Bombardements de la France par les alliés

Bombardements de la France par les alliés

La suite

Le feu vert de Roosevelt aux massacres de civils normands

La connaissance des conditions dans lesquelles se sont effectuées les bombardements aériens de nombreuses villes normandes en juin 1944 s’est enrichie les dernières années par la parution d’ouvrages d’historiens, par des témoignages des acteurs militaires et par des recherches scientifiques, qui viennent compléter d’une façon très documentée ceux, rédigés par les historiens régionaux ou locaux.

Le responsable politique principal de bombardements de civils est le président des Etats-Unis de l’époque, Franklin Roosevelt. Dans son message au Premier ministre britannique de 11 mai, il répond : « Je ne suis pas prêt à imposer une quelconque restriction d’action aux responsables militaires qui pourrait provoquer des pertes additionnelles parmi les forces d’invasion alliées ». Le feu vert politique est ainsi donné aux chefs militaires anglo-américains.

Nantes

Ceux-ci ont, pour nom, tout d’abord, le Général Montgomery, chef du 21e groupe d’armée allié, qui a fait planifier par ses services, fin avril 1944 la destruction de 36 villes normandes « road blocks » (barrages routiers). En d’autres termes, l’armée voulait que l’aviation pulvérise des localités françaises pour ralentir les mouvements de troupes allemandes. Il a été « couvert » par Eisenhower, le commandant d’Overlord, qui était, à son tour, fortement soutenu par le Maréchal britannique Leigh Mallory — commandant en chef des forces aériennes anglo-américaines.

D’autres hauts responsables anglo-américains : britannique Arthur Harris — Bomber Command et de l’américain Spaatz — US Strategic Air Forces. Bien que faisant état de leurs réserves avant l’exécution des bombardements « road blocks » (pour des raisons autres qu’humanitaires), ils n’en obéiront pas moins aux ordres reçus.


Les visualisations offrent un regard inédit sur ce qu’ont pu vivre les Français sous un ciel en guerre


«Transformer les villes en champs de ruines»

Le général Eisenhower, décrit en mai 1944 le rôle essentiel dévolu à l’aviation dans l’opération « Transportation plan ». Il a établi deux objectifs principaux pour ses bombardiers lourds.

Tout d’abord, la destruction du système ferroviaire français, le but est de paralyser les infrastructures pour empêcher l’envoi de renforts allemands vers les zones de débarquement et ensuite la démolition d’un certain nombre de villes normandes carrefours (Saint-Lô, Caen…) « pour les transformer en champs de ruines difficiles à franchir pour les troupes allemandes » explique Andrew Knapp, historien et auteur de « Les Français sous les bombes alliées, 1940-1945 » aux éditions Tallandier.

Noisy-le-Sec

Les bombardements en Normandie avant le 6 juin 1944, le jour même du débarquement et après, furent particulièrement dévastateurs. L’historien français Henri Amouroux dans La grande Histoire des Français sous l’occupation déclare que les bombardements anglo-américains ont fait environ 52 000 victimes : 20 000 civils furent tués dans le Calvados, 14 800 dans la Manche, 10 000 en Seine-Inférieure, 4 200 dans l’Orne, 3 000 dans l’Eure.


Depuis Londres, le service français de la BBC tente, dans une émission du 26 avril 1944, de les justifier : « Cette nécessité est horrible. Sans doute jamais dans l’Histoire aucun allié n’a-t-il dû infliger des blessures aussi sanglantes et aussi pénibles à un autre peuple allié et ami ».

Vire


Les villes les plus détruites :

Calais (Pas-de-Calais) : 95 %

Vire (Calvados) : 95 %

Le Portel (Pas-de-Calais) : 94 %

Dunkerque (Nord) : 90 %

Villers-Bocage (Calvados) : 88 %

Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) : 85 %

Le Havre (Seine-Maritime) : 82 %

Beauvais (Oise) : 80 %

Saint-Lô (Manche) : 77 %

Falaise (Calvados) : 76 %

Lisieux (Calvados) : 75 %

Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) : 100 %

Lorient (Morbihan) : 80 %

Tilly-la-Campagne (Calvados) : 96 %

Brest (Finistère) : 80 %


Les bombardements alliés les plus meurtriers durant l’occupation allemande sont :

Dunkerque, 27 mai 1940 : plus de 1000 morts (surtout civils)

