Carmen Caliente va le branler pour son foutre

Carmen Caliente va le branler pour son foutre




🔞 TOUTES LES INFORMATIONS CLIQUEZ ICI đŸ‘ˆđŸ»đŸ‘ˆđŸ»đŸ‘ˆđŸ»

































Carmen Caliente va le branler pour son foutre






Entrer



Enregistrement




ndrina

ROBERTO SAVIANO
Extra pure
VOYAGE DANS L’ÉCONOMIE
DE LA COCAÏNE
Traduit de l’italien
par Vincent Raynaud
GALLIMARD
Sommaire
Couverture
Titre
DĂ©dicace
Exergue
Coke #1
1 - La leçon
2 - Big Bang
Coke #2
3 - Guerre pour le pétrole blanc
4 - Tueur d’amis
Coke #3
5 - La fĂ©rocitĂ© s’apprend
6-Z
Coke #4
7 - Le dealer
8 - La Belle et le Singe
9 - L’arbre est le monde
Coke #5
10 - Le poids de l’argent
11 - Opération blanchiment
12 - Les tsars Ă  la conquĂȘte du monde
Coke #6
13 - ROUTES
14 - L’Afrique est blanche
Coke #7
15 - Quarante-huit
16 - Chiens
17 - Raconter, c’est mourir
18 - Accro
19 - Extra pure
Remerciements
Présentation
Ce livre est dédié à tous les
carabiniers qui ont assuré ma
protection rapprochée, aux
trente-huit mille heures passées
ensemble et Ă  celles qui
viendront.
Partout.
Je ne crains pas qu’on me
piétine.
Une fois piĂ©tinĂ©e, l’herbe
devient sentier.
BLAGA DIM ITROVA
Coke #1
La coke, quelqu’un autour de toi en
prend. Ton voisin dans le train, qui s’est
fait une ligne ce matin au réveil, ou bien
le chauffeur du bus qui te ramĂšne Ă  la
maison, pour faire des heures
supplémentaires sans ressentir de
douleurs aux cervicales. Parmi tes
proches, quelqu’un en prend. Si ce n’est
pas ton pùre ou ta mùre, si ce n’est pas
ton frùre, alors c’est ton fils. Et si ce
n’est pas ton fils, c’est ton chef de
bureau. Ou sa secrétaire, qui sniffe
seulement le samedi soir, histoire de
s’amuser. Si ce n’est pas ton chef, c’est
sa femme, pour parvenir Ă  se laisser
aller. Si ce n’est pas sa femme, c’est sa
maĂźtresse, Ă  qui il en offre Ă  la place des
boucles d’oreilles et de prĂ©fĂ©rence aux
diamants. Si ce ne sont pas eux, c’est le
routier qui transporte des tonnes de café
jusqu’aux troquets de ta ville et qui, sans
coke, ne supporterait pas toutes ces
heures d’autoroute. Si ce n’est pas lui,
c’est l’infirmiĂšre qui change le cathĂ©ter
de ton grand-pĂšre : avec la coke, tout lui
semble plus lĂ©ger, mĂȘme les nuits. Si ce
n’est pas elle, c’est l’ouvrier qui repeint
la chambre de ta copine : au début il
Ă©tait juste curieux, puis il a fini par
s’endetter. Là, prùs de toi, quelqu’un en
prend. C’est le policier qui va t’arrĂȘter :
il sniffe depuis des années, tout le
monde l’a remarquĂ© et ses supĂ©rieurs
reçoivent des
lettres
anonymes,
envoyĂ©es dans l’espoir qu’on le
suspende avant qu’il ne fasse une
connerie. Si ce n’est pas lui, c’est le
chirurgien qui se réveille à cet instant et
va opérer ta tante : grùce à la coke, il
rĂ©ussit Ă  ouvrir et Ă  refermer jusqu’à six
personnes le mĂȘme jour. Ou bien c’est
l’avocat qui s’occupe de ton divorce.
