August se fait bien prendre
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August se fait bien prendre
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(27 av. J.-C. â 14 ap. J.-C.)
Auguste
(Caius Julius Caesar Octavianus Augustus)
Le teint maladif, froid comme un serpent, perpĂ©tuellement engoncĂ© dans des lainages Ă la propretĂ© douteuse, Octave, le petit-neveu de CĂ©sar nâavait rien pour Ă©mouvoir les foules.
« Il faut que le temps soit un grand magicien pour avoir su tirer de cette chrysalide Ă©trange le papillon merveilleux qui sâappellera Auguste », commente ce vieux facho, mais souvent judicieux Benoist-MĂ©chin (ClĂ©opĂątre, ou le rĂȘve Ă©vanoui).
De fait, il fallait tout le gĂ©nie du grand Jules pour discerner chez Octave, dissimulĂ© sous les dĂ©courageantes apparences de ce disgracieux jeune homme, le caractĂšre dâun fondateur dâEmpire.
La mĂšre dâOctave, qui rĂ©pondait au doux nom dâAtia, Ă©tait la niĂšce de CĂ©sar (fille de sa sĆur Julia) â (Voir tableau gĂ©nĂ©alogiqude la famille Julio-Claudienne).
Il est vraisemblable quâen convolant avec Octavius, un obscur banquier de province, cette donzelle nâavait guĂšre Ă©pousĂ© quâun portefeuille bien garni ! Quelles autres raisons que bassement pĂ©cuniaires auraient pu en effet expliquer une telle mĂ©salliance. Rendez-vous un peu compte : lâune des plus fines fleurs du gotha romain Ă©pouser le petit « chevalier » Octavius ! Mais voilĂ , cet Octavius Ă©tait, certes, issu dâune famille modeste, mais il Ă©tait aussi (et surtout) plein aux as !⊠« Beau comme CrĂ©sus », tel Ă©tait son principal mĂ©riteâŠ
Il est Ă©galement vrai quâĂ cette Ă©poque (vers -63), la prometteuse carriĂšre politique de Jules CĂ©sar sâavĂ©rait surtout nâĂȘtre pour sa « familia » quâune entreprise ruineuse, un gouffre financier. Les suffrages coĂ»taient fort cher, et lâargent frais dâun richissime banquier valait bien une lĂ©gĂšre entorse au code dâhonneur de la caste sĂ©natoriale !
Octave (futur Auguste) naquit Ă Rome le 23 septembre -63, un peu avant le lever du soleil.
Son pĂšre mourut quand il avait quatre ans.
Ă lâage de douze ans, il prit pour la premiĂšre fois la parole en public pour prononcer lâĂ©loge funĂšbre de sa grand-mĂšre Julia. En -45, il rejoignit CĂ©sar qui luttait en Espagne contre les fils de PompĂ©e le Grand.
LâannĂ©e suivante (-44) son grand-oncle Jules, dĂ©sormais seul maĂźtre de Rome, lâenvoya en Ăpire, un peu pour y parfaire son Ă©ducation, beaucoup pour y prĂ©parer son expĂ©dition contre les Parthes, laquelle devait commencer par lâasservissement de la Dacie (Roumanie actuelle). Câest lĂ , Ă Apollonia (aujourdâhui Vallonia, en Albanie), quâil apprit lâassassinat de CĂ©sar, lardĂ© de vingt-deux coups de poignards par Brutus, Cassius et leurs sĂ©ides (15 mars -44).
Un instant, Octave songea Ă rassembler les lĂ©gions cantonnĂ©es dans les parages et Ă marcher sur Rome. Mais il Ă©tait encore bien trop tendre, bien trop inexpĂ©rimentĂ©, bien trop peu connu pour se lancer dans une telle aventure. Il revint donc en Italie comme un simple particulier. Ce nâest quâĂ son arrivĂ©e Ă Brindisi quâil apprit que CĂ©sar, avant sa mort, lâavait adoptĂ©.
MalgrĂ© les apprĂ©hensions de ses proches, il accepta la succession. DĂ©sormais, il sâappellerait officiellement Caius Julius CĂŠsar Octavianus. (Mais nous, nous continuerons cependant de lâappeler Octave comme devant â du moins jusquâĂ ce quâil devienne Auguste !).
Dans la rĂ©alitĂ© des faits, ce nouveau patronyme, tout prestigieux quâil fĂ»t, ne changeait pas grand-chose Ă la situation du jeune Octave sur lâĂ©chiquier politique romain. Fils adoptif de CĂ©sar ou non, il ne comptait guĂšre que pour des clopinettes !
