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Écrit par 
Valérie Josselin













Publié le 7/05/2021 à 16h10, mis à jour le 9/09/2021 à 14h07





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On ne guĂ©rit pas de l’inceste, mais on peut apprendre Ă  vivre avec, et trouver un Ă©quilibre. Isabelle raconte comment elle s’est battue pour cesser d’ĂȘtre la victime de son pĂšre

Isabelle Aubry, 56 ans, prĂ©sidente de l’association "Face Ă  l’inceste"*
Dans “La premiĂšre fois, j’avais 6 ans” (XO Document), Isabelle raconte le calvaire de son enfance et sa lente reconstruction. Aujourd’hui mariĂ©e et mĂšre d’un fils de 32 ans, cette militante engagĂ©e mĂšne un combat courageux contre la loi du silence qui entoure ce tabou remettant en cause le caractĂšre sacrĂ© de l’institution Famille. Selon un sondage Ipsos rĂ©alisĂ© en novembre 2020 par son association, un Français sur dix serait victime d’inceste, et plus d’un tiers connaissent au moins un proche qui l’a Ă©tĂ©.
Isabelle Aubry est une survivante de l’ inceste . DĂšs l’ñge de 6 ans, la petite fille devient l’objet sexuel de son pĂšre, “sa poupĂ©e docile et silencieuse”, jusqu’à ce qu’elle trouve un jour, Ă  9 ans, la force de dire non Ă  cet homme violent et manipulateur. Un rĂ©pit de courte durĂ©e, puisque deux ans et demi plus tard, Renaud Aubry rĂ©cupĂšre la garde de sa fille. De 12 Ă  14 ans, Isabelle dormira dans son lit et sera “consommĂ©e” et "Ă©changĂ©e" contre d’autres femmes...
"Un enfant n’est jamais consentant. Il subit un mĂ©canisme d’emprise qui se met en place lentement et insidieusement. Non dĂ©sirĂ©e, j’ai grandi dans une ambiance insĂ©cure et incestuelle, sans repĂšres ni limites. Je pouvais quitter l’école du jour au lendemain et dĂ©mĂ©nager dans la nuit. A la maison, les portes restaient constamment ouvertes : mes parents exhibaient leur intimitĂ© , pour eux, j’étais Ă  la fois prĂ©sente et invisible. Ce que je vivais me semblait normal, juste “un peu bohĂšme” au regard des familles de mes copines. Dans l’inceste, le rĂŽle de la mĂšre est essentiel. Seul mon pĂšre me donnait de “l’affection” et s’intĂ©ressait Ă  moi : “Tu es ma fille, tu es mon sang, tu es tout pour moi .” Il me chantait des chansons, me racontait des histoires, m'apprenait les Ă©checs. Il voulait que je sois la premiĂšre de la classe. J’étais son prolongement narcissique . Pas question de lui dĂ©sobĂ©ir. Il Ă©tait ceinture noire de judo et prompt Ă  la bagarre. J’avais raison d’avoir peur de lui. Un jour, il a menacĂ© ma mĂšre avec un fusil