C’est le juge chargĂ© de ton procĂšs civil :
dans son esprit, ce n’est pas un vice,
juste un petit coup de pouce pour mieux
profiter de la vie. C’est la vendeuse qui
te tend le billet de loterie censé modifier
le cours de ton destin. C’est l’ébĂ©niste
en train de poser un meuble qui t’a coĂ»tĂ©
un mois de salaire entier. Si ce n’est pas
lui, c’est le monteur Ikea aux prises avec
l’armoire que tu serais bien incapable
d’assembler toi-mĂȘme. Si ce n’est pas
lui, c’est le syndic sur le point de sonner
chez toi. C’est l’électricien, celui qui
s’efforce en cet instant de dĂ©placer une
prise dans ta chambre Ă  coucher. Ou
c’est le chanteur que tu Ă©coutes pour te
dĂ©tendre. La coke, le prĂȘtre en prend,
celui Ă  qui tu vas demander si tu peux
faire ta confirmation, car tu vas ĂȘtre le
parrain de ton neveu, et il est stupéfait
que tu n’aies pas dĂ©jĂ  reçu ce sacrement.
Ce sont les extras qui serviront au
mariage de samedi prochain : s’ils ne
sniffaient pas, ils n’auraient pas assez
d’énergie dans les jambes pour tenir
toutes ces heures. Si ce ne sont pas eux,
c’est l’adjoint au maire qui vient d’opter
en
faveur
de
nouvelles
rues
piétonniÚres ; la coke, on lui en fournit
gratuitement, pour services rendus.
L’employĂ© du parking en prend : Ă 
prĂ©sent il a besoin d’un petit rail s’il
veut Ă©prouver un peu de joie. C’est
l’architecte qui a rĂ©novĂ© ta maison de
vacances, c’est le facteur qui vient de te
remettre le pli contenant ta nouvelle
carte bancaire. Si ce n’est pas lui, c’est
la fille du call center, qui te répond
d’une voix tonitruante et te demande en
quoi elle peut t’aider, sa bonne humeur
inaltérée à chaque appel est un effet de
la poudre blanche. Si ce n’est pas elle,
c’est l’assistant assis à la droite de
l’examinateur qui va te faire passer ton
oral d’examen, la coke l’a rendu
nerveux. C’est le physiothĂ©rapeute qui
essaie de remettre ton genou en place :
lui, au contraire, la coke le rend
sociable. C’est l’attaquant, celui qui a
marquĂ© un but coupable de t’avoir fait
perdre un pari que tu pouvais encore
gagner Ă  quelques minutes de la fin du
match. Ou la prostituée que tu vas voir
pour vider ton sac avant de rentrer chez
toi, car tu n’en peux plus : elle en prend,
car la coke lui permet de ne plus voir les
types qu’elle a en face d’elle, derriùre,
dessus, dessous. Le gigolo que tu t’es
offert pour tes cinquante ans en prend,
vous en prenez tous les deux, et grĂące Ă 
la coke il a la sensation d’ĂȘtre un super
mec. Le sparring-partner avec qui tu
t’entraünes sur le ring en prend, car il
veut perdre du poids. Si ce n’est pas lui,
c’est le moniteur d’équitation de ta fille
ou la psychologue que consulte ta
femme. Le meilleur ami de ton mari en
prend, celui qui te fait la cour depuis des
annĂ©es mais qui ne t’a jamais plu. Si ce
n’est pas lui, c’est le directeur de ton
Ă©cole. Le pion sniffe. Ou l’agent
immobilier qui Ă©tait en retard, justement
la fois oĂč tu as rĂ©ussi Ă  te libĂ©rer afin de
visiter un appartement. Le vigile en
prend, ce type qui persiste Ă  vouloir
cacher sa calvitie avec les cheveux qui
lui restent alors que désormais tout le
monde se rase le crñne. Si ce n’est pas
lui, c’est ce notaire chez qui tu espùres
ne plus jamais devoir retourner et qui
prend de la coke afin d’oublier les
pensions alimentaires qu’il verse à ses
ex-Ă©pouses. Si ce n’est pas lui, c’est le
chauffeur de taxi qui peste contre la
circulation avant de retrouver sa bonne
humeur. Et si ce n’est pas lui, c’est le
cadre dirigeant de ton entreprise, que tu
dois inviter chez toi et convaincre de
favoriser ton Ă©volution de carriĂšre.