Antoine, ancien lieutenant du Jules CĂ©sar, nâavait laissĂ© Ă nul autre lâhonneur de prĂ©sider aux funĂ©railles de son ancien chef. Il ne se prĂ©occupait pas le moins du monde dâOctave, cet avorton malsain et insignifiant : nâĂ©tait-il pas aux yeux de tous, lâunique dĂ©positaire de la pensĂ©e du grand dictateur ? Consul dĂ©signĂ© pour lâannĂ©e -44, ce colosse mĂ©galo dâAntoine estimait nâavoir besoin de personne pour tenir Rome en main et chĂątier les assassins de son chef bien-aimĂ©, ces Brutus, Cassius et consorts qui prĂ©tendaient avoir « libĂ©rĂ© la Ville » et « restaurĂ© la RĂ©publique ». Quant Ă ce minus dâOctave, quâil se contente donc du glorieux patronyme quâil venait endosser ! Le nom du plus grand des Romains nâĂ©tait-il pas dĂ©jĂ un fardeau bien trop lourd pour ces Ă©paules dĂ©biles ?
Cependant Octave, lui aussi, se voulait « Continuateur du grand Jules » ! Et pas seulement Ă titre honorifique ou subsidiaire ! Les deux principaux Ă la succession de CĂ©sar, adversaires du jour, mais alliĂ©s naturels, allaient donc â tĂŽt ou tard, bon grĂ© mal grĂ© â ĂȘtre forcĂ©s de sâentendre.
Contrairement Ă Octave, Antoine, ne brillait guĂšre par lâintelligence politique (ou mĂȘme par lâintelligence tout court) ; il voulait tout le pouvoir, tout seul, sâestimant assez fort pour venir Ă bout de tout qui sâopposerait Ă lui !
La situation resta fort confuse jusquâen -43.
Devant lâacharnement dâAntoine à « la jouer perso », Octave rallia mĂȘme un instant le parti sĂ©natorial, qui Ă©tait aussi celui des assassins de son pĂšre adoptif. Il put ainsi infliger Ă Antoine, sous les murs de ModĂšne, une dĂ©faite qui ramena son rival Ă un sens plus juste des rĂ©alitĂ©s (avril -43). En outre, Octave soudoya ce braillard cupide de CicĂ©ron afin quâil mĂźt tout son talent rhĂ©torique au service de la calomnie et ruinĂąt la rĂ©putation de ce grand soudard avinĂ© dâAntoine.
Le machiavĂ©lisme dâOctave porta ses fruits. En novembre -43, Antoine Ă©tait suffisamment affaibli pour traiter avec lui sur un pied dâĂ©galitĂ©. Sous lâĂ©gide de M. Ămilius Lepidus (LĂ©pide) les deux hommes se rencontrĂšrent dans une Ăźle situĂ©e sur une riviĂšre prĂšs de Bologne.
Octave et Antoine, dâun tempĂ©rament diamĂ©tralement opposĂ©, ne sâestimaient guĂšre, aussi ce nâest quâaprĂšs de longues et pĂ©nibles tractations quâun accord fut enfin conclu : ce fut le Second Triumvirat.
Contrairement au premier Triumvirat, conclu vingt annĂ©es plus tĂŽt entre CĂ©sar, PompĂ©e et Crassus et qui nâĂ©tait quâune alliance formelle, il sâagissait ici dâun pacte lĂ©gal, dâune loi (Lex Titia) qui rĂ©glait le gouvernement de lâEmpire romain pour cinq ans (jusquâau 31 dĂ©cembre -38).
Cependant, comme les provinces orientales de lâEmpire Ă©taient aux mains des assassins de CĂ©sar, les Triumvirs ne sâaccordĂšrent, dans un premier temps, que des zones dâinfluence en Occident : LĂ©pide sâoctroyait lâEspagne et la Gaule Narbonnaise, Antoine la Gaule proprement dite et la Cisalpine, tandis quâOctave administrerait la Sicile, la Sardaigne et lâAfrique.
AprĂšs sâĂȘtre partagĂ© lâOccident, le Triumvirat renfloua son trĂ©sor de guerre en publiant des listes de proscriptions. Une Ă©puration sanglante sâensuivit. Sur les plus lĂ©gers soupçons, une multitude de citoyens furent exĂ©cutĂ©s sans jugement, mais non sans cruautĂ©, et leurs biens tombĂšrent aux mains de lâĂtat, en lâoccurrence dans celles des « Triumvirs » !