Boulogne-Billancourt 2–3 mars 1942, plus de 600 morts,

Saint-Nazaire 9, 14, 17 et 18 novembre 1942, 228 morts,

Rennes 8 mars 1943, 299 morts,

Boulogne-Billancourt 4 avril 1943, 403 morts,

Le Portel 8 septembre 1943, 510 morts,

Banlieue Ouest de Paris 9 et 15 septembre 1943, 395 morts,

Nantes 16 et 23 septembre 1943, 1 247 morts,

Toulon 24 novembre 1943, 450 morts,

Lille 9 et 10 avril 1944, 600 morts,

Rouen 18 et 19 avril 1944, 900 morts,

Noisy-le-Sec 18 et 19 avril 1944, 464 morts,

Juvisy-sur-Orge 18 et 19 avril 1944, 392 morts,

Paris 20 et 21 avril 1944, 670 morts,

Cambrai du 27 avril au 18 août 1944, 250 morts

Sartrouville 27 et 28 mai 1944, 400 morts,

Orléans 19 et 23 mai 1944, 300 morts,

Saint-Etienne 26 mai 1944, plus de 1 000 morts,

Lyon 26 mai 1944, 717 morts,

Marseille 27 mai 1944, 1 752 morts,

Avignon 27 mai 1944, 525 morts,

Rouen 30 mai au 5 juin 1944, 500 morts,

Lisieux 6 et 7 juin 1944, 700 morts,

Vire 6 et 7 juin 1944, 400 morts,

Caen 6 et 7 juin 1944, plus de 1 000 morts,

Le Havre 5 au 11 septembre 1944, plus de 5 000 morts,

Royan 5 janvier 1945, 1 700 morts

Le 27 mai 1943, les bombardements alliés firent 3 012 victimes civiles à Marseille, Avignon, Nîmes, Amiens, Sartrouville, Maisons — Laffitte et Eauplet.


«Roadblocks» ou bombardements inutiles

Zolly Zuckerman, l’expert impliqué de près dans la planification des opérations aériennes préparatoires d’« Overlord » et notamment, à partir de janvier 1944, à la conception du « Transportation Plan », qui vise à détruire les nœuds ferroviaires français (centres de triage, dépôts de locomotives, centres de réparation ferroviaire…) pour paralyser le moment venu les mouvements de troupes allemandes de l’intérieur vers les zones du futur débarquement. Comme sur le théâtre méditerranéen, Zuckerman va déconseiller, en raison de leur inefficacité, les raids sur les nœuds routiers (« road blocks »). Le 5 mai 1944, dans un rapport rédigé par lui, il indique notamment que :


« Dans l’ensemble, ces attaques ne semblent pas capables de produire autre chose que des retards mineurs dans le trafic ennemi (…) Il apparaît clairement que ces opérations contre des villages ne peuvent qu’avoir de très légers effets sur les communications ennemies. La forte densité du système routier couvrant l’ensemble de la Normandie offre de telles possibilités de routes alternatives que l’ennemi peut même ne pas se donner la peine de déblayer les dégâts. »

Rouen

L’utilité et l’efficacité militaires des bombardements « roadblocks » sont contestées jusqu’au sein de l’AEAF (haut commandement aérien anglo-américain) par les hauts responsables du bombardement aérien, Spaatz, Doolittle, Tedder, qui obéiront néanmoins aux ordres de Leigh Mallory, couverts par Montgomery et Eisenhower. Les bombardements « roadblocks » vont montrer leur inefficacité militaire après qu’ils auront été réalisés, cette inefficacité étant reconnue par l’un des principaux promoteurs de ce type de bombardement, le Maréchal britannique Leigh Mallory lui-même, par des témoignages allemands, et par l’évolution de la situation militaire en Normandie à partir du 6 juin 1944.

Caen

Les témoignages bouleversants de survivant à Caen : « Où puis-je trouver des documents qui essaient de fournir une explication à cette stratégie insensée de destruction quasi totale de Caen, de Lisieux, de Saint-Lô, etc. Quels résultats 2000 civils tués à Caen et combien de blessés ? … Tout un patrimoine architectural et historique réduit en cendre ! Et de plus… résultat : les blindés de Montgomery furent dans l’impossibilité de traverser Caen, bloqués par les destructions de leur propre aviation ! …»


Une violence sous silence : le bombardement de la France par les Alliés

Par Victor Bissonnette, Université du Québec, Montréal


Des recherches préliminaires effectuées en novembre et décembre 2016 révèlent qu’en France les monuments aux victimes de la guerre sont majoritairement dédiés aux résistants, martyrs et combattants, donc à ceux qui ont perdu la vie du fait de l’ennemi. Les victimes civiles sont parfois mentionnées, mais rarement en lien avec les bombardements, et jamais en référant directement aux alliés. Au niveau national, il semble exister un silence quasi complet jusqu’au discours du président François Hollande prononcé le 6 juin 2014 à l’occasion du 70e anniversaire du débarquement. Depuis, les commémorations des bombardements alliés sur la France et leur traitement historiographique semblent prendre leur essor.


Liens:

https://www.mondialisation.ca/bombardements-inutiles-en-normandie-en-1944-le-cas-des-road-blocks/5635012


https://www.erudit.org/fr/revues/histoire/2019-v36-n2-histoire05089/1066850ar/


“Au-delà des plages : La guerre des Alliés contre la France” Auteur — Stephen Alan Bourque, traduction — Simon Duran. La vérité qui dérange.

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