C’est le policier municipal qui te colle
une prune et qui transpire copieusement
en te parlant, bien qu’on soit en plein
hiver. Ou bien le laveur de carreaux aux
yeux enfoncĂ©s, qui arrive Ă  s’en payer en
empruntant de l’argent, ou encore ce
jeune gars qui glisse des prospectus cinq
par cinq sous les essuie-glaces des
voitures. C’est l’homme politique qui t’a
promis une concession, celui que tu as
envoyĂ© Ă  l’AssemblĂ©e nationale grĂące Ă 
ta voix et Ă  celles de ta famille, le type
qui est tout le temps agitĂ©. C’est le
prĂ©sident du jury qui t’a mis Ă  la porte Ă 
la premiĂšre hĂ©sitation. Ou c’est
l’oncologue que tu es allĂ© voir, on t’a dit
que c’était le meilleur et tu espĂšres qu’il
pourra te sauver. Lui, aprĂšs un bon rail,
il se sent tout-puissant. Ou c’est le
gynécologue qui oublie de jeter sa
cigarette avant d’entrer dans la piùce et
d’examiner ta femme alors que les
premiÚres contractions sont déjà là.
C’est ton beau-frùre, qui fait tout le
temps la gueule, ou c’est le petit ami de
ta fille qui, lui, est toujours guilleret. Si
ce ne sont pas eux, alors c’est le
marchand de poissons qui dispose les
filets d’espadon sur son Ă©talage, ou le
pompiste qui fait dĂ©border l’essence
hors du réservoir. Il sniffe pour se sentir
jeune, mais dĂ©sormais il n’arrive mĂȘme
plus Ă  enfiler le pistolet dans le trou. Ou
bien c’est ton mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste, que
tu connais depuis des années et qui signe
sans sourciller tes congés de maladie
bidon, car tu sais toujours quoi lui offrir
à Noël. Le concierge de ton immeuble en
prend, et si ce n’est pas le cas,
l’enseignante qui donne des cours de
soutien Ă  tes enfants le fait, elle ou bien
le prof de piano de ton neveu, la
costumiÚre de la compagnie théùtrale
dont tu iras voir le spectacle ce soir. Le
vétérinaire qui soigne ton chat. Le maire,
chez qui tu es allĂ© dĂźner. L’entrepreneur
en bĂątiments qui a construit la maison
dans laquelle tu habites, l’écrivain dont
tu lis le livre avant de t’endormir, la
journaliste que tu regarderas présenter
les informations télévisées. Mais, tout
bien considĂ©rĂ©, si tu penses qu’aucune
de ces personnes n’est susceptible de
consommer de la cocaĂŻne, soit tu es
incapable de le voir, soit tu mens. Ou
bien ça signifie tout simplement que la
personne qui en prend, c’est toi.
1
LA LEÇON
« Ils Ă©taient tous assis autour d’une
table, ici mĂȘme Ă  New York, pas trĂšs
loin.
— OĂč ? » j’ai demandĂ© sans rĂ©flĂ©chir.
Il m’a regardĂ©, comme pour dire qu’il
n’arrivait pas Ă  croire que je puisse ĂȘtre
aussi stupide et poser pareille question.