Câest alors que, parmi bien dâautres, ce bavard de CicĂ©ron perdit la vie, la tĂȘte et les mains : ce rancunier dâAntoine, qui nâavait que fort modĂ©rĂ©ment goĂ»tĂ© la verve venimeuse des « Philippiques », avait exigĂ© que le sang de lâorateur lave son honneur calomnié⊠et son tout nouvel ami Octave avait obligeamment, mais sans vergogne ni scrupules excessifs, « lĂąché » son ancien alliĂ© devenu par trop encombrant.
Leur trésor de guerre bien rempli, les Triumvirs purent alors régler définitivement leur compte aux assassins de César.
Ce nâest pas quâils tinssent mordicus Ă venger la mort de leur ami, protecteur, pĂšre adoptif ou grand-oncle. Non, sâils voulaient sacrifier Brutus, Cassius et consorts aux mĂąnes du grand Jules, câest uniquement parce que voir les provinces orientales, si riches et si peuplĂ©es dans dâautres mains que les leurs, cela leur faisait mal au ventre, Ă ces cupides !
Les conjurés des Ides de Mars furent battus à Philippes et à plates coutures (-42). Cassius et Brutus se suicidÚrent.
Antoine avait vaillamment combattu. Octave, lui, ne se distingua guĂšre par son courage personnel sur le champ de bataille ! On dit mĂȘme quâil ne sortit de lâombre protectrice de sa tente bien gardĂ©e que pour chĂątier les adversaires vaincus⊠« Il nâusa pas de la victoire avec modĂ©ration » dit lâhistorien SuĂ©tone en un ironique euphĂ©misme. En fait, lâĂ©puration ordonnĂ©e par Octave fut si fĂ©roce, si sanglante et si sauvage que ses propres soldats en furent indignĂ©s. Lors du dĂ©filĂ© de la victoire, ils acclamĂšrent copieusement Antoine, mais vouĂšrent le faible et vindicatif Octave Ă tous les diables de lâenfer !
Les provinces orientales « libĂ©rĂ©es », une nouvelle rĂ©partition des zones dâinfluence des Triumvirs sâimposait (Paix de Brindisi -40).
Antoine, principal artisan de la victoire des « CĂ©sariens », sâoctroya, tout naturellement, la part du lion : tout en conservant la Gaule et la Cisalpine, il fit main basse sur tout lâorient romain. Octave, lui, obtint la plus grande partie de lâOccident (Italie, Espagne), tandis que le pĂąle LĂ©pide dut se contenter des provinces africaines. En outre, pour sceller cet accord, Antoine Ă©pousait Octavie, la sĆur dâOctave.
Le triumvirat fut reconduit en -37 et devait assurer sept ans de paix relative (entre -40 et -33).
Octave, qui commençait petit Ă petit Ă trouver ses marques dâhomme dâĂtat de gĂ©nie, profita de ce dĂ©lai pour renforcer sa position dans la partie occidentale de lâEmpire.
Il lutta tout dâabord contre Sextus PompĂ©e, le fils cadet du grand PompĂ©e. Ce PompĂ©e Junior avait, naturellement, pris le parti des assassins de CĂ©sar et profitĂ© de la guerre civile pour se tailler un puissant empire maritime en MĂ©diterranĂ©e.
Cette guerre navale fut extrĂȘmement dure, et, surtout, trĂšs pĂ©rilleuse pour le pouvoir du Triumvir dâOccident.
Sextus PompĂ©e, fort de sa suprĂ©matie navale, avait Ă©tabli un fort efficace « blocus continental ». Ă Rome, oĂč la famine menaçait, le petit peuple de la capitale Ă©tait au bord de la rĂ©bellion alors que lâautoritĂ© dâOctave y Ă©tait encore si mal assurĂ©e. AprĂšs avoir perdu deux flottes lors de tempĂȘtes et frĂŽlĂ© le dĂ©sastre Ă plusieurs reprises, Octave (ou plutĂŽt Agrippa, son principal lieutenant) parvint enfin Ă anĂ©antir les forces navales de PompĂ©e (bataille de Nauloque â Nord de la Sicile â 36 av. J.-C).
LâĂ©phĂ©mĂšre maĂźtre de la MĂ©diterranĂ©e, qui avait trouvĂ© refuge Ă Milet, fut exĂ©cutĂ© peu aprĂšs sur lâordre dâAgrippa.
