Brunette qui offre son corps
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Ădito :
Serge Steyer
un film de Catherine Bernstein (2009 - 8')
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Des histoires de femmes à la dérive, avec Nathalie Richard.
HĂ©lĂšne, tout juste 20 ans, ne sait plus trĂšs bien qui elle ...
La camĂ©ra sâattarde sur des dĂ©tails de son corps, un corps qui raconte une vie, sa peau sur laquelle est inscrite une histoire. La femme se livre, parlant de ses yeux, de ses sourcils, de ses seins, de son ventre, de ses jambes... Sa parole recompose peu Ă peu ce corps fragmentĂ©.
Catherine Bernstein : En prĂ©parant Nue , je pensais diriger une comĂ©dienne, mais mon producteur, Olivier Bourbeillon, mâa poussĂ©e Ă en ĂȘtre lâinterprĂšte. Je nâai pas voulu tourner avec mon chef op habituel, je nâavais pas envie de me dĂ©shabiller devant lui. Câest donc Laurent Dailland qui prend le relais, entourĂ© dâune Ă©quipe Ă 100% fĂ©minine. Le texte est jugĂ© trop long par le chef-op ? LâĂ©quipe fait corps avec la rĂ©alisatrice ; il nây a rien Ă enlever !
Ce film profondĂ©ment Ă©mouvant est Ă©laborĂ© par touches, par fragments ressoudĂ©s ; de fait, il a Ă©tĂ© tournĂ© avec des chutes de pellicule 35 mm rĂ©cupĂ©rĂ©es sur le tournage dâun long mĂ©trage. Retrouver lâunitĂ©, lâunicitĂ© et lâuniversalitĂ©. Ătre, exister dans le regard bienveillant de l'autre, des autres. L'amour des autres comme accĂšs Ă l'acceptation, Ă l'amour de soi. Telles sont les bouleversantes questions qu'aborde ce film tout en pudeur et en dĂ©licatesse.
Catherine Bernstein : Jâai Ă©crit ce film Ă un moment difficile de ma vie. Ă un moment oĂč je souffrais des relations douloureuses avec ma mĂšre. En Ă©crivant ce mot, que je reprends conscience du lien entre ce film et cette relation douloureuse. Ma mĂšre, qui manque cruellement de confiance en elle, a toujours pensĂ© que lâimportant chez une femme Ă©tait lâapparence extĂ©rieure, et que celle-ci se devait dâĂȘtre impeccable. Selon quels critĂšres ? Du coup, elle a Ă©tĂ© vigilante Ă ce que je rentre mon ventre, ou cache mes formes avec des vĂȘtements amples, surtout pas trop ajustĂ©s. Pendant le tournage, une amie comĂ©dienne et rĂ©alisatrice, Fejria Deliba, a Ă©tĂ© mon coach, mon regard.
En faisant le film, je craignais de rĂ©duire Ă nĂ©ant tout espoir de continuer Ă faire des films. Je prenais un risque maximal du ridicule le plus achevĂ©. Jâai espĂ©rĂ© quâil toucherait au moins les femmes. Ce film a reçu un accueil radicalement diffĂ©rent auprĂšs des femmes et auprĂšs des hommes. Les spectatrices ressortaient avec bonheur, avec Ă©nergie dĂ©bordante Ă lâissue de la projection. Quelque soit leur Ăąge, il nâĂ©tait pas rare quâelles se reconnaissent dans les propos du film. Les hommes semblaient plus Ă©mus, bouleversĂ©s. Je ne saurais dire pourquoi. DĂ©couvraient-ils ce quâils pouvaient donner Ă lâautre ? Ă lâĂȘtre aimĂ© ? Ce qui est clair, me concernant, câest que câest lâamour qui mâa aidĂ© Ă me rĂ©parer, Ă faire de moi une seule et mĂȘme personne, un tout. En tous les cas, je suis Ă©merveillĂ©e Ă quel point Nue a su toucher des femmes et des hommes dâĂąges et dâhorizons variĂ©s.