Le rĂ©cit que j’allais entendre Ă©tait un
renvoi d’ascenseur. Quelques annĂ©es
plus tĂŽt, en Europe, la police avait arrĂȘtĂ©
un jeune homme. Un Mexicain muni d’un
passeport américain. Il avait été expédié
Ă  New York oĂč on l’avait fait mijoter,
on lui avait épargné la prison et on
l’avait plongĂ© dans les trafics qui
alimentaient la ville. De temps en temps,
il livrait des informations et, en Ă©change,
on le laissait en libertĂ©. Ce n’était pas
exactement un indic, juste quelque chose
d’approchant, ainsi il ne se faisait pas
l’effet d’ĂȘtre une balance et pas
davantage un affilié comme les autres,
imperturbablement muet, respectant la
loi du silence. Les policiers lui posaient
des questions d’ordre gĂ©nĂ©ral, jamais
circonstanciées au point de lui faire
courir des risques au sein de son clan. Il
fallait qu’il rapporte des impressions,
des humeurs, qu’il signale de futures
réunions ou annonce de possibles
guerres. Pas de preuves, pas d’indices :
rien que des rumeurs. Les indices, ils
iraient les chercher dans un second
temps. Mais désormais ça ne suffisait
plus. Au cours d’une rĂ©union Ă  laquelle
il avait participé, le jeune homme avait
enregistré un discours sur son iPhone. Et
les policiers Ă©taient inquiets. Certains
d’eux, avec qui j’étais en relation depuis
des annĂ©es, voulaient que j’écrive un
article à ce sujet. Que j’en parle quelque
part, que je fasse du bruit, pour tester les
réactions, comprendre si le récit que
j’allais Ă©couter avait bel et bien Ă©tĂ© fait
comme le jeune homme le prétendait ou
si c’était une mise en scĂšne, une
mascarade destinée à piéger les
Chicanos et les Italiens. Je devais en
parler pour faire bouger les milieux au
sein desquels ces paroles avaient été
prononcées et écoutées.
Le policier m’attendait sur une petite
jetée de Battery Park. Il ne portait ni
casquette, ni imperméable, ni lunettes de
soleil, aucun camouflage ridicule : il
Ă©tait vĂȘtu d’un tee-shirt aux couleurs
vives, il avait des tongs aux pieds et
affichait le sourire de quelqu’un qui a
hùte de révéler un secret. Il parlait un
italien fortement empreint de dialecte et
nĂ©anmoins comprĂ©hensible. Il n’a
recherché aucune forme de complicité, il
avait reçu l’ordre de me faire son rĂ©cit
et s’est exĂ©cutĂ© sans guĂšre de
prĂ©ambule. Je m’en souviens trĂšs bien.
Ce qu’il m’a racontĂ© est restĂ© gravĂ© en
moi. Avec le temps, j’ai acquis la
certitude que les souvenirs que nous
conservons ne sont pas seulement
stockĂ©s dans notre tĂȘte, ils ne sont pas
tous enregistrĂ©s dans la mĂȘme partie de
notre cerveau. Je suis persuadé que
d’autres organes ont Ă©galement une
mémoire : le foie, les testicules, les
ongles, les cĂŽtes. Lorsqu’on Ă©coute des
paroles dramatiques, c’est là qu’elles
restent emprisonnées. Et quand ces
organes se les remémorent, ils envoient
au cerveau ce qu’ils ont enregistrĂ©. Le
plus souvent, je constate que c’est mon
estomac qui se rappelle, lui qui
emmagasine le beau et l’horrible. Je sais
qu’ils sont là, certains souvenirs, je le
sais parce que l’estomac s’agite. Et
parfois le ventre aussi s’agite. C’est le
diaphragme qui fait des vagues : une fine
lamelle, une membrane nichée là et ses
racines au centre de notre corps. C’est
de lĂ  que tout part. Le diaphragme fait
haleter, frissonner, mais aussi pisser,
dĂ©fĂ©quer, vomir. C’est avec lui que les
femmes poussent pour accoucher. Et je
suis également persuadé que le pire se
concentre à certains endroits : c’est là
que se trouvent les dĂ©chets. J’ignore oĂč
il se trouve en moi, cet endroit, mais je
sais qu’il est plein. Et Ă  prĂ©sent il
déborde, il est comble, au point que plus
rien n’y entre. Mon lieu des souvenirs
ou, plus exactement, des déchets, est
saturĂ©. On pourrait croire que c’est une
bonne nouvelle, qu’il n’y a plus de place
pour la douleur. Mais ça n’en est pas
une. Si les dĂ©chets n’ont nulle part oĂč
aller, ils se glissent lĂ  oĂč ils ne le
devraient pas. Ils se coincent dans les
endroits qui recueillent d’autres
souvenirs. Le récit de ce policier a
définitivement rempli la partie de moi
qui se rappelle les pires choses. Celles
qui ressurgissent quand on croit que tout
va mieux et qu’on a devant soi un matin
lumineux, lorsqu’on rentre à la maison et
qu’on se dit qu’au fond la vie vaut la
peine d’ĂȘtre vĂ©cue. Dans ces momentslĂ , les noirs souvenirs s’échappent de
quelque part telle une fuite, un reflux, de
mĂȘme que les ordures d’une dĂ©charge,
enfouies sous terre ou recouvertes de
plastique, trouvent toujours un chemin
vers la surface pour tout empoisonner.