Inutile de dire que, dans cette lutte inexpiable, les Ă©quipages dâOctave (et dâAgrippa) avaient acquis une expĂ©rience qui allait sâavĂ©rer dĂ©terminante en vue dâune lutte avec Antoine qui sâannonçait aussi imminente que dĂ©cisive.
Octave profita aussi de lâavantage et du prestige qui lui avait confĂ©rĂ© sa victoire contre PompĂ©e pour se dĂ©barrasser de son collĂšgue, le Triumvir LĂ©pide. Il lui confisqua ses riches possessions africaines et lâenvoya moisir en exil au Sud de Rome, dans ces insalubres Marais Pontins, lĂ oĂč il ne risquait guĂšre de faire de vieux os.
La MĂ©diterranĂ©e purifiĂ©e des pirates Ă la solde de PompĂ©e, Octave mit Ă profit les quelques annĂ©es de survie du Triumvirat agonisant pour sâemparer de lâIllyrie et des cĂŽtes dalmates (Croatie, Serbie, Albanie et MontĂ©nĂ©gro actuels â Voir carte des conquĂȘtes dâAuguste en Occident). Il sâagissait dâabord pour lui de renforcer sa mainmise sur lâOccident, mais aussi (et surtout) de sâassurer le contrĂŽle de cette zone-tampon entre la partie occidentale de lâEmpire, quâil contrĂŽlait dĂ©jĂ , et lâOrient romain, soumis Ă Antoine.
Lâannexion de ces contrĂ©es paraissait Ă Octave dâun si haut intĂ©rĂȘt stratĂ©gique quâil conduisit personnellement les opĂ©rations militaires â une fois nâest pas coutume ! Lors de cette campagne contre ces rudes montagnards illyriens, il fut mĂȘme, aux dires de lâhistorien SuĂ©tone, blessĂ© Ă deux reprises : un coup de fronde au genou droit et diverses blessures aux jambes et aux bras lors de la chute dâun pont.
Toujours pour cette pĂ©riode qui couvre les derniĂšres annĂ©es de la tumultueuse association avec Antoine, il faut encore signaler un fait qui nâest peut-ĂȘtre pas Ă©tranger Ă la progressive « humanisation » de ce monstre froid quâĂ©tait, Ă lâorigine, le jeune Octave.
Vers lâannĂ©e 40 (avant J.-C.), le jeune Triumvir tomba Ă©perdument amoureux de Livie, celle qui allait devenir, au sens propre, la femme de sa vie.
On ne peut pas dire que les circonstances favorisaient cette idylle ! Livie Ă©tait dĂ©jĂ mariĂ©e (Ă Tiberius Claudius Nero), elle Ă©tait dĂ©jĂ mĂšre dâun garçonnet de trois ans (le futur empereur TibĂšre), et enfin, elle Ă©tait durement enceinte dâun autre enfant (le futur Drusus). Quant Ă Octave, il en Ă©tait dĂ©jĂ Ă ses deuxiĂšme noces, et Scribonia, cette seconde Ă©pouse, attendait, elle aussi, un enfant !
Mais enfin, lâAmour renverse tous les obstacles ! Octave attendit patiemment que sa moitiĂ© accouche dâune fille (la fameuse Julie) puis divorça sans mĂ©nagement ni regrets excessifs. Vade retro Scribonia ! DĂ©gage !
Autre bonne raison de se dĂ©barraser de cette empĂȘcheuse de convoler en rond : ce mariage Ă©tait en passe de perdre toute utilitĂ© politique puisque ladite Scribonia Ă©tait une parente de ce Sextus PompĂ©e dont la flotte allait ĂȘtre anĂ©antie incessamment sous peu !
Il ne restait plus Ă Octave quâĂ ordonner au collĂšge des Pontifes (qui Ă©tait « à sa botte » puisquâil en Ă©tait le membre le plus Ă©minent â câest-Ă -dire le plus dangereux â sans pour autant en ĂȘtre encore le chef) de dissoudre le mariage de la belle, pour enfin, le 17 janvier -38, Ă©pouser en justes troisiĂšmes noces cette jolie Livie, toujours aussi durement enceinte des Ćuvres de son ancien mari.