Prix du Meilleur Film au festival international de Saint-Petersbourg 2010 SĂ©lectionnĂ© aux festivals internationaux de courts de MontrĂ©al, Locarno, Toronto, NoumĂ©a, Brest ; aux festivals de Douarnenez, de Villeurbanne, dâAmiens, Court devant de Paris, Panorama de Pantin
>>> un film produit par Paris-Brest Production
Jâaurai pu intituler ce film Diasparagnos , terme philosophique signifiant : le corps en morceaux. Ou encore Blason , genre littĂ©raire trĂšs en vogue au XVIe siĂšcle dĂ©signant une poĂ©sie qui dĂ©crit de maniĂšre dĂ©taillĂ©, sur le mode de lâĂ©loge ou de la satire, les caractĂšres et qualitĂ©s dâun ĂȘtre ou dâun objet : Le Blason du sourcil de Maurice ScĂšve - Les blasons du corps fĂ©minin - CĂ©lĂ©brer sa femme en un blason. (Cf. Le grand Robert) Je tente aujourdâhui une version cinĂ©matographique dâun genre que je dĂ©couvre ancien.
Extrait du scĂ©nario Tout au long du monologue, la camĂ©ra va filmer des parties du corps ; un bout dâĂ©paule avec un bout de bouche, la peau, la nuque, le bras sur la poitrine⊠pour revenir rĂ©guliĂšrement sur le visage. Le tout sera en gros plan. Parfois la femme parlera en « in », parfois en « off ». Elle regardera parfois dans lâobjectif, parfois elle sera ailleurs, avec elle-mĂȘme. Je tournerai une premiĂšre version dans laquelle la femme parle et une deuxiĂšme oĂč elle effectue les mĂȘmes mouvements sans parler pour autant. JâespĂšre ainsi composer au montage une sorte de ballet corporel. Nous dĂ©couvrirons le « tout » seulement Ă la fin.
Jâentendais il y a peu Michel Serres dire quâil passe sa vie Ă rĂ©unir tous les morceaux de son corps Ă©clatĂ©. Jâai en effet rĂ©alisĂ© il y a peu de temps, comme une naĂŻve rĂ©vĂ©lation, que notre corps Ă©tait aussi notre mĂ©moire, quâil racontait une histoire, la nĂŽtre. Alors, jâessaie de lire ce quâĂ©crit le mien. Lire entre ma taille et mes entrailles. Observer le rapport Ă notre corps, ce que la sociĂ©tĂ© nous renvoie ; durant lâadolescence, la maternitĂ©, le vieillissement⊠avec le regard de notre mĂšre ou celui de lâamour, et enfin ce que nous transmettons. Si le projet est rĂ©ussi, jâespĂšre quâil ne parlera pas uniquement de moi.
Catherine Bernstein est nĂ©e le 18 aoĂ»t 1964 Ă Tours, qu'elle quitte aprĂšs le Bac pour venir Ă©tudier Ă Paris oĂč elle suit des Ă©tudes de Lettres Modernes. Une fois obtenue son DEUG, elle obtient une Licence de cinĂ©ma Ă Paris-III. Elle rĂ©alise ensuite deux courts-mĂ©trages, avant de se tourner vers l'assistanat sur de nombreux courts, tĂ©lĂ©films, films publicitaires et industriels, documentaires et longs mĂ©trages, parmi lesquels Un monde sans pitiĂ© de Eric Rochant, La Vie des morts dâArnaud Desplechin et L'IrrĂ©solu de Jean-Pierre Ronssin. Elle travaille aussi sur des castings de longs ( Oublie-moi , de NoĂ©mie Lvovsky, La Sentinelle , de Desplechin, etcâŠ). Zohra Ă la plage marque son retour Ă la rĂ©alisation. Elle a Ă©crit en outre deux scĂ©narios de longs mĂ©trages, dont L'Homme qui n'existait pas , soutenu par la Fondation Beaumarchais.
TĂ©lĂ©rama >>> Il est rare qu'un cinĂ©aste se place lui-mĂȘme devant la camĂ©ra. Encore plus rare qu'il offre son corps nu Ă l'Ćil du spectateur. Ce que vous faites avec cette infinie pudeur, qui compte pour une part de votre style sophistiquĂ©. Ătendue devant l'objectif, vous racontez votre corps par fragments â de cette petite cicatrice laissĂ©e par une piqĂ»re d'insecte Ă votre ventre marquĂ© par la maternitĂ©, en passant par le volume de vos fesses qui vous valut, adolescente, la remarque dĂ©sobligeante d'un garçon secrĂštement amoureux de vous, par la moustache qui vous a longtemps « pourri la tĂȘte », par les sourcils Ă©pais dont vous ĂȘtes aujourd'hui « heureuse », par vos dents jaunies, par votre cou marquĂ©, par vos jambes « correctes »⊠Sans oublier « Michel », dont le regard amoureux sur votre corps imparfait en unifie les « morceaux », comme vous le dites si joliment Ă votre fille Juliette, qui tient la camĂ©ra.