Oui, c’est prĂ©cisĂ©ment dans cette partie
du corps que je conserve le souvenir de
ces paroles. Il est inutile d’en chercher
la latitude exacte, car si je trouvais cet
endroit il ne servirait Ă  rien de le rouer
de coups, de le poignarder, de le tordre
afin d’en faire sortir les mots tel le
liquide d’une ampoule. Tout est là et
doit y rester. C’est ainsi.
Le policier m’expliquait que le jeune
homme, son informateur, avait assisté à
la seule leçon qui mérite notre attention
et qu’il l’avait enregistrĂ©e en cachette.
Pas pour trahir, juste pour pouvoir la
réécouter. Une leçon sur la façon
d’occuper sa place dans le monde. Et il
la lui avait fait écouter du début à la fin :
un Ă©couteur dans l’oreille du policier,
l’autre dans la sienne. Puis, le cƓur
battant, il avait fait démarrer
l’enregistrement du discours.
« Toi, Ă©cris sur ça, m’a dit le policier.
On verra si quelqu’un pùte un cñble. Ça
voudra dire que cette histoire est vraie,
on en aura la confirmation. Si tu en
parles et que personne ne réagit, alors ça
voudra dire que c’est un bobard, un
mauvais numĂ©ro d’acteur, et que notre
Chicano s’est foutu de nous. Ou bien

que personne ne croit les conneries que
tu Ă©cris et, dans ce cas, on se sera fait
avoir. »
Puis il a éclaté de rire. Moi, je
hochais la tĂȘte. Je ne promettais rien,
j’essayais de comprendre. Celui qui
l’avait tenue, cette prĂ©tendue leçon, Ă©tait
en principe un vieux parrain italien,
devant une noble assemblée de
Chicanos,
d’Italiens,
d’ItaloAmĂ©ricains, d’Albanais et d’anciens
combattants kaibiles, les légionnaires
guatĂ©maltĂšques. Du moins c’est ce
qu’avait prĂ©tendu le jeune homme. Pas
d’informations, ni chiffres ni dĂ©tails. Pas
quelque chose Ă  apprendre contre son
gré. Tu es une certaine personne en
entrant dans la piĂšce et tu en ressors
diffĂ©rent. Tu portes les mĂȘmes
vĂȘtements, tu as la mĂȘme coupe de
cheveux, la barbe de la mĂȘme longueur.
Tu affiches les signes d’un entraünement,
des coupures aux arcades sourciliĂšres
ou le nez cassĂ©, tu n’as pas la tĂȘte
remplie de sermons. Tu entres, puis tu
ressors Ă  premiĂšre vue identique Ă  celui
que tu Ă©tais quand on t’a poussĂ© lĂ dedans. Mais identique seulement Ă 
l’extĂ©rieur. À l’intĂ©rieur, tout a changĂ©.
On ne t’a pas initiĂ© Ă  une vĂ©ritĂ© ultime,
on a simplement remis certaines choses
Ă  leur place. Des choses dont,
jusqu’alors, tu ne savais pas te servir,
une boüte à outils que tu n’avais pas eu
le courage d’ouvrir et d’examiner avant
de t’emparer de son contenu.
