinĂ©ma et littĂ©rature en
Italie, 1943-1953 », organisé à Vérone en 1981. On se reportera, également, aux contributions de
Giorgio T inazzi et de Marina Zancan dans Cinema e letteratura nel neor ealismo (1990), ainsi quâaux
études rassemblées par Michel Cassac (2
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