Notre corps porte notre histoire et en conserve la mémoire. Notre existence inscrit sur lui des traces indélébiles et le façonne peu à peu. En exposant votre nudité à l'objectif d'une jeune femme née de vous, vous explorez en huit minutes cette évidence, avec une délicatesse qui est un autre trait distinctif de votre art.
L'Agence du Court MĂ©trage >>> entretien avec Catherine Bernstein par Jean-Marc GĂ©nuite (KyrnĂ©a International) et analyse de Bartlomiej Woznica (responsable pĂ©dagogique de lâAgence)
Nue sâinscrit dans une collection de courts mĂ©trages produite pour Arte qui vise Ă questionner la reprĂ©sentation du corps au cinĂ©ma. Pour rĂ©pondre Ă la commande, Catherine Bernstein propose un autoportrait, genre plutĂŽt inusitĂ© au cinĂ©ma. Elle fait de son propre corps le lieu mĂȘme de la mise en scĂšne comme rarement un cinĂ©aste se propose de le faire - si on excepte toutefois le geste documentaire oĂč, comme chez Johan Van der Keuken ou Frederick Wiseman, lâinvestissement physique que dĂ©veloppe le cinĂ©aste pour investir le champ du rĂ©el est partie intĂ©grante du dispositif esthĂ©tique.
Fictivement incarnĂ© par la propre fille de la cinĂ©aste, le filmeur, dâune camĂ©ra portĂ©e flottant au plus prĂ©s du sujet comme on explore et cartographie un territoire, redouble par le dĂ©coupage le trajet de recomposition du sujet, passant progressivement du morcellement traumatique Ă une complĂ©tude trouvĂ©e dans le regard suturant de lâĂȘtre aimĂ©. Si le cinĂ©ma a depuis ses origines partie liĂ©e avec le voyeurisme, Catherine Bernstein, en se donnant littĂ©ralement Ă lâĆil de la camĂ©ra et Ă celui du spectateur et en substituant Ă lâimage de la femme comme objet de dĂ©sir celle de la mĂšre, cherche Ă questionner les standards de lâimage fĂ©minine - majoritairement indexĂ©s sur lâusage marchand qui fait de ce corps un simple produit dâappel - et la maniĂšre dont ces derniers sont inconsciemment intĂ©grĂ©s. LâesthĂ©tique du fi lm peut cependant paraĂźtre paradoxale : si lâutilisation dâune profondeur de champ minimale, enveloppant le corps dans un flou cotonneux, et une palette de couleur laiteuse, renvoyant Ă la maternitĂ©, tend Ă produire une forme de pudeur bienvenue devant lâusage volontiers obscĂšne de la nuditĂ©, elle nâest pas sans reprendre certains canons publicitaires qui produisent une dĂ©rĂ©alisation manifeste de la prĂ©sence charnelle. Nue tend toutefois Ă prendre la mesure de lâĂ©cart quâune femme a pu vivre entre le corps rĂ©el et le corps sublimĂ© au regard de la pression exercĂ©e par les reprĂ©sentations dominantes sur le corps social. Ce schizophrĂ©nique dĂ©ni de soi (la tĂȘte coupĂ©e du reste du corps) se dĂ©veloppe par ricochet dans lâattitude apparemment contradictoire de lâamoureux irrĂ©vĂ©rent car si « les filles des magazines de mode aux sourcils fi ns et bien dessinĂ©s » modifient le rapport Ă soi et Ă sa propre enveloppe charnelle, elles ne sont pas en reste quant au regard que lâon porte sur les autres. Le film, adresse intime Ă la fille, interpelle alors tout un chacun dans les reprĂ©sentations quâil cristallise et qui mĂ©diatisent son rapport au monde.