J’ai prĂ©cocement intĂ©grĂ© que ce “jeu” vicieux n'appartenait qu’à nous : “ Pas un mot, tu entends ? Les autres ne comprendraient pas .” Au collĂšge, j’avais bien tentĂ© de me confier Ă  ma meilleure amie, mais elle n’a pas rĂ©agi. Il y avait aussi Françoise, ma voisine trentenaire, douce, chaleureuse, chez laquelle je me rĂ©fugiais rĂ©guliĂšrement, et qui se mĂ©fiait de mon pĂšre, mais j’étais persuadĂ©e qu’elle ne pourrait pas me protĂ©ger. Un mot et mon pĂšre allait me tuer, c’était Ă©vident ! Une fois adulte, j’ai compris que je me taisais aussi parce que j’avais l’impression confuse de mĂ©riter ce qui m’arrivait. Que mon pĂšre m’aime trop et mal Ă©tait forcĂ©ment de ma faute... Mes vrais moments de rĂ©pit, je les avais en classe, pendant mes entraĂźnements de gymnastique, qui Ă©tait devenue une passion, et avec mes copines. Je scindais ma vie en deux : Ă  la maison, j’étais devenue la femme de mon pĂšre, mais aussi sa femme de mĂ©nage, sa cuisiniĂšre ; Ă  l’extĂ©rieur, une adolescente qui cherche Ă  oublier
 Se suicider ou coller l’inceste sous le tapis : l’enfant violĂ© n’a pas d’autre alternative. J’ai eu beau multiplier les signaux de dĂ©tresse (vols, tabagisme , bagarres, fugue, scarification , travestissement, pipi au lit, rĂ©sultats scolaires en chute libre), ma souffrance passait inaperçue. Etais-je condamnĂ©e Ă  continuer Ă  vivre quotidiennement sous le mĂȘme toit que mon violeur ?
Un jour, heureusement, Françoise a compris l’impensable. Le jour oĂč elle a parlĂ©, elle a changĂ© ma vie pour toujours. J’avais 14 ans. C’était vital mais au trauma de l’inceste s’est ajoutĂ© un autre type de maltraitance : institutionnelle puis familiale. Interrogatoires infinis, dĂ©tails des “partouzes”, photos en pied avec l’ardoise, expertises gynĂ©cologiques, mises en doutes continuelles ( “Isabelle, aimiez-vous votre pĂšre ? ”) : Ă  moi de prouver, malgrĂ© les aveux de mon pĂšre et des preuves irrĂ©futables, que j'Ă©tais bien la victime. Dans le Code pĂ©nal, un viol est un acte sexuel commis “avec violence, menaces, contrainte ou surprise”. Or rien de tout cela n’apparaissait dans mon dossier. J’étais donc forcĂ©ment consentante ! Mon pĂšre a Ă©tĂ© condamnĂ© en correctionnelle Ă  seulement six ans de prison pour “attentat Ă  la pudeur”. GrĂące Ă  sa “bonne conduite”, il est sorti au bout de quatre ans, diplĂŽmĂ© et mariĂ©, et par un savant tour de passe-passe, n’a jamais payĂ© les dommages et intĂ©rĂȘts, pourtant dĂ©risoires. Mon pĂšre a refusĂ©, jusqu’à sa mort, en 2004, de payer le prix de sa culpabilitĂ©. Le respect de la loi, ce dernier repĂšre stable sur lequel je pouvais me construire, s’écroulait. DĂ©noncer l’inceste, c’est aussi prendre le risque de se voir rejetĂ©e par sa famille, sur laquelle l’enfant porte l’opprobre. N’est-il pas recommandĂ© de “laver son linge sale en famille” ? Au dĂ©but, j’ai cherchĂ© Ă  prĂ©server coĂ»te que coĂ»te les liens familiaux : avec ma mĂšre, ma soeur, ma tante, mes cousines. Mais leur dĂ©ni me rendait malade. Aujourd’hui, ma seule famille, c’est celle que je me suis construite

AprĂšs Françoise, un deuxiĂšme ange gardien, un psy, m’a sauvĂ©e du suicide. J’avais 23 ans. GrĂące Ă  “Super-psy”, j’ai pu reconnaĂźtre l’existence de cette petite fille que j’étais et sa force, l’aimer et lui pardonner. Ce n’est qu’à 36 ans, lorsque j’ai fait le deuil symbolique de ma mĂšre (toujours vivante), que j’ai pu faire exploser ma carapace protectrice et me confronter Ă  la violence de ce que j’avais subi. Stress-post-traumatique, dĂ©pression
 j’étais Ă  nu. C’était le premier pas, indispensable, pour entamer le chemin de ma reconstruction. Il faut se sentir prĂȘte pour sortir du dĂ©ni. Pour ma part, il a fallu attendre que je travaille sur moi durant plusieurs annĂ©es, que mon fils ait grandi et que je rencontre mon mari - aprĂšs une vie de misĂšre affective. En 1999, j’ai lancĂ© le premier blog francophone au monde sur l’inceste. À l'Ă©poque, quand on tapait “inceste” sur le moteur de recherche, on Ă©tait automatiquement dirigĂ© vers des sites pornographiques ! Un an plus tard, je fondai l’Association internationale des victimes de l’inceste, rebaptisĂ©e le 20 novembre 2020 “Face Ă  l’inceste”, car nous devons tous ouvrir les yeux sur ce scandale de santĂ© publique. AprĂšs vingt ans de combat, je me dis qu’aucune cause n’est plus difficile Ă  dĂ©fendre. Il y a tant Ă  faire : dĂ©pistage systĂ©matique des enfants et des adultes chez le gĂ©nĂ©raliste, formation des professionnels (soignants, policiers, personnel Ă©ducatif et judiciaire), requalification de l’inceste en crime sexuel imprescriptible, seuil d’ñge de non consentement de 15 Ă  18 ans pour TOUS les mineurs, que l’adulte ait autoritĂ© de droit ou de fait sur l’enfant ou non. En effet, la nouvelle loi introduit bien dans le code pĂ©nal ce seuil de non consentement Ă  18 ans, conformĂ©ment Ă  ce que l’association l'exige, mais elle l’assortit d’exceptions ! La loi stipule en effet que toute relation sexuelle d’un mineur de moins de 18 ans avec un parent ou un ascendant ayant autoritĂ© sur l’enfant est considĂ©rĂ©e comme un crime, mais quid des oncles, frĂšres, beau-pĂšres...? Pour ceux-lĂ , le seuil de non consentement fixĂ© Ă  15 ans s’applique toujours... Aujourd’hui, en France, la loi est d’abord faite pour prĂ©server la libertĂ© sexuelle des adultes, pas pour protĂ©ger les enfants. Moins de 1% des parents violeurs sont actuellement condamnĂ©s. Il faut que cela change ! Ce qui me maintient debout, c’est ma guerre contre l’inceste. Le cauchemar que j’ai vĂ©cu doit servir Ă  quelque chose
"
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