Seule concession dâOctave Ă tous les ragots qui entourĂšrent cette union (et qui redoublĂšrent Ă lâoccasion de la naissance dâun enfant trois mois aprĂšs les noces) : il se rĂ©solut Ă restituer Ă leur pĂšre lĂ©gitime Tiberius Claudius Nero les fils de Livie (le futur TibĂšre et son cadet Drusus, le « prĂ©maturé » de trois mois).
Ce nâĂ©tait lĂ quâune minime concession au quâen-dira-t-on, et qui ne retarda guĂšre que de quelques annĂ©es lâagrandissement de sa « familia » quâenvisageait le Triumvir dâOccident : en -33, lâancien mari de Livie mourut prĂ©maturĂ©ment. Ses deux enfants furent alors, tout naturellement, recueillis par Octave, leur beau-pĂšre. Celui-ci se prit bien vite dâaffection pour le jeune Drusus, mais ne put jamais aimer rĂ©ellement lâaĂźnĂ© des fils de Livie, ce TibĂšre qui, sans pourtant ĂȘtre dĂ©nuĂ© de rĂ©elles qualitĂ©s intellectuelles, montrait dĂ©jĂ , dĂšs son plus jeune Ăąge, un caractĂšre orgueilleux, ombrageux et renfermĂ©.
Pendant quâOctave renforçait sensiblement sa position en Occident, Antoine, lui, nâen ratait pas une !
AprĂšs la bataille de Philippes, alors quâil sĂ©journait Ă Tarse (Sud de la Turquie actuelle), ce matamore convoqua ClĂ©opĂątre devant son tribunal afin quâelle rĂ©pondĂźt de lâaide quâelle avait, dit-on, apportĂ©e aux assassins de CĂ©sar. Antoine proclamait Ă tout vent quâil allait se montrer inflexible, impitoyable envers ce serpent de Nil⊠Mais dĂšs que la reine dâĂgypte dĂ©barqua de sa galĂšre royale, le dĂ©ploiement de faste quâelle dĂ©ploya Ă©blouit tant ce grand benĂȘt dâAntoine quâil ne fut plus question de mise en accusation. FascinĂ© par un tel Ă©talage de luxe, entraĂźnĂ© dans un tourbillon de fĂȘtes somptueuses, de festins pharaoniques et de banquets fĂ©eriques, enivrĂ© de vin des Pyramides, quasi asphyxiĂ© par les lourds parfums orientaux, lâancien lieutenant de CĂ©sar succomba irrĂ©mĂ©diablement au charme de la petite reine.
MĂȘme le mariage dâAntoine avec Octavie, la propre sĆur dâOctave, cette union dâun Ă©minent intĂ©rĂȘt politique, ces noces qui scellaient la paix de Brindisi (septembre -40) ne parvinrent pas Ă dĂ©tourner Antoine, cette tĂȘte folle, de la fascination quâexerçait ClĂ©opĂątre sur lui. AprĂšs quatre ans de vie commune avec Octavie, il plaqua sa femme et ses enfants lĂ©gitimes et revint vers sa ClĂ©opĂątre chĂ©rie, la queue entre les jambes.
Vous pouvez imaginer quâOctave nâapprĂ©cia que trĂšs modĂ©rĂ©ment lâaffront fait Ă sa petite sĆur chĂ©rie !
Pour les vrais Romains, le comportement dâAntoine devint alors totalement incomprĂ©hensible. CâĂ©tait vraiment le monde Ă lâenvers ! Imaginez un peu : pour que sa maĂźtresse Ă©gyptienne lui pardonne dâavoir Ă©pousĂ© Octavie, cet irresponsable dâAntoine ne projetait-il pas de lui abandonner, Ă cette pute de ClĂ©opĂątre et Ă ses bĂątards, la presque totalitĂ© de lâOrient romain ! Et ce nâest pas tout : AprĂšs sâĂȘtre rabibochĂ© avec son impĂ©rieuse et exotique bien-aimĂ©e, le Triumvir ne sâĂ©tait-il pas lancĂ© dans une dĂ©sastreuse expĂ©dition militaire contre les Parthes de MĂ©sopotamie, sacrifiant ainsi la fleur de ses lĂ©gions aux ambitions dĂ©mesurĂ©es de cette enjĂŽleuse qui rĂȘvait â quelle folie ! â de rĂ©tablir lâempire dâAlexandre le Grand.
