A Hong Kong, les contestataires dénoncent et dessinent

A Hong Kong, les contestataires dénoncent et dessinent

François Bougon
Le mouvement de protestation qui agite l’ancienne colonie britannique est entré dans son septième mois. La contestation est dans la rue, mais également sur les dessins et les affiches qui tapissent les espaces publics et circulent sur le Net et dans les groupes Telegram qui relient les manifestants. Car là aussi il s’agit de suivre le mot d’ordre « Be Water ». Illustrations.
À l'université baptiste de Hong Kong, le 26 novembre 2019, a été posée une réplique d'une déesse de la démocratie avec des inscriptions en français. © FB


Hong Kong (Chine), envoyé spécial.– En temps normal, la vie de l’université baptiste de Hong Kong est rythmée par les va-et-vient des étudiants et des professeurs, par les heures de cours et les moments de détente caractéristiques d’un campus. Le lieu bouillonne de vie dans un cadre magnifique : au nord se détache la roche du Lion, un sommet de 495 mètres dont le pic fait penser à l’animal sauvage et qui est l’un des symboles de Hong Kong – on évoque ainsi « l’esprit de la roche et du Lion » pour rendre hommage aux générations de Hongkongais qui ont bâti cette ville-État.

Mais depuis la mi-novembre, la faculté est étrangement calme. Les étudiants étrangers sont rentrés chez eux, tout comme ceux venus du continent. Les cours se font en ligne après la suspension des classes décidée à la suite des violences qui ont éclaté sur les campus de deux autres universités de la ville, Chinese University (Chinese U) et l’université Polytechnique (PolyU). Quelques rares étudiants errent et désormais les entrées sont étroitement surveillées par des gardes qui ne laissent passer que ceux qui montrent patte blanche.

Depuis six mois, l’ancienne colonie britannique montre son opposition à Pékin, un mouvement déclenché par la volonté des autorités locales d’adopter une loi d’extradition vers la Chine. Si le projet a été finalement abandonné par la cheffe de l’exécutif Carrie Lam après une série de manifestations, la mobilisation, elle, se poursuit avec une montée des violences entre protestataires et policiers. Près de l’université se dresse une des casernes de l’Armée populaire de libération à Hong Kong. Plusieurs fois par jour, les soldats engagés dans des manœuvres anti-émeutes manifestent bruyamment leur présence.

Professeur de bande dessinée à la faculté d’arts graphiques (Academy of Visual Arts Department) et caricaturiste dans l’un des quotidiens les plus renommés de l’île, Ming Pao, Justin Wong, 45 ans, vient nous chercher pour que nous puissions entrer. Les couloirs sont déserts, un air de vacances règne. Les murs sont pourtant toujours recouverts d’affiches politiques et l’on ne peut s’empêcher de penser à Mai-68.

Toute la faculté est une exposition permanente anti-gouvernementale et anti-Pékin. Une réplique de la statue de la démocratie (un des emblèmes du mouvement de Tian’anmen il y a 30 ans) version 2019, avec son casque jaune et ses lunettes anti-gaz lacrymogènes, est posée dans un lieu de passage. Au sol ont été peints les deux caractères qui composent le mot « résistance » ou le verbe « résister », des photos tapissent le mur tout proche représentant une fresque chronologique depuis le début des manifestations contre le projet de la loi d’extradition, avec ses moments forts.

Peu de temps auparavant, des photos de Xi Jinping, le numéro un chinois, et de Carrie Lam avaient été posées au sol, ce qui donnait lieu à un piétinement permanent de ces deux figures politiques honnies. Un crime de lèse-majesté encore possible dans la région administrative spéciale, mais qui, à quelques kilomètres de là, en République populaire de Chine, en cette époque de culte de la personnalité, vaudrait de sérieux ennuis à ses auteurs.

À l'université baptiste de Hong Kong, le 26 novembre 2019. Au sol ont été peints les deux caractères qui composent le mot "résistance" ou le verbe "résister". © FB

Cette floraison graphique témoigne de l’engagement des étudiants dans le mouvement. À ses débuts, Justin Wong y a contribué en l’évoquant dans les caricatures qu’il dessine tous les jours pour le Ming Pao, puis en dessinant des banderoles pour les manifestations. Mais ces derniers temps, l’une de ses principales occupations est plutôt de collecter les dessins, les caricatures et les affiches produits par d’autres.Si sa quête avait démarré au début de l’année, donc bien avant les troubles actuels, l’actualité l’a rattrapé : « Cette recherche porte sur les caricatures politiques à Hong Kong, car je m’étais aperçu qu’il y avait eu un certain déclin après l’émergence d’une nouvelle génération de caricaturistes lors du mouvement des parapluies en 2014. Tout d’un coup, ce mouvement a éclaté et j’ai commencé à collecter tous ces dessins, ces affiches, en grande majorité sur Internet. »

Justin Wong dans son bureau de l'université baptiste, le 28 novembre 2019. © FB

Les différences stratégiques avec le mouvement de 2014 se reflètent également dans le dessin : il y a cinq ans, tout était concentré en quelques lieux, à Admiralty et à Mongkok, tout comme par conséquent les « Lennon Walls » – ces lieux, tunnel ou pont, tapissés de dessins et d’affiches. Aujourd’hui, ils sont partout.