Le policier lisait dans un carnet de
notes la transcription qu’il avait faite du
discours. Ces hommes s’étaient rĂ©unis
dans une piùce pas trùs loin de l’endroit
oĂč nous nous trouvions Ă  prĂ©sent. Assis
au hasard, sans ordre, pas en fer Ă 
cheval comme lors des cérémonies
rituelles d’affiliation. InstallĂ©s comme
on le fait dans les centres socioculturels
des villages, dans le sud de l’Italie, ou
dans les restaurants d’Arthur Avenue
pour regarder un match de football Ă  la
tĂ©lĂ©vision. Mais, dans cette piĂšce, il n’y
avait aucun match Ă  la tĂ©lĂ© et ce n’était
pas une rĂ©union entre amis. C’étaient
tous des affiliés, occupant différents
niveaux au sein d’organisations
criminelles. Le vieil Italien s’était levĂ©.
Les autres savaient que c’était un homme
d’honneur et qu’il Ă©tait arrivĂ© aux ÉtatsUnis aprĂšs avoir longtemps vĂ©cu au
Canada. Il s’était mis Ă  parler sans se
prĂ©senter, il n’avait aucune raison de le
faire. Il s’exprimait dans une langue
bĂątarde, un mĂ©lange d’italien, d’anglais
et d’espagnol, et il recourait parfois au
dialecte. Je voulais connaĂźtre son nom et
j’ai donc interrogĂ© le policier, feignant
une curiosité momentanée et fortuite. Ce
dernier n’a mĂȘme pas fait mine de me
rĂ©pondre. Il n’y avait que le discours du
parrain.
« Le monde de ceux qui croient
pouvoir vivre dans une société juste,
avec des lois identiques pour tous, avec
un bon travail, de la dignité, des rues
propres, les femmes Ă©gales aux hommes,
n’est qu’un monde de tapettes, de gens
qui se trompent eux-mĂȘmes. Et trompent
ceux qui les entourent. Les conneries sur
un monde meilleur, laissons-les aux
autres. Aux riches idiots qui peuvent
s’offrir ce luxe. Le luxe de croire en un
monde heureux, en un monde juste. De
riches qui se sentent coupables ou qui
ont quelque chose Ă  cacher. Who rules
just does it, and that’s all. Ceux qui
commandent commandent et c’est tout.
Ou bien on peut prétendre commander
pour faire le bien, pour servir la justice
et la liberté. Mais ce sont des histoires
de gonzesses, laissons-les aux riches,
aux idiots. Ceux qui commandent
commandent. Un point, c’est tout. »
J’essayais de deviner la façon dont il
Ă©tait habillĂ©, l’ñge qu’il avait. Des
questions de flic, de journaliste, de
curieux, d’obsĂ©dĂ©, qui croit pouvoir
remonter Ă  partir de ces dĂ©tails jusqu’à
la catégorie des chefs susceptibles de
tenir pareils propos. Mon interlocuteur
m’ignorait et poursuivait. Moi, je
l’écoutais et je tamisais ses mots comme
s’il s’agissait de sable au milieu duquel
dĂ©nicher la pĂ©pite, le nom. J’écoutais
ces mots, mais je cherchais autre chose.
Je cherchais des indices.
« Il voulait leur exposer les rÚgles, tu
comprends ? m’a dit le policier. Il
voulait qu’elles s’enracinent en eux. Je
suis sĂ»r que le gars n’a pas menti. Je te
le dis, moi, que le Mexicain n’est pas un
baratineur. MĂȘme si personne ne me
croit, je suis prĂȘt Ă  donner ma parole
pour cautionner la sienne. »
Il a de nouveau baissé les yeux sur son
carnet et s’est remis à lire.
« Les rĂšgles de l’organisation sont
celles de la vie. Les lois de l’État sont
les rùgles d’un camp qui veut baiser
l’autre. Et nous, personne ne nous baise.
Il y a les gens qui gagnent du pognon
sans prendre de risques et qui auront
toujours peur des autres, et ceux, au
contraire, qui en gagnent en misant tout.
If you risk all, you get all, pigé ? Mais
si tu t’imagines que tu dois sauver ta
peau ou que tu peux y arriver sans te
retrouver en prison, sans cavale et sans
plan
Deux bombes sexuelles pour lui tout seul
Ma femme voulait se taper un noir
Il recherche un mannequin pour une agence française

Report Page