Quarante-huit mille fantassins et vingt mille cavaliers morts au champ dâhonneur pour le joli nez de ClĂ©opĂątre⊠Autant dire pour des prunes ! (-37)
Bien sĂ»r, en 34 avant J.-C., Antoine lava lâhonneur des aigles romaines en infligeant une cinglante correction au roi dâArmĂ©nie, une authentique dĂ©gelĂ©e qui, par contrecoup, ramena le roi des Parthes Ă plus de modĂ©ration. Mais hĂ©las, lâamant de ClĂ©o ayant rĂ©ussi « le coup de gĂ©nie » de transformer cette victoire militaire en dĂ©sastre politique, le rĂ©sultat de cette demi-victoire sâavĂ©ra encore plus nuisible quâune dĂ©faite. En effet, Antoine choqua une fois de plus les vieux Romains traditionalistes en cĂ©lĂ©brant son triomphe Ă Alexandrie au lieu de rentrer Ă Rome pour recevoir les lauriers de la victoire des mains de ses concitoyens. « A Alexandrie, rendez-vous compte ! Dans une capitale Ă©trangĂšre ! Antoine voudrait transfĂ©rer la gloire et la richesse de Rome sur les bords du Nil quâil ne sây prendrait pas autrement ! »
Comble de maladresse, sans mĂȘme demander lâavis prĂ©alable du SĂ©nat de Rome, Antoine profita de cette cĂ©rĂ©monie illĂ©gale pour concrĂ©tiser toutes les promesses que, pour se faire pardonner son « adultĂšre » avec Octavie, il avait inconsidĂ©rĂ©ment faites Ă sa royale concubine.
Il dĂ©mantela littĂ©ralement la partie orientale de lâEmpire romain au profit des enfants de sa belle : CĂ©sarion, fils de Jules CĂ©sar et de ClĂ©opĂątre, bombardĂ© du titre ronflant de « Roi des Rois », Ă©tait nommĂ© co-rĂ©gent dâĂgypte ; Alexandre-HĂ©lios, fils dâAntoine et de ClĂ©opĂątre devenait, Ă lâĂąge de six ans, roi dâArmĂ©nie et de MĂ©die ; sa sĆur ClĂ©opĂątre-SĂ©lĂ©nĂ© recevait les royaumes de la cĂŽte dâAfrique du Nord, depuis lâOuest Ă©gyptien jusquâĂ la Tunisie actuelle. Enfin, le tout jeune PtolĂ©mĂ©e (deux ans) se voyait confĂ©rer les trĂŽnes de PhĂ©nicie, de Cilicie et de Syrie.
Octave, ravi de la tournure prise par les Ă©vĂ©nements, ne rata pas lâoccasion de profiter des gaffes rĂ©pĂ©tĂ©es de son beau-frĂšre et rival. Il convoqua le SĂ©nat et lui donna lecture du testament dâAntoine, ce texte dans lequel lâamant de ClĂ©opĂątre dĂ©taillait ses donations abusives.
Les honorables PĂšres Conscrits, outrĂ©s dâĂȘtre mis devant le fait accompli, indignĂ©s dâĂȘtre traitĂ©s « par-dessus la jambe », scandalisĂ©s dâĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des « bĂ©ni-oui-oui » par ce gĂ©nĂ©ral avinĂ© devenu le pathĂ©tique pantin de sa « putain Ă©gyptienne », les SĂ©nateurs donc, comme un seul homme, dĂ©churent Antoine de sous ses pouvoirs « vu quâil avait laissĂ© une femme les exercer Ă sa place » et dĂ©clarĂšrent la guerre Ă cette reine dâĂgypte qui humiliait tant lâorgueil national romain.
Cette guerre sâannonçait difficile pour Octave. Son adversaire avait rĂ©uni en GrĂšce une formidable coalition. En fait, on pourrait mĂȘme dire que câĂ©tait tout lâOrient qui sâĂ©tait mobilisĂ© pour barrer la route aux ambitions dâOctave. On y voyait, Ă la tĂȘte de leurs contingents, le roi de MaurĂ©tanie, le roi de Haute-Cilicie, le roi de Cappadoce, les rois de Paphlagonie, de CommagĂšne, de Thrace, celui de Galatie et mĂȘme un chef bĂ©douin dâArabie. Pour renforcer ces Ă©lĂ©ments disparates, Antoine pouvait Ă©galement compter sur dix-huit lĂ©gions aguerries par les campagnes contre les Parthes et sur les lourdes galĂšres Ă©gyptiennes mises Ă sa disposition par sa royale concubine. De plus, avantage non nĂ©gligeable, le Triumvir, qui avait la maĂźtrise de la mer, pouvait «Â
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