Canapé rouge du désir
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L'histoire, qui laisse perplexe autant qu'elle prête à sourire, a fait l'objet d'un article dans le quotidien populaire israélien Maariv . En janvier 2005, le rabbin Eliyahu Abergel, président du tribunal religieux de la ville de Beer Sheva, décidait de bannir le port du rouge pour les femmes au motif que celui-ci attirait l'attention du sexe opposé et rappelait... la crête des coqs. L'imprudent! S'en prendre à la plus orgueilleuse, la plus ambitieuse et la plus impétueuse des couleurs, symbole du feu, de la vie, mais aussi de la mort et des flammes de l'enfer, voilà en effet qui ne manquait pas d'audace... «Dans le système chromatique de l'Antiquité, qui tournait autour de trois pôles, rappelle l'historien Michel Pastoureau dans son ouvrage référence, Le Petit Livre des couleurs , le blanc représentait l'incolore, le noir était grosso modo le sale, et le rouge était la couleur, la seule digne de ce nom. La suprématie du rouge s'est imposée à tout l'Occident.»
Trente-sept mille ans après sa naissance (on le retrouve, fabriqué à partir de la terre ocre rouge, dans le bestiaire de la grotte Chauvet), plus de quatre siècles après que la reine Marie Stuart, condamnée pour haute trahison, défia ses bourreaux dans un demi-sourire et vêtue d'un corsage de satin couleur sang, trois ans, enfin, après la décision rabbinique de Beer Sheva, l'insolent pigment savoure une éclatante revanche. Quand les timorés verts ou bleus aiment se camoufler dans le paysage, quand le violet finit par lasser et quand le jaune, longtemps symbole de trahison, pâtit encore de sa mauvaise réputation, lui sait vous incendier la prunelle comme nul autre, ses lumières étant l'une des plus promptes à exciter le cône de l'oeil humain, d'après les scientifiques. Vermillon, écarlate, garance, cerise, kermès, ou terracotta, le voilà partout. Sur l'épais rideau de velours des théâtres, sur les bouches des coquettes, les sucettes à la fraise, les sirops contre la toux, les panneaux d'interdiction et l'écharpe du patron de L'Express, bien sûr. Mais aussi désormais sur Internet, grâce à Florence Drory, ancienne collaboratrice de François Mitterrand et addict assumée, qui vient de lancer le site enviederouge.com.
Rouges encore les petites bouteilles d'eau pétillante Badoit, les dernières collections de lunettes Alain Mikli, la façade du grand magasin Lafayette Maison et l'étonnante piscine de l'hôtel Murano de Marrakech. Le chef Michel Roth, qui dirige les cuisines du Ritz, à Paris, l'a choisi l'an dernier pour inaugurer sa série de menus monochromes, offrant aux papilles des tartes fines à la betterave étincelantes comme des rubis. Rouges enfin, le voluptueux canapé Chantilly imaginé par la designer française Inga Sempé et l'iPod Red parrainé par Bono, dont une partie des ventes est reversée aux victimes africaines du sida. L'espiègle Keira Knightley le porte en soie et divinement dans la campagne publicitaire de Coco Mademoiselle, pour Chanel. Edouard Balladur l'apprécie en chaussettes, Alain Resnais en chemise («parce que c'est ainsi que Sabine Azéma m'aime», dit-il joliment), l'animateur Nikos Aliagas... à la culotte chaque fois qu'il doit affronter le feu des projecteurs, tout comme Tatiana Golovin, dont le shorty écarlate avait fait blêmir les arbitres du très sélect All England Club lors de la dernière édition du tournoi de Wimbledon.
Pourquoi une telle fièvre écarlate? «Parce que le rouge est la couleur de la passion, de la vie et de la gagne. Une merveilleuse et saine réaction à la grisaille de notre quotidien», résume le décorateur Yves Taralon, qui signa son entrée chez Hermès, en 2002, en créant un service de table rouge andalou. «Parce qu'il est à la fois populaire et chic, et synonyme d'exubérance et de sensualité», poursuit Olivier Saguez, de l'agence Saguez & Partners, ravi de voir le rouge dépasser enfin ses deux emplois de prédilection, la grande distribution et l'interdit.