Si l’un d’eux est détruit, il peut renaître ailleurs très vite, en une nuit. C’est ce qui explique aussi que les œuvres soient disponibles sur Internet, et en particulier sur des comptes Telegram pour être facilement téléchargeables, en vue d’une impression et d’un affichage rapides. Sur son compte Instagram, Vignatius propose ainsi un lien vers son affiche de la chronologie des événements. La tactique « Be Water », inspirée par une déclaration de Bruce Lee et qui évoque la capacité de s’adapter à toutes les situations, s’applique aussi au domaine graphique, et l’on retrouve des « Lennon Walls » un peu partout dans l’ancienne colonie britannique.

Cet impératif de dissémination va aussi de pair avec la volonté de ne pas avoir un leader : un des slogans du mouvement est d’ailleurs de ne pas recréer une « grande scène », métaphore de ce qui s’était passé en 2014, lorsque se succédaient sur la scène à Central des dirigeants qui prenaient la parole à tour de rôle. « Tout le monde peut être un dirigeant », souligne Justin Wong. Et tout le monde peut dessiner. « Être masqué est une des caractéristiques du mouvement, c’est un effort collectif », poursuit-il.

Une passerelle remplie d'affiches et de slogans politiques près de la station de métro Ma On Shan, le 28 novembre 2019. © FB

Justin Wong ne se contente pas de collecter. S’il continue de caricaturer dans son journal avec les limites qu’il connaît pour éviter d’être censuré, il crée aussi, fidèle à son style polymorphe – on peut en avoir un aperçu en français avec la traduction en 2018 d’un de ses romans graphiques, Je préférerais ne pas, aux éditions Rue de l’Échiquier. Il s’est inspiré ainsi d’Édouard Manet, d’Edward Hopper ou de René Magritte pour dénoncer les violences policières de ces derniers mois. « Nous pouvons emprunter aux grands maîtres de la peinture pour parler de ce qui se passe maintenant. C’est aussi de l’histoire », souligne-t-il.

Justin Wong s'est inspiré du célèbre tableau d'Édouard Manet "L'Exécution de Maximilien". © DR

Il a aussi composé une chronologie des événements, chacun étant résumé par un symbole. De loin, on a l’impression de voir des hiéroglyphes égyptiens, comme ceux exposés au musée du Louvre. De près, on comprend qu’il s’agit de caractériser chaque épisode marquant des six mois de mobilisation. Il la réactualise toutes les deux ou trois semaines sur son compte Facebook. Plus de six mois ont passé, les Hongkongais poursuivent la lutte, Justin Wong n’en a sûrement pas fini avec son travail de collecte. 

La carte chronologique avec les symboles de Hong Kong, réalisée par Justin Wong. © DR

Il possède déjà dans son ordinateur près de 5 000 dessins, qu’il classe par thèmes, personnages, événements, artistes… La richesse graphique du mouvement est telle qu’il serait impossible d’en rendre compte avec exhaustivité dans le cadre de cet article, mais nous avons choisi de confectionner notre petit « Lennon Wall » ici même, à partir des affiches et des dessins que nous avons photographiés lors de notre passage à Hong Kong. En voici quelques-uns que nous avons regroupés en différents thèmes. 

Les cibles régulières : Carrie Lam, la police, Xi Jinping



À l'université baptiste de Hong Kong, le 26 novembre 2019. © FB
Sur une passerelle près du métro Ma On Shan, le 28 novembre 2019. Winnie l'ourson représente Xi Jinping. © FB

Le rappel des tactiques du mouvement

À l'université baptiste de Hong Kong, le 28 novembre 2019. © FB
"Pas de grande scène ! Nous ne voulons pas répéter les erreurs d'il y a cinq ans, ok ?" L'affiche fait référence à la volonté du mouvement de ne pas se doter de dirigeants. © FB
L'affiche met en avant l'alliance entre les pacifistes et les "braves", les plus violents des manifestants. "Ne pas se diviser" est un des slogans du mouvement actuel. © FB


Les symboles du mouvement : le petit cochon et Pepe the frog
(une grenouille verte devenue un des emblèmes de l’extrême droite aux États-Unis, mais utilisée sans cette connotation raciste à Hong Kong)

À l'université baptiste de Hong Kong, le 26 novembre 2019. © FB
Dans un café, près du métro Jordan, le 25 novembre 2019. © FB

Des chronologies pour rappeler tous les événements depuis le début des manifestations

Une chronologie réalisée par l'artiste Vignatius publiée son son compte Instagram © vignatius.art

Le détournement des panneaux officiels

À l'université baptiste de Hong Kong, le 28 novembre 2019. © FB
L'affiche fait référence au tabassage opéré par des membres des triades sans que la police n'intervienne, dans la nuit du 21 au 22 juillet 2019, à la station de métro Yuen Long. © FB

Les possibilités offertes par les caractères chinois

Le dessinateur Ah To est présent sur Facebook et Instagram, mais est aussi publié sur Yahoo. Le visage masqué d'un manifestant se transforme en caractère chinois signifiant "vaincre". © Ah To


Les parodies des affiches de la Révolution culturelle

À l'université baptiste de Hong Kong, le 26 novembre 2019. © FB

L’influence des mangas, des dessins animés et des films

À l'université baptiste de Hong Kong, le 28 novembre 2019. © F
Sur une passerelle près du métro Ma On Shan, le 28 novembre 2019. © FB
Sur une passerelle près du métro Ma On Shan, le 28 novembre 2019. © FB
À l'université baptiste de Hong Kong, le 28 novembre 2019. © FB


Des références au massacre de Tian’anmen

Un dessin de l'artiste Hongkongais Ah To faisant référence au Tank Man. © Ah To
Caricature parue dans le Ming Pao. Justin Wong s'inspire du style d'un autre caricaturiste Zunzi. © DR

Mediapart - 14 décembre 2019

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