LibĂ©ration >>> Dâabord le film ne montre que des gros plans, fragmentĂ©s. Plus on avance, plus la camĂ©ra recule. Plus le corps devient entier, exposant de façon palpable le combat intĂ©rieur qui dĂ©chire cette femme. Pas Ă©vident de sâaimer. Une femme raconte son corps. Le film dure 6 minutes et sâachĂšve sur une dĂ©claration dâamour. Cela commence par une piqure dâinsecte dans son dos, une zone dĂ©finitivement morte . Câest la premiĂšre partie de mon corps Ă disparaĂźtre . Elle Ă©numĂšre ensuite, par fragments, ses fesses trop rondes dâadolescente, son ventre affaissĂ© par la maternitĂ©, ses dents jaunes, le pli de son cou et ses poils drus, bref tout ce qui lui a pourri la tĂȘte si longtemps quâelle se cachait pour faire lâamour. Jusquâau jour oĂč un homme est venu. Il lâa regardĂ©e entiĂšrement, dit-elle. Moi je me voyais en morceaux . Pour Catherine Bernstein, sâexposer nue câest rĂ©pondre Ă cet homme : merci de mâavoir recollĂ©e.
21 Août 2022 16:17 - Michel Courtilly
Ses propos sont tellement vrais qu'ils esquissent l'espace, propre Ă chacun(e), oĂč on laisse pousser sa beautĂ©, intĂ©rieure, primordiale, et de laquelle dĂ©coule toute conception personnelle du beau, L'art est le miroir de l'Ăąme et ce film, via la vĂ©ritĂ©, vĂ©cue et Ă©noncĂ©e, de la femme filmĂ©e, a pouvoir de nous faire Ă©prouver notre Ăąme... Si on le veut bien... naturellement : Ce film peut nous offrir une belle mise en abyme sur la question du beau.
Votre tĂ©moignage est trĂšs beau et c'est vrai que nous sommes beau. avec nos diffĂ©rences qui nous rend notre beautĂ© naturelle que celui oĂč celle qui sent nulle, je lui dirais aime toi tu et belle tu es beau
21 FĂ©vrier 2022 16:36 - Damase Gilles
Excellent, merci, je partage sur Facebook bien Ă©videmment. Bouddha dit : "Accepte ce qui est, laisse aller ce qui Ă©tait et aie confiance en ce qui sera"
Formidablement bien réalisé. Les doutes d' une femme concernant son anatomie sont dits simplement et pourtant ils font mouche. Bravo. Et votre corps est trÚs bien.
ça fait tellement de bien, la simplicité, celle d'une bible retournée qui n'aura que l'écho de sa propre disparition, merci de votre corps, de cette voix qui l'accompagne et de revenir enfin au Tout, le Grand Chemin.
merci Ă vous de permettre cette "fenĂȘtre de crĂ©ation", pour regarder son corps comme un paysage en horizon d'ĂȘtre soi(s) pleinement
3 Mai 2021 19:48 - Claire L'Embrasse CĆur
Merci de proposer ce film, magnifique et touchant. Il m'a beaucoup inspirée pour l'écriture de mon article "Diversité, altérité, sororité" qui traite de la transmission et du regard que l'on porte sur son corps. Voici le lien pour ceux que ça intéresserait ^^ : (https://www.lembrassecoeur.fr/diversite-alterite-sororite/)
8 Mars 2021 16:51 - Bernadette Filoche
Emotion intense qui submerge... Paysage de saisons qui s'écoulent... tantÎt bourrasques... tantÎt mer étale.. Une phrase Miyazaki me vient à l'esprit : le jour se lÚve, il faut tenter de vivre... Subjuguée... Merci
Je suis artiste peintre. Je travaille sur le nu. Et je rĂ©agis comme Catherine Berstein le dit. Je reçois ce film avec une immense Ă©motion. Cette confession est touchante, profonde, sincĂšre et donne Ă voir le corps avec plus de sensibilitĂ© et d'humanitĂ©. On le perçoit souvent comme objet ou support de plaisir. On le voit lĂ comme lieu de vie, un endroit oĂč l'on peut souffrir, qui pose questions, qui change, un palimpseste sur lequel la vie Ă©crit et rĂ©Ă©crit encore et encore et dont l'Ă©volution est difficile Ă apprivoiser et Ă accepter.
Jâai adorĂ© car jâai retrouvĂ© Catherine non pas comme elle est mais comme elle Ă©tait( Quand je lâai connue et adolescente) Ă travers ses yeux cette voix qui a changĂ© cette femme quâelle est devenue, magnifique vraiment!
Je suis encore toute Ă©mue, câest par hasard en regardant Arte que je vi
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