Dans L'Extraordinaire Saga du rouge , qui vient de paraître, l'historienne américaine Amy Butler Greenfield revient sur le destin plus que tourmenté du «pigment le plus convoité du monde». Ses débuts, sous l'ère Neandertal. Sa montée en puissance dans l'Antiquité, quand il se vit confier les attributs du pouvoir, c'est-à-dire ceux de la religion et de la guerre. Les centurions romains et certains prêtres étaient alors vêtus de proupre. Aux xiiie et xive siècles, c'est au tour du pape et des cardinaux d'en parer leur habit, gage de leur engagement à verser leur sang pour le Christ. Déjà, il y a rouge et rouge: si les paysans ont recours à la vulgaire garance, herbe aux racines tinctoriales présente sous tous les climats, l'élite, elle, utilise le murex, mollusque rare qu'on trouve en Méditerranée, dont la substance colorante offre une gamme allant de l'écarlate au violet en passant par le cramoisi et l'améthyste. Mais bientôt, les gisements du précieux coquillage s'épuisent. Il faut attendre 1519 et la découverte au Mexique d'un minuscule insecte baptisé cochenille pour apaiser l'appétit des puissants. Pas leur fièvre: rendus fous par le rouge parfait, splendide, conçu à partir des ?ufs du petit parasite, ils enverront corsaires et espions sur toutes les mers du globe.
A lire L'Extraordinaire Saga du rouge , par Amy Butler Greenfield. Ed. Autrement. Le Petit Livre des couleurs , par Michel Pastoureau et Dominique Simonnet. Ed. Panama/Essai. A voir Maisons rouges, l'histoire d'une couleur, expo jusqu'au 16 mars au Centre culturel suédois, 11, rue Payenne, Paris (IIIe).
La Maison rouge , fondation d'art contemporain d'Antoine de Galbert, 10, boulevard de la Bastille, Paris (XIIe).
A consulter
enviederouge.com
Le règne de la cochenille est passé, les eaux du monde se sont apaisées. L'invention des teintures artificielles, au milieu du xixe siècle, puis l'avènement du numérique ont considérablement simplifié les techniques de production. Dans la plupart des magasins de bricolage, des «machines à teinter» offrent désormais en quelques clics la possibilité de reproduire toutes les teintes des nuanciers. Mais si la production se banalise, la couleur, elle, n'a rien perdu de sa puissance évocatrice. «Nous portons le rouge en nous. Il coule dans notre sang et dans nos veines», rappelle Butler Greenfield. Il reste la signature des capricieuses Scarlett O'Hara et Carmen. Celle de la robe de satin portée par la troublante Blanche DuBois dans Un tramway nommé Désir. La couleur des révolutions, du danger, de la séduction et de la cultissime Ford Gran Torino de Starsky & Hutch . Celle de l'énergie et de la création. A ce propos, l'agence Saguez & Partners planche actuellement sur la conception d'un logo symbole de la ville de Paris. «Rien n'est encore décidé mais, pour moi, une seule couleur s'impose», confie, malicieux, Olivier Saguez. Paris, capitale du désir, on en rougit déjà de plaisir...
Yves Taralon - Décorateur
«Ce n'est peut-être pas un hasard si j'ai souvent travaillé avec des marques dont le rouge était la couleur emblématique. Il est une merveilleuse ponctuation dans un intérieur. Je l'aime par-dessus tout sur le cuir et sur la laine. Un fauteuil First Time en cuir rouge, pour moi, tient de l'?uvre d'art.»
Isabelle Carré - Comédienne
«J'aime cette couleur parce qu'elle est gaie, lumineuse, qu'elle me donne de l'énergie et me rappelle mon enfance. Jusqu'à 15 ans, j'ai vécu dans une maison entièrement peinte en rouge, car mon père est designer et a été beaucoup influencé par son travail au Japon. Pour moi, c'est aussi la couleur du théâtre, où j'ai fait mes débuts de comédienne, et celle de la robe chinoise Prada que j'ai portée le soir où j'ai remporté mon césar. Depuis, j'ai l'impression que cette couleur me porte chance.»
Florence Drory - Créatrice du site enviederouge.com
«Il a toujours agi sur moi comme un aimant. Depuis plus de vingt ans, je m'habille en rouge, j'écris en rouge, je roule en rouge, j'utilise du shampoing et même du liquide vaisselle rouge. Je l'ai porté à mon mariage comme lors d'enterrements. J'ai même rencontré le pape en tailleur chiné rouge et noir! Certains parleront de provocation. Mais, pour moi, porter du rouge est une manière de combattre les apparences par les apparences. De montrer qu'on peut échapper à l'uniforme gris et noir. Une manière de crier: la vie est trop courte. Laissez-nous nous éclater sur terre!»
Un plan à trois old school
La nounou a été vilaine
Une amateur se touche devant la cam